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Crédit photo : Tous droits réservés, Gallimard
Qui est ce mystérieux auteur japonais d’expression française?
Akira Mizubayashi a appris le français à l’âge de 18 ans puis est venu l’étudier à l’université Paul-Valéry-Montpellier et, enfin, à la très prestigieuse École Normale Supérieure (ENS) de la rue d’Ulm à Paris. Il est par la suite reparti à Tokyo pour y enseigner la littérature et les courants de pensées français, à l’Université privée japonaise Sophia.
Il qualifie le français de «langue paternelle», car c’est son père qui l’a appuyé dans son apprentissage de cette langue étrangère. Il le parle sans accent, de sa voix chaude et grave. Il l’écrit directement, de façon très fluide et évocatrice.
Il a publié son premier roman à l’âge de 59 ans, et en a 70 en 2021. En peu de temps et en six ouvrages – essais, romans et texte autobiographique –, il a acquis une belle notoriété et a remporté plusieurs prix, dont notamment le Prix des libraires et le Prix de L’Algue d’Or pour Âme brisée.
Un roman original et très émouvant
Le livre s’ouvre sur une scène dramatique où la musique occupe une place centrale. En novembre 1938, en pleine guerre sino-japonaise, un enfant japonais de 11 ans prénommé Rei entend son père Yu se faire violenter puis arrêter, alors qu’il répète avec ses amis chinois. Le violon du XIXe siècle sur lequel joue Yu est sauvagement piétiné et brisé par un militaire rageur et haineux qui considère le professeur d’anglais et fin musicien comme un traître à la patrie nippone.
Dès lors, le petit Rei, qui réussit à se sauver du placard dans lequel son père l’avait mis à l’abri à l’arrivée des militaires, a un but dans la vie: restaurer ce violon si gravement meurtri et honorer la mémoire de son père disparu. On suit cette quête réparatrice avec un intérêt toujours teinté d’émotion. La terrible tension de la scène ouvrant le récit laisse place à un fil conducteur où chaque étape de la vie vient recréer une harmonie pulvérisée par cet acte de guerre odieux.
De sa formation de luthier spécialiste des violons au couple qu’il forme avec sa femme archétiste, en passant par les souvenirs qu’il rassemble ou reconstitue un par un, et grâce à ses prises de contact avec des personnes directement ou indirectement liées à l’événement qui a bouleversé sa vie, tout va concourir au dénouement final en forme d’apothéose.
«Il posa son regard sur le violon mutilé. Il s’accroupit. Il le prit délicatement dans ses mains, ce corps souffrant avec les quatre cordes distendues dessinant des courbes tourmentées comme celles des tuyaux et des fils de raccordement électrique couvrant le visage d’un accidenté grave ou d’une victime d’un bombardement aveugle.»
Un flot rafraîchissant de belles valeurs et un message d’espoir: de l’horreur peut naître une infinie beauté
Ce roman très bien écrit m’a touchée par tout ce qu’il raconte de son auteur au travers de ces personnages: l’amour de la musique et du violon, la tolérance, le respect des étrangers, le goût de la culture venue d’ailleurs, l’attrait pour les langues française et japonaise, la capacité à (re)créer une infinie beauté avec une volonté, une patience et un travail sans relâche. Il nous fait voyager de Tokyo à Paris, en passant par Mirecourt en Lorraine, Crémone en Italie, Shanghai en Chine et on assiste avec émerveillement à une superbe renaissance ou «ressuscitation».
«Ce violon est son père. Mais en même temps son enfant.»
Âme brisée d’Akira Mizubayashi, Éditions Gallimard, Collection Folio, 272 pages, 15,50 $.
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de la rédaction