ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Cath Langlois Photographe
La première (Erika Hagen-Veilleux) vit recluse sur une île, vaguement située aux abords de la Côte-Nord québécoise. Elle s’accommode de l’absence de promiscuité humaine. Sa sensibilité s’est frottée aux aspérités de la vie. Une telle auto-exclusion semble ainsi participer d’un désir de se prémunir contre la rudesse du monde et des interactions avec les autres. Elle préfère la nature sauvage des grands espaces à celle des humains.
Un jour, une jeune voyageuse (Maude Boutin St-Pierre) vient établir ses quartiers sur l’île en question. Il s’agit d’une des escales d’un long périple qu’elle entreprend à la conquête du monde… et d’elle-même. Par le truchement de ce voyage, elle souhaite définir les projets qui meubleront sa vie. Elle exprime sa crainte de glisser vers ce qu’elle abhorrait lorsque, plus jeune, elle anticipait sa vie d’adulte.
Une lenteur féconde
«Le silence pis le temps qui glisse trop doucement» ne sont pas sans éprouver la jeune voyageuse, habituée au rythme effréné du quotidien urbain et à la divulgation de ses gestes quotidiens sur les réseaux sociaux. Or, bien davantage que les défis que pose la subsistance en forêt, sa solitude la voue à une certaine détresse. La jeune femme de passage parvient difficilement à faire tomber les réticences de sa colocataire, ouvertement hostile à sa présence.
L’auditoire assiste ainsi à l’évolution de cette relation entre les deux femmes. Bien qu’elles soient ensemble sur l’île, elles sont seules. À ce titre, les Bambines traquent un paradoxe fort intéressant. Cette impression de solitude n’est-elle pas universellement ressentie? Comment expliquer qu’elle affecte tant de gens, et qu’il appert néanmoins si difficile de jeter des ponts entre sa propre solitude et celle des autres?
Un sensation de dichotomie
L’ambiance sonore que créent les protagonistes est luxuriante. Sous les yeux de l’auditoire, elles font un usage prolifique d’un répertoire hétéroclite d’objets afin de reproduire les bruits de la nature. Les sons révèlent surtout les paysages intimes des personnages, leurs tempêtes intérieures: on entend ainsi leur respiration hachée, leur halètement, leur inquiétude. Le timbre de Hagen-Veilleux, qui entonne quelques chansons, ajoute au charme de la pièce que l’on oserait classer dans le registre du «théâtre de sens».
L’évolution du récit des deux jeunes femmes s’effectue à un rythme lent, forçant la contemplation. La poésie des Bambines transporte et émeut profondément à certains instants. Allègrement multidisciplinaire et dénotant la virtuosité des interprètes, le spectacle comprend également de la danse et du cirque.
Force est de relever, toutefois, que la cohésion souffre de cet amalgame de médiums, de réflexions, et d’éléments de mise en scène (utilisation d’objets pour créer l’ambiance sonore, d’éclairages manipulés par les interprètes elles-mêmes à l’occasion, d’articles divers pour représenter des éléments du décor naturel). Il est difficile d’identifier le propos qui palpite au cœur de la pièce, le message qu’ont voulu porter les interprètes – s’il y a lieu.
Qui plus est, une dichotomie est bien perceptible entre les deux artistes, renforçant une sensation: il semble que le spectacle, dans son ensemble, aurait bénéficié d’efforts supplémentaires d’harmonisation. Tandis que Boutin St-Pierre est pétulante, animée d’une énergie flamboyante, Hagen-Veilleux, quoique touchante, ne paraît pas aussi à l’aise. Heureusement que cette retenue sied à son personnage plus réservé. Par ailleurs, si la poésie de Boutin St-Pierre est davantage concrète, celle de Hagen-Veilleux pige sans vergogne dans des registres diversifiés. Les images dont elle imprègne notre esprit sont saisissantes.
Enfin, un mystère pénètre le cheminement de chacune des protagonistes vers l’apprivoisement de leur solitude respective. Les dialogues, peu nombreux, ne permettent pas de saisir ce qui mènera à leur cohabitation. Au demeurant, ils sont parfois truffés d’images poétiques, donnant aux échanges un aspect un brin pompeux. Aurait-il mieux convenu de marquer une délimitation entre les soliloques que déclament tour à tour les personnages d’une part, et leurs dialogues d’autre part?
Néanmoins, la pièce est appréciable avant tout pour la beauté de certains tableaux ainsi que pour les sensations qu’elle fait vivre. Untouched Land témoigne d’expériences sensibles. Le cadre que réussissent à créer les artistes est riche, et il fait bon de s’en imprégner pendant les quelque 1 h 15 que dure la pièce. On en sort avec une impression de douceur.
«Untouched Land au Théâtre Premier Acte en images
Par Cath Langlois Photographe
L'avis
de la rédaction