LittératureDans la peau de
Crédit photo : Tous droits réservés
Marie-Claire, c’est un plaisir de nous entretenir avec vous aujourd’hui! Vous qui avez complété un doctorat en psychopédagogie à l’Université de Montréal, êtes actuellement chercheuse et enseignante au collégial, et ce, après avoir œuvré un bon nombre d’années dans différents milieux auprès de jeunes en difficulté, parlez-nous brièvement de votre parcours et de ce qui vous a naturellement menée à vouloir approfondir vos connaissances sur la psychopédagogie.
«J’ai commencé un baccalauréat en psychologie au cours duquel je me suis intéressée à la psychologie sociale, aux conflits culturels, à l’identité ainsi qu’aux communautés autochtones. J’ai ensuite entamé une maîtrise portant sur les adolescents en centre jeunesse pour comprendre comment les comportements déviants sont souvent reliés à un groupe d’appartenance problématique. J’ai également coordonné plusieurs études dans le nord du Québec, notamment à Kuujjuaq. Puis, je me suis lancé dans une carrière d’enseignante en psychologie au collégial.»
«Avec les années, je me suis intéressée aux garçons et j’ai cherché à comprendre pourquoi ces derniers réussissaient moins bien que les filles à l’école. De plus en plus intéressée par les différences de genre, je me suis dirigée vers un doctorat en éducation, plus spécifiquement en psychopédagogie, et ce, afin de mieux comprendre pourquoi nous éduquons nos garçons différemment des filles sur le plan des émotions.»
«À la suite de mon étude, j’ai pu constater que, par moments, même à l’école, nous réagissons différemment face aux émotions de nos garçons, comparativement aux filles, notamment en les ignorant ou en les décourageant, ce qui mène à un niveau de compétence émotionnelle dès quatre ans. C’est-à-dire que, dès cet âge-là, les filles sont plus à même de comprendre comment exprimer leurs émotions.»
«Lorsqu’on sait à quel point la compétence émotionnelle est importante dans notre société, j’étais donc déterminée à m’impliquer pour un changement.»
Votre thèse, soutenue courant 2021, porte sur la socialisation des émotions des enfants en milieu scolaire et les différences de genre. De votre propre aveu, vous avez avoué, lors d’un entretien accordé à UdeM Nouvelles, qu’à l’époque vous ne cadriez pas avec le modèle de «l’élève discipliné»; en fait, «vous accumuliez les échecs, les mauvaises fréquentations et les mauvais coups». Est-ce votre vécu, en grande partie, qui vous a donné les ailes nécessaires pour vous passionner pour la psychologie, de même que pour les jeunes filles des centres jeunesse?
«Tout à fait. Nous avons tous nos forces et une forme d’intelligence. Il s’agit de s’y prendre de la bonne façon et chaque jeune peut réussir. Je pense que la réussite scolaire doit être accompagnée d’une certaine motivation intrinsèque qui vient de l’intérieur.»
«Au secondaire, je n’avais aucun intérêt à l’école. C’est lorsque j’ai rencontré certaines éducatrices en centre jeunesse ou je me suis dit: “Plus tard, je veux être comme ça!” Par après, j’ai entrepris des études parce que j’avais un but. Je me voyais dans cinq ans avoir un diplôme et un travail valorisant.»
«C’est un peu ce que j’essaie de faire avec mes élèves qui rentrent en sciences humaines au cégep. Tu veux réussir? Être bien, avoir ta maison, voyager, être indépendant, t’épanouir dans tes relations, avoir des choses intelligentes à dire? C’est là que ça se passe. Premier cours de cégep, lundi matin, ils reçoivent la morale de Mme Sancho. Tu as deux chemins devant toi, le premier, te mène à une vie instable, incertaine, c’est certain, tu vas avoir de la gratification rapide, mais d’ici une couple d’années, la première question de la fille que tu vas rencontrer, c’est: “Qu’est-ce que tu fais dans la vie?” et là tu vas rire jaune. L’autre chemin te mène à ton diplôme collégial dans deux ans et ton BAC dans cinq ans.
«Bref, je les amène à se projeter dans l’avenir afin de les aider à développer une motivation intrinsèque. Certains de mes élèves reviennent me voir même lorsqu’ils sont à l’université. Je me sers, par moments, quand cela ne me gêne pas trop, de mon passé en centre jeunesse pour leur faire comprendre que rien n’est impossible et ainsi être un modèle pour eux.»
Le 14 septembre, les éditions Fides ont fait paraître Colère, peur et joie: accompagner mon garçon dans ses émotions, un guide pratique où vous présentez trois pratiques à mettre en place pour permettre aux garçons de 0 à 11 ans d’avoir «une compétence émotionnelle saine pour le reste de leur vie». Qu’est-ce qui vous a donné l’impulsion d’écrire ce livre, et pourquoi avoir choisi d’axer l’objet de vos études uniquement sur les jeunes garçons?
«J’ai été conscientisée sur les différences de genre et les problématiques masculines au BAC lors d’un cours en travail social. Nous avons été mis au fait que sur les 400 et quelques ressources dédiées aux femmes, il en existait seulement quelques-unes pour les hommes aux Québec. Or, les jeunes garçons et les hommes sont largement plus à risque d’être confrontés au suicide, au décrochage scolaire et aux actes de violence.»
«J’ai voulu savoir pourquoi. C’est ainsi que je me suis intéressée aux émotions chez les garçons en cherchant à comprendre pourquoi nous les handicapons, dès l’enfance, sur le plan émotionnel. Nous envoyons des messages implicites, par exemple que la seule émotion acceptable, pour eux, c’est la colère. Or, par manque de ressources adaptées pour les hommes, leurs moyens d’expression ne sont pas les bienvenus.»
«Un homme qui rentre dans un CSSS en criant se fait rapidement interpeller, ce qui risque de ne pas être le cas avec une femme en pleurs.»
«Au Québec, nous avons connu un nombre effrayant de féminicides. Pourtant, je ne vois personne s’interroger sur notre responsabilité au niveau de l’éducation que nous offrons à nos garçons sur le plan émotionnel.»
Pour ces jeunes parents, parmi nos lecteurs, qui auront l’envie d’explorer le sujet et d’acquérir des outils précieux pour l’éducation de leur garçon, dites-nous quelle est l’approche que vous avez privilégiée lors de la rédaction de ce livre et quel est le ton employé également? On aimerait savoir comment l’information y est présentée!
«La première chose que je voulais faire après avoir complété ma thèse a été de publier un livre accessible à monsieur et madame Tout-le-Monde. Trop souvent, après une recherche, nous publions nos résultats dans une revue spécialisée, moins accessible au grand public, et on va se le dire, plate à lire, hihi. Moi, j’avais envie, comme chercheuse, de créer un pont direct entre mes recherches et les parents. J’avais aussi le désir de raconter mes péripéties familiales.»
«C’est avant tout un livre amusant qui, je l’espère, va vous faire rire et qu’il aura surtout un effet déculpabilisant pour les parents. Au début, je parle des émotions ainsi que des différences entre les filles et les garçons. Je propose ensuite trois stratégies pour aider les parents à mener leur enfant vers une compétence émotionnelle: le renforcement, le modelage et la discussion. Ces stratégies sont expliquées avec beaucoup d’exemples pour chaque étape de la vie de votre enfant.»
«L’objectif du livre est d’apporter des informations scientifiques adaptées au grand public, et ce, sans tomber dans la psycho-pop ou la lourdeur d’une thèse.»
Dans le futur, avez-vous prévu d’écrire un ouvrage pratique portant sur les jeunes filles, car on s’entend qu’elles aussi vivent tout un lot de défis en grandissant! Glissez-nous également un mot aussi sur les projets qui vous occupent ces temps-ci afin que l’on puisse continuer de suivre avec curiosité l’avancée de vos recherches et conclusions.
«Je n’en ai pas fini avec les garçons pour le moment! Comme vous le savez, Colère, peur et joie: accompagner mon garçon dans ses émotions est un guide dédié aux garçons de la naissance à 11 ans.»
«Au début, nous avions envisagé d’ajouter une section sur l’adolescence, mais nous avons changé d’avis. Comme je donne beaucoup d’exemples personnels sur mes enfants de trois et sept ans, le ton du livre changeait. Nous avons préféré attendre.»
«Je compte donc, si tout va bien, écrire la suite en parlant de l’adolescence et, qui sait, de la vie d’adulte.»
«Je m’intéresse beaucoup à la politique, aux différences culturelles et à l’intégration. J’ai aussi un grand intérêt à travailler en éducation au Québec, c’est pourquoi je propose d’intégrer des cours “d’émotions” adaptés aux différents cycles.»
«Quand on sait que la compétence émotionnelle a un impact sur notre réussite et notre bien-être, je pense que nous sommes rendus là.»