Littérature
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Le commencement: «Le deuxième sexe» (Tome I et Tome II) de Simone de Beauvoir
Considéré comme étant l’une des premières œuvres féministes à amener le sujet de façon percutante dans les discours populaires, l’essai en deux tomes de Simone de Beauvoir est LA base pour mieux comprendre les enjeux féministes dans une perspective historique, anthropologique et sociale; ce qui, pour l’époque, était révolutionnaire.
Le premier tome, Les faits et les mythes, aborde l’histoire de la femme avec plusieurs lunettes différentes – sous les angles biologique, psychanalytique, existentialiste, etc. – en démontrant comment celle-ci a toujours été perçue comme inférieure par la société, alors que la réalité est très différente. L’autrice aborde, entre autres, la primauté de l’homme sur la femme dans la pratique psychanalytique, et comment, dans certains règnes animaux, les femmes ont plus de pouvoir que les hommes.
Le deuxième tome, L’expérience vécue, décortique chaque étape de la vie d’une femme: en passant de l’adolescence à l’initiation sexuelle, jusqu’à la femme mariée et la vieillesse; et en démontrant comment les rouages sociaux exercent une pression malsaine sur les femmes en les ancrant dans l’immanence au lieu de la transcendance.
La prise de position de Beauvoir est simple: tant que les hommes et les femmes ne s’estimeront pas semblables, l’émancipation ne sera jamais possible.
«La femme se détermine et se différencie par rapport à l’homme et non celui-ci par rapport à elle; elle est l’inessentiel en face de l’essentiel. Il est le sujet, il est l’Absolu: elle est l’Autre.»
Le classique: «We Should All Be Feminists» de Chimamanda Ngozi Adichie
L’œuvre féministe très populaire (surtout depuis que Beyoncé a intégré l’un des discours de l’écrivaine dans la chanson «Flawless» en 2014) de l’autrice nigérienne est un essai qui est basé sur son TedxTalk, qui a cumulé plus de six millions de vues sur la plateforme.
Dans ce livre, Adichie démontre avec brio comment le terme «féministe» ne doit pas être perçu comme une insulte, mais plutôt comme une étiquette qui devrait être adoptée par tous. Elle décortique ici plusieurs fausses croyances que les opposants les plus farouches à la libération des femmes défendent. Par exemple, elle montre l’absurdité derrière l’idée que le féminisme est un mouvement social qui a pour but ultime d’inverser les rôles des genres afin de dégrader les hommes pour assurer la suprématie des femmes.
Elle indique que le plus important, c’est de changer les constructions de «genre» qui circulent dans la société et qui encouragent la disparité entre les hommes et les femmes.
Il ne s’agit donc pas seulement d’un livre qui défend l’émancipation des femmes, mais qui encourage les hommes à remettre en question la façon dont la masculinité est construite et à tenir des conversations avec les femmes sur la sexualité, le succès et la différence qu’ils peuvent faire concrètement pour rendre le monde meilleur, pour elles.
«The problem with gender is that it prescribes how we should be rather than recognizing how we are. Imagine how much happier we would be, how much freer to be our true individual selves, if we didn’t have the weight of gender expectations.»
Le controversé: «King King Theorie» de Virginie Despentes
L’essai d’autofiction de l’écrivaine française a beaucoup fait jaser lors de sa sortie en 2006! Despentes y déploie des arguments pro-pornographie et pro-prostitution en démontrant du même coup les doubles standards et la domination de l’ordre social masculin sur le corps des femmes.
Elle aborde aussi le viol, un sujet très difficile et omniprésent dans notre société, plus récemment avec le mouvement #MeToo. De plus, elle réussit, de façon percutante, à mettre en contexte cet acte violent en lien avec les mécanismes du système patriarcal en expliquant qu’il s’agit d’une action qui démontre une tendance d’appropriation du corps féminin par les hommes. En outre, elle fait une critique du capitalisme, de la binarité de la différenciation sexuelle et des courants féministes plus classiques qui manquent de diversité, en laissant toute la place aux femmes blanches et hétéros.
Écrit avec une plume enflammée, directe et acerbe, King King Theorie est une lecture coup de poing qui viendra peut-être froisser les moins dégourdis, mais qui permettra certainement à ceux et celles qui ont lu le livre de voir plus loin et de pousser leur réflexion en matière de féminisme, tout en insistant sur l’importance fondamentale des choix individuels et de la liberté de disposer de son corps.
«Je suis furieuse contre une société qui m’a éduquée sans jamais m’apprendre à blesser un homme s’il m’écarte les cuisses de force, alors que cette même société m’a inculqué l’idée que c’était un crime dont je ne devais jamais me remettre».
Pour mieux comprendre l’intersectionnalité: «Ain’t I a Woman? Black Women and Feminism» de bell hooks
Intitulé d’après le discours percutant du même nom de l’activiste Sojourney Truth, le livre de bell hooks examine les effets du racisme et du sexisme sur les femmes noires, le mouvement des droits civiques et les mouvements féministes du suffrage dans les années 1970 aux États-Unis.
L’autrice soutient que la convergence du racisme et du sexisme pendant la ségrégation a contribué à ce que les femmes noires aient le statut le plus bas et les pires conditions de tous les groupes de la société.
En effet, elle démontre qu’historiquement, les femmes de couleur ont été laissées de côté dans la majorité des grands mouvements politiques, autant au niveau du nationalisme noir, qu’elle accuse d’avoir essayé de surmonter les divisions raciales en renforçant des idées sexistes, qu’au niveau du féminisme, qu’elle décrit comme étant un mouvement de classe moyenne supérieure largement blanc, qui n’a pas pris en compte les besoins des femmes pauvres et non blanches, renforçant ainsi le sexisme, le racisme et le classisme.
Ain’t I a Woman est un livre important qui permet d’aborder la question de l’intersectionnalité en étudiant la rencontre entre la race et le sexe qui marginalise les femmes noires, tout en discutant de la corrélation entre l’histoire du racisme à travers un angle féministe et ses effets percutants et persistants dans notre société aujourd’hui.
«The process begins with the individual woman’s acceptance that American women, without exception, are socialized to be racist, classist and sexist, in varying degrees, and that labeling ourselves feminists does not change the fact that we must consciously work to rid ourselves of the legacy of negative socialization.»
Pour mieux comprendre le mansplaining: «Men Explain Things To Me» de Rebecca Solnit
Dans cette collection d’essais, Rebecca Solnit souligne les raisons pour lesquelles les conversations entre les hommes et les femmes ne se passent pas toujours comme prévues. Elle se penche plus précisément sur le silence des femmes en mettant de l’avant l’idée que les hommes croient souvent que, peu importe ce qu’une femme dit, ce dernier sait toujours dire mieux. Elle explique pourquoi cela se produit, et comment cet aspect de la lutte pour l’égalité entre les sexes fonctionne, en racontant, du même coup, certaines de ses propres expériences.
Elle aborde aussi un éventail impressionnant de sujets, comme la violence envers les femmes et comment celles-ci sont plus susceptibles d’être assassinées par leurs conjoints ou maltraitées, violées, et blessées par des hommes. Elle invoque le mariage homosexuel, l’anéantissement symbolique des femmes dans l’histoire et aussi le peu de considération de la part de l’ensemble de notre système de justice lorsqu’elles dénoncent les abus, le harcèlement, les agressions sexuelles et le viol.
Ce livre est beaucoup plus accessible que les autres, avec une plume ravissante qui vous donnera assurément l’envie de lire les autres œuvres de cette écrivaine féministe.
«Every woman knows what I’m talking about. It’s the presumption that makes it hard, at times, for any woman in any field; that keeps women from speaking up and from being heard when they dare; that crushes young women into silence by indicating, the way harassment on the street does, that this is not their world. It trains us in self-doubt and self-limitation just as it exercises men’s unsupported overconfidence.»
Le féminisme vu par une écrivaine d’ici: «Le boys club» de Martine Delvaux
Professeure à l’UQAM, Martine Delvaux est une figure incontournable du mouvement féministe au Québec. Dans ce livre, elle aborde les différentes formes que peuvent prendre les boys club et démontre comment ceux-ci sont, par définition, un dispositif social basé sur la misogynie et l’exclusion.
L’auteure plonge au cœur de notre société, en dévoilant les nombreux rouages, parfois invisibles pour l’œil moins entraîné, qui excluent presque toujours les femmes: des structures sociétales qui écartent les femmes pour que le pouvoir reste dans les mêmes mains d’hommes blancs et hétéros, aux clubs virils et abjects, qui commettent des viols collectifs en fumant des cigares. Elle aborde, entres autres, le privilège masculin, la misogynie, le racisme, la rivalité, l’impunité et la solidarité entre hommes.
Il s’agit d’un livre impressionnant d’une rigueur colossale au niveau de la recherche. C’est une œuvre plus difficile à comprendre, plus académique, avec des principes et des théories sociologiques et philosophiques intellectuelles assez poussées. Si votre intérêt pour le féminisme ne fait que commencer, je vous conseille les autres livres sur notre liste pour avoir une base solide!
«D’un côté, des filles en série invisibilisées par leur mise à mort; de l’autre, des boys club formés par une majorité d’hommes blancs en complet-cravate, invisibles dans leur exercice du pouvoir.»
Et une œuvre de fiction: «The Handmaid’s Tale» de Margaret Artwood
Pour ceux qui sont moins friands de théorie et d’essais, ce choix est pour vous! Véritable œuvre phare de la littérature féministe, le roman de Margaret Artwood se déroule dans un futur proche, aux États-Unis, dans un état totalitaire fortement patriarcal et très religieux, nommé Gilead. Cette nouvelle entité politique véritablement effroyable a renversé le gouvernement suite au déclin du taux d’accroissement naturel dans le monde.
Le personnage central et la narratrice du livre est une femme nommée Offred, qui fait partie du nouveau groupe social des «servantes», qui sont des femmes encore fertiles, assignées de force afin d’enfanter pour les «commandants», la classe dirigeante des hommes.
L’histoire explore la subjugation des femmes au coeur d’une société patriarcale et les divers moyens par lesquels elles résistent et tentent de regagner leur indépendance, leur individualité et leur liberté. Pour ceux qui aiment moins la lecture, la série télévisée, mettant en vedette la magnifique Elisabeth Moss, est tout aussi percutante!