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Crédit photo : Théâtre à corps perdus @ Tous droits réservés
Nostalgie 2175, une dystopie qui résonne avec notre époque
Le Théâtre à corps perdus, comme nous l’indique notre interlocutrice, a toujours eu pour mission d’aborder «des sujets dont on ne parle pas à table, et donc de s’intéresser aux zones plus troubles, plus riches et complexes de l’être humain». Car, selon elle, ce sont ces «zones tumultueuses qui font la beauté de l’être humain, dans ses côtés sombres, obscurs et à la fois lumineux.»
La pièce Nostalgie 2175 semblait ainsi toute trouvée pour l’équipe de création montréalaise, puisqu’elle présente «la tragédie de cette femme qui tombe follement amoureuse d’un homme qu’elle ne peut pas toucher parce qu’il a été grand brûlé» et où, parallèlement, elle finit par tomber enceinte d’un autre homme, ce qui l’amène à se rendre compte que, si elle met cet enfant au monde, elle ne pourra pas survivre. «La pièce, c’est son adresse à cet enfant à naître», explique Geneviève L. Blais. «Qu’est-ce qu’on dit à un enfant qui arrive dans un monde un peu en ruine? Est-ce qu’il y a une place pour l’espoir et, si oui, quel est-il?
«Malgré le fait que la pièce s’inscrive dans un contexte post-catastrophe climatique où ça ne va pas bien – il fait 60°C, les humains peinent à survivre et ne peuvent plus aller à l’extérieur –, cette pièce est traversée par un élan hyper lumineux, un désir de se dire qu’il y a quand même de la magie dans ce monde d’une beauté folle. Et que, peut-être, tout reste quand même à construire.» – Geneviève L. Blais, metteuse en scène
Un parcours immersif multidisciplinaire
Pour rendre le moment unique, le Théâtre à corps perdus présente Nostalgie 2175 sous la forme d’un rendez-vous immersif où le public entre au cœur d’une expérience sensorielle. La compagnie y fait travailler l’imaginaire «en essayant de jouer avec les attentes de réception qu’on peut avoir d’un spectacle.» D’ailleurs, chaque détail est pensé en ce sens, que ce soit dans le choix du lieu de diffusion, la position du spectateur ou même la musique.
Et c’est dans la chapelle des Hospitalières, fortement liée à l’histoire de Montréal, que Geneviève L. Blais a eu le déclic d’y présenter le projet. «Cette chapelle est désacralisée et il n’y a plus de valeur religieuse, mais c’est un espace magnifique qui a été créé pour la musique, tout en étant un lieu de prière. Pour ce lègue, pour ce témoignage de Pagona, c’était l’endroit idéal», explique-t-elle avant d’ajouter, avec un peu de malice dans la voix: «D’ailleurs, pour l’anecdote, il faut savoir que le cimetière des sœurs hospitalières était la crypte qui est sous l’église, donc le spectacle se passe sur la tombe de Jeanne-Mance!»
Dans cet espace, le spectateur est positionné comme s’il était à la place de l’enfant. La comédienne Émilie Dionne, qui interprète Pagona, «lui parle de façon très intime à travers un casque d’écoute, pour avoir accès au récit de façon sensible dans le creux de l’oreille en parallèle du travail musical qui est très important.» Pour la musique, Geneviève a d’ailleurs travaillé avec Symon Henry, le compositeur∙ice qui a tout conçu à partir de l’orgue patrimonial du lieu, tout en ayant en tête une approche à la fois contemporaine et bruitiste – à noter que différentes matières et objets sont sonorisés.
Par ailleurs, l’équipe a beaucoup tablé le travail de création sur des images qui apparaissent et disparaissent, et une série de tatouages-dessins a été réalisée et intégrée à l’architecture du lieu par l’artiste tatoueuse KATAKANKABIN. Le concept du tatouage a très spécifiquement intéressé la metteuse en scène dans le cadre de ce projet, «car on parle de l’indélébile, de l’irréversible, de quelles sont les traces qui restent réellement. Cette collaboration riche, pertinente et inspirante dans le processus de création va amener quelque chose de plus à l’expérience.»
Une nostalgie qui prend racine à travers des questions existentielles
Selon elle, dans Nostalgie 2175, ce sont les questions fondamentales qui sont abordées qui vont émouvoir le public. En effet, que dit-on à un enfant à venir au sujet de son futur? Qu’aimerait-on lui léguer?
«Je pense que le spectacle touche beaucoup à ces interrogations, en plus de notre perception de ce qu’est l’amour, de la place qu’il occupe dans nos vies et de ce qu’il nous amène de façon consciente ou inconsciente.»
Et puis, Geneviève L. Blais attire notre attention sur le fait que le réchauffement climatique – qui nous concerne tous aujourd’hui – est aussi en trame de fond.
Enfin, Nostalgie 2175 interroge «la place de la beauté et de la poésie» et ce qui nous permet de vivre vraiment, au-delà des aspects de base et purement fonctionnels – comme avoir de la nourriture et de l’eau. «Parce qu’à part ça, de quoi a-t-on besoin? Je crois que la nostalgie prend racine dans ces questions-là», conclut la metteuse en scène avec acuité.