«N’essuie jamais de larmes sans gants» de Jonas Gardell sur la scène du Théâtre du Trident

Un devoir de mémoire

Certes, N’essuie jamais de larmes sans gants traite de l’épidémie de sida des années 1980. Mais encore? Ce récit porte avant toute chose sur une pléthore de personnages qui résident tous à Stockholm, en Suède.

Benjamin, joué par Maxime Beauregard-Martin, débute comme missionnaire pour les Témoins de Jéhovah. Il va de porte en porte pour prêcher sa foi et il finit comme homosexuel assumé participant aux défilés de la fierté gaie. Son bien-aimé Rasmus, interprété par Olivier Arteau, fuit la campagne suédoise pour enfin vivre librement, sans cacher sa réelle identité.

Paul, joué par Maxime Robin, se donne comme but de protéger et de prendre soin de tous les gais en recherche d’espoir qu’il croise sur son chemin. Seppo et Lars-Ake, incarnés respectivement par Laurent Fecteau-Nadeau et Israël Gamache, s’adorent et militent tous deux pour les droits de la communauté LGBTQIA2+.

Bengt, campé par Gabriel Cloutier Tremblay, sort tout juste de l’école de théâtre et se fait déjà courtiser par de grands metteurs en scène. Reine, interprété par Samuel La Rochelle, passe quant à lui ses journées comme journaliste romantique tombant amoureux comme d’autres tombent à vélo. Il joue par ailleurs le rôle de narrateur dans ce récit.

Photo: Stéphane Bourgeois

Hélas, tous deviennent séropositifs…

Reine meurt en premier; Bengt se suicide après la nouvelle de son infection; Lars-Ake décède à la suite d’une longue agonie; Rasmus perd sa virginité avec un sidéen, et ce, avant même que quiconque entende parler de cette affection… Les dés étaient jetés dès le début de la pièce.

Paul succombe en dernier à ce mal, ayant ainsi vu la dissolution complète de sa tribu par la maladie. Benjamin survit à tous ses amis, envers et contre tout.

Personnellement, j’ai été au fait, durant mon primaire et mon secondaire, des campagnes de prévention du VIH. Et bien sûr, j’ai vu quelques films, dont Philadelphia, Rent et j’en passe. Je l’avoue, j’ai été assez chanceux pour être trop jeune pour connaître les affres de cette crise.

Cette pièce m’a permis de me faire une idée de l’ampleur de l’horreur qu’a été cette catastrophe pour la communauté LGBTQIA2+. Et je dois dire que l’adaptation de Véronique Côté capture sans retenue la gravité de la situation à cette époque.

Photo: Stéphane Bourgeois

Une scénographie «liquéfiée»

Une sobriété maximaliste, voilà qui résume bien le décor qui s’offrait à mes yeux. Mais celle-ci se démarque toutefois par une idée de mise en scène toute simple.

Au moment où Rasmus annonce son homosexualité à ses parents, une fuite d’eau tombe au compte-goutte du plafond de la salle. Au premier abord, le spectateur n’en fait pas nécessairement grand cas. Or, Reine disparaît et meurt du sida. Une pluie torrentielle s’abat alors sur les personnages.

Cette averse subite symbolise le sida qui submerge tout le monde par surprise.

La mort de Reine dans cette pièce me mène au prochain coup de maître de ce spectacle: la brochette d’acteurs qui jouent habilement sur scène! Sans forcément tous les nommer, j’aimerais au moins souligner la performance d’Olivier Arteau, qui se démarque particulièrement avec l’annonce de sa maladie à sa famille. Évidemment, ces derniers tombent tous des nues en apprenant la nouvelle. Lorsqu’il en vient à se déshabiller devant ses parents afin de montrer ses taches, cet instant de vulnérabilité est insoutenable.

J’ai sincèrement eu envie de quitter la salle à ce moment-là!

Cette «querelle», si je peux la qualifier ainsi, précède l’entracte. Tous les spectateurs, y compris moi, sommes restés sur notre banc pendant au moins deux longues minutes. On aurait presque pu entendre une mouche voler.

Maxime Robin sort également du lot avec son interprétation grandiloquente de Paul. Son optimisme comique et sans failles jette réellement une lumière dans ce récit autrement tragique. Maxime Beauregard-Martin, pour sa part, joue en finesse le parcours émotionnel de Benjamin. Le spectateur part d’un personnage passant d’une personne gaie refoulée par son éducation aux Témoins de Jéhovah. Il finit avec un Benjamin assumé qui s’occupe de sa douce moitié à l’article de la mort.

Parlant de la faucheuse, Samuel La Rochelle, comme je le mentionnais ci-haut, sert de narrateur et de point d’ancrage pour le public. Il porte sur lui le poids d’un coryphée qui doit accepter la mémoire de cette catastrophe.

Photo: Stéphane Bourgeois

À la mémoire de ces vies fauchées

Bref, je pourrais inventer de grandes tirades pour vous expliquer les nombreuses raisons d’aller voir ce spectacle. Je vous dirai seulement que beaucoup d’entre nous traînent encore les traumatismes des confinements répétitifs dus à la pandémie de COVID-19.

La communauté LGBTQIA2+, quant à elle, a subi son épidémie dans les années 80. Les gouvernements ont répondu en tournant le dos à sa population affectée. Comme devoir de mémoire, donc, cette pièce en est un des plus nécessaires!