Découvrez «Le polygraphe», une délicieuse rencontre entre théâtre et cinéma mise en scène par Martin Genest

L’imagerie comme moteur de création

Martin Genest l’assume, son parcours artistique est atypique: un an à peine après être entré au Conservatoire, il s’est fait montrer la porte sous prétexte qu’il n’était peut-être pas à sa place. Loin de se laisser décourager, le futur metteur en scène s’est tout de même accroché à sa passion: «C’est à partir de ce moment-là que je suis devenu autodidacte. J’ai fait mon chemin par moi-même, et je dois avouer que l’école a bien fait au final, car j’ai pu faire mes armes: ils m’ont rendu service et je n’ai jamais été amer. J’ai fondé des compagnies comme Premier Acte, je me suis investi dans divers troupes et différents types de théâtres; j’ai enseigné et créé mon école de metteur en scène.»

Depuis, il a cumulé vingt ans d’expérience sur les scènes québécoise et internationale et a pu partager son expérience à nombre de jeunes artistes qui n’ont pas suivi un cheminement dit «traditionnel», comme lui.

Parmi ses plus récents projets, on compte la mise en scène du Polygraphe à La Bordée. C’est à la suite d’une invitation du directeur artistique du théâtre, Michel Nadeau, que Martin Genest s’est lancé dans l’étude du texte original annoté par Marie Brassard et Robert Lepage.

Il a ainsi pu voir quelle imagerie propre à son univers créatif il pourrait développer, et a alors ressenti le déclic pour prendre part à l’aventure!

Le metteur en scène Martin Genest. Photo: Nicola-Frank Vachon

Dans les affres de la troublante (in)justice

La pièce Le polygraphe immisce les spectateurs dans un chapitre de la vie de Robert Lepage, qui a lui-même été suspecté de meurtre dans les années 1980. Martin Genest explique que, «dans la dramaturgie, on voit l’injustice subie par le jeune homme et les dommages que ça a causés, sans possibilité de revenir en arrière. C’était important de parler de ça en “focusant” sur la vie du petit bonhomme: tout l’aspect vidéo – ou une grande partie du numérique – amène le spectateur à sentir son malaise psychologique, notamment grâce à l’imagerie et le test du polygraphe.»

Ainsi, sur fond de trame policière, cette histoire met en lumière les lourdes conséquences que peuvent avoir des accusations criminelles.

À travers le texte et la mise en scène, Robert Lepage est projeté dans le personnage de François. «C’est un protagoniste troublé psychologiquement; ce qui se manifeste essentiellement au niveau de sa sexualité débridée et de son trouble psychologique qui l’amène vers le suicide.»

De chaque côté du mur, un point de vue différent

Au niveau de la mise en scène, Martin Genest a voulu jouer avec la position du spectateur dans l’espace. Contrairement à la configuration à l’italienne (qui est le plus souvent usitée), il a décidé de placer le public en situation bifrontale, de chaque côté du quatrième mur. «Certains étaient sur la scène, d’autres dans la salle. J’ai fait ce choix pour leur faire vivre deux choses pas tout à fait pareilles, un peu comme les témoins d’un meurtre ou d’un crime qui ne raconteront pas tous l’histoire de la même façon, car ils l’auront vécue chacun différemment.»

Outre l’aspect des perspectives légèrement divergentes selon le positionnement, son choix permet aussi de représenter, entre autres, les deux parties de notre cerveau, la dualité intérieure et l’impossibilité de revenir en arrière. Et puis, «j’ai beaucoup joué avec ce rapport scène / salle pour mettre les gens de chaque côté et parler de façon politique ou poétique des murs qui séparent les individus de par leurs croyances, leurs valeurs ou leurs perceptions», explicite-t-il.

«Ce que j’ai essayé d’exprimer par la mise en scène, c’est le mensonge, la vérité, le jeu, la fiction et la réalité.»

Photo: Vincent Champoux

Entre cinéma et théâtre 

La particularité de cette captation est la rencontre réussie entre les deux formes d’art que sont le théâtre et le cinéma. En fait, avant même d’être filmé, le spectacle avait une dimension vidéo non négligeable grâce à la collaboration de Martin Genest avec l’artiste en art numérique Herman Kolgen. «J’aime beaucoup son esthétique vidéo, sa recherche d’interactivité avec le corps humain, particulièrement quand on pense au polygraphe», dit-il à son sujet.

Et, selon lui, l’intégration d’une méthode de travail différente de celle qu’il avait l’habitude d’utiliser a été stimulante: «Ça a été une collaboration très vivante, même si la pandémie nous a un peu stoppés. Son apport a été très important de par son esthétique, sa sensibilité et son regard pendant les répétitions et les laboratoires. Nos échanges étaient très riches au niveau de la création de ce polygraphe et de la présence de la vidéo pour bien la motiver.» 

Comme il le spécifie lui-même, ces discussions étaient essentielles «pour que la vidéo ne soit pas un artifice, mais un complément de lecture, un langage supplémentaire.»

D’ailleurs, Martin Genest ne manque pas de rappeler que Le polygraphe avait déjà un aspect très cinématographique à la base, présent dans l’écriture de Marie Brassard et Robert Lepage. «Ça transpire aussi dans la mise en scène que j’ai faite», précise-t-il. «On a l’impression parfois de mouvements cinématographiques, c’est-à-dire qu’il y a des fondus enchaînés qui sont simulés sur scène: quand une scène n’est pas tout à fait finie, une autre embarque dessus. Pour le spectateur, c’est mêlant; mais les balises sont posées tranquillement pour que l’on comprenne un peu plus tard.»

Et ce sont ces fameux piliers que le coréalisateur Jean-Philippe Vachon (de Productions 4 Éléments) a pu exploiter avec le metteur en scène, pour aller plus loin qu’un simple travail de captation du Polygraphe: pendant une heure et cinq minutes, le spectateur se voit ainsi offrir une expérience sensorielle riche et dynamique!

La pièce Le polygraphe est présentée virtuellement jusqu’au 2 mai 2022. Retrouvez sur scène les comédiens Michel Nadeau, Mary-Lee Picknell-Tremblay et Steven Lee Potvin. Pour acheter vos billets au coût de 20 $, visitez le site du Théâtre La Bordée ici.

Crédit de production vidéo: Productions 4 Éléments.

*Cet article a été produit en collaboration avec Théâtre La Bordée.