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Crédit photo : Yann Orhan
Un hommage précieux en ces temps difficiles
«J’ai voulu mettre à l’honneur les femmes tout simplement et tout sincèrement, et j’ai eu à la fois l’envie artistique de faire des duos. L’idée, c’était de faire des duos exclusivement féminins, justement pour rendre hommage à la femme dans tous ses profils. Et il y a plusieurs profils différents de femmes dans cet album […] Pour moi, la meilleure manière de les honorer, ce n’est pas juste de parler d’elles, mais plutôt de les entendre, de les faire chanter, de partager des morceaux ensemble, et de les mettre de l’avant pour mieux les honorer.»
Grand Corps Malade, de son vrai nom Fabien Marsaud, a toujours eu à cœur les droits et libertés des femmes. C’est avec écoute et solidarité qu’il a vécu la libération de la parole avec les mouvements #MeToo partout dans le monde et #BalanceTonPorc plus précisément en France. Cependant, il affirme ne pas véritablement savoir si Mesdames est un projet qui est essentiellement féministe: «Je ne suis pas du tout bien placé pour répondre. Moi, le mot féminisme, je ne le maîtrise pas bien. Je ne me suis pas posé la question, à savoir si j’ai été féministe, si c’est un album féministe?»
Il ajoute: «Je n’ai pas grandi dans un milieu où on se disait féministe, et pourtant, je pense qu’on l’était. Je pense que j’ai grandi dans une famille qui m’a ouvert les yeux sur les inégalités hommes-femmes et, depuis longtemps, j’ai été choqué par beaucoup de choses, surtout par la surpuissance de l’homme sur la femme. Je n’ai pas entendu les mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc pour me rendre compte de l’ampleur de la situation.»
Il se questionne davantage sur l’étiquette féministe qu’on pourrait lui coller, puisque ce soutien si fort sur la place publique démontre qu’il est du moins un allié très vocal. Par contre, il croit que ce n’est pas son devoir d’en décider: «J’ai fait l’album sincèrement, en pensant à toutes les inégalités qui existent dans notre société. Après, est-ce que ça fait de moi ou de mon album un projet féministe? À la limite, ce sont des étiquettes qu’on colle, et ce n’est forcément pas à moi de décider.»
Un poète qui refuse la catégorisation
Mesdames marque un nouveau départ pour Grand Corps Malade, et ce, pour plusieurs raisons. Décrit comme un album-concept par celui-ci, le but premier de l’opus était de faire des collaborations: «Il y a un véritable éclectisme au sein de l’album, juste au niveau des chanteuses présentes, mais aussi parce que l’album n’est pas seulement composé de chanteuses, mais aussi de comédiennes, d’une jeune slammeuse, d’instrumentistes, etc. Le but était d’avoir un casting très diversifié qui permet à la fois de mettre de l’avant plusieurs types de femmes artistes et de les célébrer, en plus de permettre une exploration artistique très différente pour chaque chanson.»
Cet esprit de collaboration est nouveau pour Grand Corps Malade, et la sonorité de son oeuvre en témoigne. Il a fait affaire avec le DJ suédois Mosimann, qui a donné au projet «un mélange de variété pop et d’électronique, aux rythmiques musclées, à la fois pointu et grand public». La collaboration entre les deux artistes a été très organique et a marqué une fois de plus un départ pour le slammeur français dans son processus créatif: «Jusqu’ici, sur les albums précédents, mon processus démarrait plutôt à partir de mon texte, et je le donnais par la suite à un compositeur qui créait alors de la musique par-dessus. Ici, j’ai voulu vivre le processus inverse. J’ai demandé la musique avant, ou je la choisissais avec la personne avec laquelle j’allais être en duo, et j’écrivais par la suite les textes comme une figure de style imposée, puisque la musique et le rythme étaient déjà bien précis et bien établis.»
Lorsqu’il aborde son art, Grand Corps Malade essaie d’éviter toute grande catégorie ou genre prédéfini pour en parler. Il n’aime pas la manie qu’ont les gens de toujours vouloir mettre une étiquette bien précise sur absolument tout. Il préfère la contingence, être au milieu de plusieurs styles différents, être polyphonique, ce qui lui laisse en quelque sorte une liberté qui est très rafraîchissante à constater:
«Je ne suis vraiment pas un spécialiste des étiquettes. Je ne crois pas que ce soit très intéressant de donner tout le temps une catégorie à une œuvre artistique, et en plus, il se trouve que je suis peut-être plus au milieu de plusieurs catégories.»
Il réclame ainsi ses origines en tant que slammeur, qui sont souvent oubliées, puisqu’il mélange slam et musique, ce qui n’est pas nécessairement une façon classique de faire l’un et l’autre: «Moi, je viens du slam; le slam à la base, c’est le texte à nu, c’est le texte a cappella dans des petits lieux où on partage la scène à plusieurs slammeurs. Mais lorsque cela se retrouve sur un album, ce n’est plus du slam pur et dur; ma voix est mise sur de la musique, et quelle musique en plus! C’est un gros travail musical. Du coup, est-ce que c’est du slam en musique? Est-ce que c’est de la chanson? Si je parle assez rapidement sur un rythme assez soutenu, est-ce que c’est du rap? Je ne sais pas, et ça ne m’intéresse pas trop de définir justement. Si jamais on devait vraiment donner une définition, moi je resterais sur le terme chanson. C’est un texte, parfois chanté, parfois parlé sur de la musique, et l’ensemble est sur un album, donc, finalement, ce sont des chansons.»
Une ode aux femmes
«Veuillez accepter Mesdames cette déclaration / Comme une tentative honnête de réparation / Face au profond machisme de nos coutumes, de nos cultures / Dans le Grand Livre des humains, place au chapitre de la rupture.» C’est sur ces mots que s’ouvre l’album Mesdames. L’auteur-compositeur-interprète aborde des sujets percutants sur la condition féminine, et il s’amuse avec plusieurs clichés pour mieux en faire sortir le ridicule, mais aussi pour mieux montrer comment notre société patriarcale est insidieuse.
S’il avait, à ma demande, un moment précis à choisir et qui reflète bien le message et la mission de son album, son choix s’arrêterait sur «Pendant 24 h», qu’il a créée en collaboration avec Suzane. Il se met dans la peau d’une femme, pendant 24 heures, et elle dans celle d’un homme, pour créer un texte où ils dénoncent à la fois des injustices, tout en prenant du recul pour s’amuser avec les clichés hommes-femmes. «J’enverrai un mail au taf en faisant les courses à Carrefour / J’aiderai les enfants aux devoirs en sortant la quiche du four / Avec eux je serai joyeuse, avec mon mec, femme fatale / 24 h dans la peau d’une femme, je comprendrai la charge mentale / À 16 h 35 pile, j’arrêterai de travailler / Vu qu’après quand t’es une femme, et ben t’es plus payée / Je sortirai en jupe quelques instants dans les transports / Pour comprendre l’essence même du hashtag balance ton porc.»
Un passage coup de poing qui vient vraiment souligner la solidarité dont il fait preuve à l’égard des femmes.
Une tournée ?
En ce qui a trait à l’éventualité d’une nouvelle tournée, la pandémie de la COVID-19 a mis le monde culturel sur pause, mais Grand Corps Malade est très enthousiaste à l’idée de retourner sur scène: «On attend bien entendu la suite des évènements, mais bien sûr, il y aura une tournée! J’espère qu’elle ne sera pas trop tard. J’ai prévu normalement une tournée en 2021 et on espère que ce sera possible, même si on doit s’adapter, même si on doit avoir des masques, et tout. Moi je fais des disques pour faire des tournées.»
Il croit fortement que ce sera possible sous peu, si la pandémie reste contrôlée: «Il y aura des concerts et il y aura même des concerts chez vous, j’en suis sûr. J’ai eu la chance à chaque album de faire des tournées chez vous et il n’y a pas de raison que ça s’arrête. On attendra le temps qu’il faut et on s’adaptera comme il le faut.»