LittératureRomans québécois
Crédit photo : Le Quartanier
Stéphane – le narrateur qui, on le soupçonne, a beaucoup en commun avec l’auteur – n’a pas 20 ans et étudie en graphisme. Originaire de Trois-Rivières, il est «dans la marde»; le récit commence alors qu’il déménage catastrophiquement chez un ami d’enfance, se sauvant d’une précédente colocation où il n’a pas payé sa part depuis quelques mois, car il a engouffré des sommes considérables dans la stroboscopie hypnotique des machines de loto-poker. Il se trouve une job de plongeur dans un restaurant en vogue du Plateau, La Trattoria, et le roman raconte son adaptation à cet univers, et sa lutte avec les démons du jeu.
Si les nombreux repères géographiques nous sont immédiatement familiers, on apprend, en même temps que le plongeur apprenti, comment désigner les multiples instruments dont se servent les employés du restaurant, la hiérarchie et les rapports de force entre les différentes classes d’employés, et les petits rituels préparatoires qui aident à encaisser le rush. Comment rendre des tâches de cuisine typiquement répétitives dignes d’intérêt pour un lecteur sans prédilection particulière pour les arts culinaires? Le secret est dans ce livre. Les descriptions fiévreuses sont tellement maîtrisées qu’on ressent en même temps que l’antihéros son stress écrasant, son exaltation de joueur compulsif, ses multiples malaises.
C’est un livre que j’aurais aimé lire plus jeune, quand j’arrivais moi aussi de Mauricie et que l’énorme poids culturel de la «grande ville» m’intimidait et m’excitait à la fois. Le Montréal du narrateur, en 2002, est le même que le mien; la drogue, le Plateau, les shows de métal, les virées au Circus, le Roy Bar. En plus de l’aspect «nostalgie» qui ne touchera évidemment pas tous les lecteurs de la même façon, on se sent comme si les personnages, tous très vrais, existaient réellement. Ils nous rappellent tous quelqu’un qu’on connaît, et le plus coloré d’entre eux, Bébert, mentor de Stéphane, s’avère particulièrement sympathique.
Il est plutôt rare qu’un roman nous emballe au point où on le traîne partout avec nous, mais Le Plongeur possède cette étonnante caractéristique. L’action aurait difficilement pu être campée ailleurs qu’à Montréal, et l’abondance de références spécifiques pourrait échapper aux lecteurs étrangers ou plus jeunes, mais il leur restera toujours l’écriture finement ciselée, exempte de maniérismes, et au service de la progression du récit, et la structure des chapitres – on n’est jamais certain, en amorçant le prochain, s’il est une suite directe au précédent, un retour dans le temps, ou un bond dans le futur. On s’attache rapidement à ce narrateur un peu naïf, au cœur pur, qui observe discrètement le monde qui l’entoure et qui l’absorbe, avide de découvertes, accumulant le matériel qui, nous l’apprendrons à la toute fin, allait lui servir d’inspiration pour son premier roman.
Dans l’épilogue, Bébert lui dit: «Laisse faire la science-fiction, man. Ça me regarde pas, mais tu devrais écrire un livre sur moi, à la place». Et avec l’importance qu’il prend dans le récit, c’est un peu le cas. Car Larue nous offre un roman initiatique difficile à oublier, un roman qui sent la bière, la friture et la fumée de cigarette, sur fond de métal, de science-fiction et de nostalgie, détaillant un moment charnière dans l’histoire montréalaise récente.
Un livre à la fois sombre et lumineux, qu’on a envie de recommander à chaque personne avec qui nous avons partagé une parcelle de destin à cette époque choyée.
«Le Plongeur» de Stéphane Larue, Le Quartanier, 569 pages, 31,95 $.
L'avis
de la rédaction