«Le baptême de...» Guy Maddin – Bible urbaine

Cinéma

«Le baptême de…» Guy Maddin

«Le baptême de…» Guy Maddin

La naissance du David Lynch canadien avec «Tales From the Gimli Hospital» (1988)

Publié le 5 novembre 2015 par Alexandre Beauparlant

Crédit photo : DR (www.parismatch.com)

Membre de l'Ordre du Canada et cinéaste réputé mondialement (surtout dans sa Winnipeg chérie), Guy Maddin en a fait du chemin depuis ses débuts. Aimant du passé et des histoires racontées au pied du lit, il s'efforce de transmettre sa passion pour l'imaginaire depuis plus de 30 ans au moyen de films défiant la logique et les standards de production.

Pour le grand public, Guy Maddin n’est peut-être pas le plus connu des artisans du cinéma, mais il est à n’en point douter l’un des plus singuliers. Imaginez-vous un instant fouillant les malles poussiéreuses d’un grenier à la recherche d’antiques trésors lorsque, soudainement, vous mettez la main sur de vieilles bobines. Vous utilisez un projecteur, faites parler la pellicule et observez les images fantomatiques d’un film oublié, à l’âge centenaire, mystérieux et un brin fou, signé de la griffe d’un certain Guy Maddin. Sauf que nous ne sommes pas en présence d’un artefact datant du début du XXe siècle, mais bien d’un film de 1988, l’année des Die Hard, Who Framed Roger Rabbit et Beetlejuice.

À la base, il n’y a pas grand-chose qui destinait Maddin au cinéma. Diplômé en économie, il se lance dans une collection de boulots disparates tels que gérant de banque, peintre en bâtiment, ou encore archiviste-photo. Il poursuit son cheminement et s’inscrit à quelques cours de cinéma donnés par l’Université du Manitoba. L’homme y fait la rencontre de Stephen Snyder, un professeur ayant accès à toute la cinémathèque de l’université et organisant des projections privées à son domicile, projections auxquelles Maddin assiste religieusement. Ce dernier demande bientôt à un connaisseur de lui expliquer comment utiliser une caméra 16mm (cette opération durera environ 5 minutes). En s’inspirant des premières productions de son mentor Snyder, mais aussi de Luis Buñuel et David Lynch, il réalisera un premier court-métrage, The Dead Father (1985).

Tourné en noir et blanc, d’une esthétique simple et au déroulement narratif rappelant les films idolâtrés par son créateur, The Dead Father lui donne assez de confiance et d’expérience pour s’essayer au long-métrage. Armé d’un prêt de 20 000 $ distribué par le Manitoba Arts Council, il tourne sur une période de 18 mois Tales From the Gimli Hospital. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Guy Maddin ne recule pas devant les conventions. Sous le couvert d’une facture d’aspect classique, quoique chancelante et primitive au point de vue technique, se cache un film follement étrange.

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Dans ses œuvres, les histoires sont le plus souvent racontées par un personnage ne prenant pas part à l’action. Pour Maddin, cet aspect est fondamental et représentera l’une de ses marques de commerce. Il permet au public de replonger dans l’enfance, à ces moments privilégiés où l’imagination se laissait porter par la voix rassurante d’une figure plus âgée. En ce qui concerne le film sur lequel nous nous penchons en ce moment, les événements seront racontés dans une chambre d’hôpital par une grand-mère à ses petits enfants, racontant les exploits d’un certain Einar le solitaire.

«Approchez mes petits enfants, laissez votre grand-mère vous raconter l’histoire d’Einar le solitaire (Kyle McCulloch); pendant que maman se meurt sur un lit, juste à côté. Einar pêchait le poisson pour subsister. Un jour, comme il était de coutume à l’époque, il contracta la variole. On le mena à l’hôpital Gimli pour qu’il y reçoive des soins. Un Gimli ancien… qui n’existe plus aujourd’hui.»

Maddin, d’origine islandaise, offre par la même occasion un hommage à son héritage scandinave. À l’origine, son film-baptême devait se nommer Gimli Saga, en référence à un livre d’histoire du même nom portant sur une petite communauté nordique. Du coup, certains passages étranges du film le sont en partie pour des raisons culturelles, certaines coutumes folkloriques étant revisitées sur l’écran. Maddin demeurera en tout temps fier de ses racines et de son patelin. Ses films deviendront des versions mythiques de lieux ordinaires aux yeux des autres, comme la ville de Winnipeg.

«Son ami, le gros Gunnar (Michael Gottli), s’y trouvait lui aussi. Quel joyeux duo ils faisaient, lui et Einar, avec leurs plaies et leurs saignements incessants. Pour les soulager, on frottait des mouettes mortes sur leurs blessures. Et puis il y eut la jalousie! Eh oui, les deux comparses cherchaient à s’attirer l’affection des infirmières. On se graissait les cheveux avec des entrailles de poisson fraîchement pressés à la main. Gunnar le réussissait mieux, à séduire je veux dire.»

L’étrangeté et le cachet rétro, deux ingrédients primordiaux lorsqu’on mentionne Maddin, feront aussi partie de tous les titres à venir. Au fil des tournages, les genres cinématographiques les plus marginaux seront explorés (film de propagande pour la Première Guerre mondiale, film de montagnes allemandes, faux documentaire, etc) et les habiletés du réalisateur ne cesseront de croître, atteignant un paroxysme de délire vintage en 2015 avec The Forbidden Room.

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«Einar devait avouer un terrible secret à son ami Gunnar: il avait eu une relation sexuelle avec le cadavre de sa femme, Snjofridur (Angela Heck). Le veuf promit de se venger pour cette impolitesse. L’hôpital brûla peu de temps après et les deux amis, maintenant rivaux, acceptèrent d’un commun accord un duel d’empoigne-fesses. Beaucoup de sang fut versé. Gunnar se trouva une nouvelle copine et Einar demeura solitaire. C’est comme ça que se termine mon histoire les enfants. Oh, votre mère est morte.»

Tales From the Gimli Hospital n’est pas un grand film ni même un très bon film. Mais il constitue le témoignage réjouissant d’un homme qui a osé, et ce sur quantité d’aspects.

Mon coup de coeur de Guy Maddin: The Forbidden Room (2015), avec Roy Dupuis, Clara Furey, Mathieu Almaric et Udo Kier.

Prochaine chronique à surveiller: The Virgin Suicides (1999) de Sofia Coppola. Consultez nos précédentes chroniques au labibleurbaine.com/?s=Le+baptême+de…

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