ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Gracieuseté Porte Parole
Christine Beaulieu n’en est pas à ses premières armes en matière de théâtre-documentaire. Dans la pièce Seeds/Grains, présentée au FTA en 2012, elle incarnait l’alter ego de l’auteure Annabel Soutar, directrice artistique de la compagnie Porte Parole. Le degré d’engagement qu’implique J’aime Hydro est toutefois d’un tout autre ordre, alors qu’elle doit porter l’enquête sur ses épaules.
Il y a quelques années, alors qu’elle faisait des recherches pour son spectacle Le partage des eaux, Soutar a été confrontée à la difficulté de communiquer avec Hydro-Québec et a voulu comprendre pourquoi. Embarquée dans plusieurs projets parallèles, et n’ayant pas le temps de mener elle-même cette enquête, elle a confié à Christine Beaulieu le soin de se renseigner à sa place.
C’est en tant que citoyenne que la comédienne se présente au public du Théâtre La Licorne, alors qu’elle avoue d’entrée de jeu avoir une relation plutôt impersonnelle avec la société d’État. Elle fait d’ailleurs remarquer dans le spectacle que ce n’est que lorsque les gens sont touchés personnellement qu’ils trouvent l’énergie de se mobiliser. Le fait que Christine Beaulieu soit aussi peu intéressée et informée sur Hydro-Québec que la plupart des spectateurs dans la salle, du moins au début de son enquête, permet un réel accompagnement du public dans le traitement d’un sujet pointu et parfois laborieux. Son objectif est de susciter la discussion autour de l’avenir de l’hydro-électricité au Québec, qui est étroitement lié à celui de l’avenir de la société d’État
Rappelons que la nationalisation de l’électricité s’est faite d’abord en 1944 sous Adélard Godbout, puis dans les années 60 grâce à René Lévesque, alors ministre des Richesses naturelles du gouvernement Lesage. En plein cœur de la Révolution tranquille, Hydro-Québec a longtemps symbolisé une prise en charge collective des Québécois, mais l’attachement de la population envers la société d’État s’est désagrégé avec le temps.
J’aime Hydro aborde plusieurs questions complexes concernant notamment les différents secteurs de l’industrie hydro-électrique, la vente de l’électricité aux États-Unis, la hausse de la tarification des Québécois, les compteurs intelligents ou encore les énergies renouvelables. Toutefois, Christine Beaulieu a intégré au spectacle ses questionnements professionnels, ses doutes, ses angoisses, ses échecs amoureux…
Avec beaucoup de sensibilité et de candeur, Christine Beaulieu n’hésite pas à montrer l’envergure de l’implication personnelle que nécessite son projet, qui l’a amené entre autres à participer à des rencontres citoyennes, à prendre un hélicoptère pour visiter les barrages de la Baie-James et à rencontrer (après plusieurs tentatives ratées) le vice-président d’Hydro-Québec, non sans périodes de découragement où la télévision et le yoga deviennent son refuge. Elle révèle au public ses peurs, son incompétence en matière d’hydro-électricité, mais surtout son besoin de comprendre ce qui la relie les Québécois à Hydro-Québec
J’aime Hydro propose un parfait équilibre entre l’intime et le collectif, entre la vie de la comédienne et celle du peuple québécois.
Afin de l’aider à théâtraliser les résultats de ses recherches, Christine Beaulieu a fait appel au comédien et dramaturge Mathieu Gosselin, que l’on connaît principalement à cause de son implication au sein de la compagnie La Banquette arrière. C’est avec beaucoup d’humour qu’il campera tous les personnages secondaires de la pièce, dans un espace limité à des chaises et quelques écrans. Le concepteur sonore Mathieu Doyon, également présent sur scène, intervient à l’occasion le temps de quelques répliques, ou encore pour lire les titres de chapitres qui ponctuent le spectacle. Des illustrations de Mathilde Corbeil permettent de clarifier les explications plus techniques de la comédienne, en plus de rendre compte de l’apparence des différents intervenants.
De nombreux documents d’archives sont présentés, comme une entrevue télévisuelle avec l’ancien premier ministre Jacques Parizeau, un extrait de l’émission Point de mire animée par René Lévesque, des captations des rencontres citoyennes auxquelles Christine Beaulieu a participé, un extrait du film Chercher le courant, un autre d’un téléjournal annonçant la reprise des travaux sur la rivière Romaine, des passages du rapport Lanoue-Mousseau.
L’enquête de Christine Beaulieu étant toujours en marche, on ne peut pas savoir ce qui se retrouvera dans les deux derniers épisodes. Le public est d’ailleurs invité à proposer des pistes de réflexion et de recherche à la comédienne afin qu’elle puisse réellement jouer son rôle de porte-parole de la société québécoise.
La pièce «J’aime Hydro» sera disponible pour écoute en direct sur le web, gratuitement, jusqu’au 10 septembre. Les épisodes 4 et 5 du spectacle seront présentés à l’Usine C du 4 au 15 avril 2017, puis le projet entier sera archivé sous forme de podcast dès l’automne 2017 afin de rendre son contenu accessible à tous.
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Par Gracieuseté Porte Parole
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