ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Jean-Charles Labarre
Interprétant ici Félix-Antoine, Marie-Jeanne, Alice ou Fabienne, et là, un Youtubeur français ou une bien étrange fée à l’accent espagnol, les comédiens polyvalents Philippe Boutin, Sarah Cloutier-Labbé et Sarah Leblanc-Gosselin se mettent dans les chaussures (au propre, comme au figuré!) des vingt-quatre jeunes retenus sur les quelque 1500 qui ont répondu à l’appel de Stéphane Crête.
Tantôt humoristiques, tantôt d’une belle profondeur, parfois en chanson ou en slam, d’autres fois sous forme de manifeste ou encore de réponse très directe qui ne nécessite aucun exercice de style, les différents textes qu’ils livrent ont été collés, rafistolés et mis en forme par le commissaire, mais ils constituent des prises de parole adolescentes réelles et bien senties.
Dans ce cabaret éclectique à la mise en scène inventive, où une trentaine de tableaux se succèdent sur une scène chargée à pleine capacité, on nous parle avec humour de ce que c’est que d’être adolescent, on nous laisse entendre le langage propre à cette génération et si difficile à comprendre pour les «plus vieux» qu’une scène particulière nécessite un doublage – une idée originale et à l’effet hautement comique! –, et on nous présente en plein visage tous les préjugés que cette jeunesse entretient et que les «autres» maintiennent à leur sujet, grâce à un numéro participatif où les comédiens font voter les jeunes spectateurs afin de tâter le pouls, à savoir s’ils sont d’accord ou non avec ces énoncés. Certaines évidences se confirment, tandis que d’autres propositions sont rejetées en bloc: connait-on mal la jeunesse?
Car c’est bien là le but de ce spectacle complètement éclaté: faire entendre la parole de ces jeunes, écouter leurs revendications, leurs opinions, leur regard sur le monde, sur la société, leurs inquiétudes par rapport au réchauffement climatique ou à la politique, leurs rêves et leurs aspirations; bref, leur laisser la liberté de s’exprimer sans contrainte ni interruption. C’est donc dans cet état d’esprit qu’il faut recevoir cette pièce délurée, cet objet quelque peu bizarroïde qui navigue entre le sketch et la chanson, entre le duo d’humour et la lecture publique.
C’est précisément cette diversité et ce côté affranchi qui nous rendent confiants que ce spectacle pensé par et pour des adolescents est d’une grande efficacité et saura non seulement capter, mais aussi retenir leur attention et leur intérêt. En effet, sous la direction de Monique Gosselin et grâce à l’agencement de mots de Stéphane Crête, cette multitude de personnages et de points de vue, certains plus philosophiques ou profonds, et d’autres, plus anecdotiques, on tombe souvent dans la légèreté ou l’humour. Et si certains pourraient reprocher au spectacle de ne pas assumer la lourdeur et l’intensité de certaines paroles, on y voit surtout une façon de s’assurer de ne perdre aucun jeune en cours de route, en renouvelant constamment la forme et en leur offrant quelque chose d’amusant qu’ils auront envie d’écouter jusqu’au bout.
Il est certain qu’on aurait parfois préféré un autre traitement pour mieux entendre et écouter les réflexions qui se cachent derrière les artifices, mais il n’en demeure pas moins que Le Scriptarium 2018 est un grand divertissement. Il est un ravissement pour les yeux, notamment grâce aux superbes panneaux d’écriture accrochés au centre, sur lesquels les textes de ces jeunes sont imprimés, et pour les oreilles, entre autres grâce à «Avalanches», une très belle chanson interprétée par les deux comédiennes, accompagnées de main de maître par Nicolas Letarte-Bersianik, qui assure une présence musicale diversifiée tout au long de la pièce. Ce numéro comporte l’un des textes les plus profonds et poignants du spectacle, mais là encore, on le désamorce et lui insuffle une dose d’humour en accordant à Philippe Boutin une portion de rap.
Les apparences, l’importance des réseaux sociaux, la période ingrate des premières règles et des transformations du corps à l’adolescence, les difficiles conversations sur la sexualité entre parents et enfants, la présence importante des influenceurs du web dans la vie des adolescents; il faut avouer que rien n’est oublié dans ce spectacle fort pertinent, durant lequel peu de spectateurs auront eu conscience d’être passés du «Je» («J’suis tannée de…», «J’ai peur de…») au «Nous…», sans oublier le «Pendant ce temps…» qui donne lieu à d’importantes préoccupations.
Pourtant, tous en retiendront une parole unie et puissante, un reflet d’une génération bien allumée qui a d’excellents arguments pour faire mentir Stéphane Crête!
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Par Jean-Charles Labarre
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