ThéâtreDans l'envers du décor
Crédit photo : Ulysse del Drago
Elen, on aimerait que tu nous racontes comment tu en es venue à faire de la création de costumes et d’accessoires pour le théâtre?
«C’est une suite de rencontres! À commencer par ma professeure d’arts plastiques du secondaire, qui m’a fait prendre conscience des métiers de conception liés aux arts de la scène, dont celui de conception de costumes. Merci à elle! Je me suis immédiatement dirigée vers une formation en théâtre.»
«Puis, les collègues, les collaborateur·rices, les ami·es, qui ont fait en sorte que je continue et poursuive mon travail dans cette branche. D’autre part, je l’avoue, mon rapport aux vêtements a toujours été assez ludique. Mon intérêt pour l’expression vestimentaire a toujours été vif. J’observe au quotidien les manières qu’ont les gens de se vêtir, et je ne cesse d’être étonnée par des détails particuliers! En déduire des interprétations liées aux modes ou aux histoires personnelles anime toujours mes réflexions.»
«Si je fais des costumes, c’est surtout entre autres grâce à mes connaissances et mes aptitudes, mais ce qui m’intéresse avant tout, c’est le spectacle en tant que tel! La dramaturgie est le point central de mon élan. Au théâtre, j’apprécie le travail en équipe, j’aime que l’on converge tous ensemble vers une première représentation.»
En tant que créatrice de costumes, est-ce que tu travailles seule avec un texte et des idées dans ta tête, ou plutôt conjointement avec l’équipe de créateurs et le metteur en scène, avec qui tu façonnes les lignes directrices des différents looks?
«Là aussi, c’est une suite: une exploration constante où se mêlent les idées, les projets et les réalisations. C’est comme une constellation où tout est lié. Puisque je fais beaucoup de travail de création, le texte en lui-même ne représente pas le point de départ; il est souvent absent en début de processus. C’est le projet lui-même qui est le moteur initial. Ça comprend une équipe partielle et une idée ou une thématique (qui va souvent changer!) De là, je peux entamer des recherches. Tout ce qui va se présenter à moi à partir de cet instant précis devient une potentielle source d’inspiration. C’est vaste et j’ai soif de tout!»
«Je glane en cours de route tout ce qui, intuitivement, pourrait servir ici où là, parce que plusieurs conceptions se font en même temps. J’approfondis en ciblant des sources que je ne pourrais pas trouver de façon hasardeuse; des écrits et du visuel en lien avec les projets. Puis s’aligne un calendrier de production, et de là l’effet d’entonnoir vient préciser les choix. Je confronte alors mes premières intuitions avec les différents intervenants, et se construisent alors des piliers artistiques plus solides.»
«Bien que je demeure à l’écoute de tout ce qui m’entoure, c’est dans la relation avec le metteur en scène que se noue de façon plus serrée la définition artistique du projet, et ce, au fur et à mesure qu’on approche du soir de la première. Tout au long du parcours, je tente de le nourrir en raffinant les idées et en partageant le mieux possible l’ensemble de mes considérations. Réfléchir ensemble et-ou confronter les visions, voilà ma réelle source d’inspiration.»
Comment conçois-tu tes costumes et par quoi te laisses-tu inspirer pour ton travail? Puises-tu ton inspiration dans le passé ou essaies-tu toujours d’innover?
«Il s’agit de faire du chemin… Le travail trouve sa source, son inspiration, dans le fait de travailler. Mais, surtout, ce sont des possibilités; comment se présenteront les évènements aura toujours une grande influence sur la réalisation: la relation avec mes pairs, l’environnement de travail, les matériaux qui vont se trouver sous ma main, etc. Il y a beaucoup de hasards, mais c’est d’être continuellement en position de faire un choix qui est l’essence même de mon travail. Et toutes les avenues sont bonnes lorsqu’on plonge et qu’on travaille fort pour les mener au mieux dans des termes créatifs.»
«J’essaie toujours d’établir des liens conceptuels entre des sources de différentes époques. Quand je travaille sur une œuvre plus ancienne, je tente de voir ce qui ressemble à l’univers historique dans les courants contemporains, et vice-versa. Les modes d’aujourd’hui citent abondamment l’histoire… J’aime retracer les chemins et me laisser inspirer par ces ponts entre deux univers. C’est dans un cumul d’associations de sources que je définis mes propres propositions.»
À quoi ressemble une journée typique pour toi en tant que créatrice de costumes? Fais-nous un petit récit des grandes lignes pour que l’on comprenne bien ton quotidien!
«Au quotidien, je dois gérer énormément de communications. Comme je travaille constamment sur divers projets et que ça implique différentes équipes, je dois répartir mon temps entre les créations en cours de conception, celles en cours de réalisation, et celles qui sont à quelques pas d’être en représentation; la période que l’on nomme l’entrée en salle.»
«Concrètement, ça veut dire: chercher des images et-ou des sources diverses d’inspirations; faire des maquettes; faire un suivi avec mes assistant·es; faire des suivis avec les ateliers; faire du magasinage de toutes sortes de choses; prendre des mesures de comédiennes et comédiens; faire des essayages; regarder les photos d’essayages et les partager avec l’équipe; rencontrer les metteur·es en scène pour discuter; faire des réunions de production; passer en répétition; fouiller mon costumier personnel et tenter de le garder un minimum à l’ordre; apporter des costumes lors des répétitions et faire des essais sous forme de laboratoires; réfléchir à ceci ou à cela; évaluer «budgétairement parlant» et en termes de faisabilité les projets; mettre la main à la pâte sur les derniers détails des fabrications presque achevées ou pour mieux définir les débuts de certaines ébauches artistiques à confectionner; faire des choix réalistes; parler à mes agentes de mes contrats en négociation; leur raconter mes projets en cours et mes questionnements sur mes conditions de travail; lire des textes; lire des articles; jaser avec des ami·es de ces articles; voir des spectacles réalisés par mes pairs; faire des comptes-rendus de dépenses; faire des listes; regarder les listes faites par mes assistant·es; fouiller les friperies; laver mes trouvailles en friperies; passer chez le nettoyeur; passer chez le cordonnier; faire des appels divers pour trouver des choses insolites ou des trucs pour réaliser des choses auxquelles je n’avais jamais songées avant ce jour-là; essayer des costumes pour voir comment ils tombent sur un corps; tenter de ne rien oublier; recommencer ce que j’ai fait hier parce que ça ne fonctionnait pas et que, maintenant, je crois avoir trouvé la bonne manière; organiser l’horaire; réorganiser l’horaire; trouver des solutions souples à des urgences qui n’étaient pas prévues à l’horaire; et, enfin, écouter de la musique pop en boucle, parce que ça m’amuse et que ça ne me demande aucune attention artistique. Tout ça, c’est le quotidien. Évidemment que tout ça n’arrive pas dans une seule et même journée, mais presque!»
Quel a été ton plus grand défi à relever en carrière?
«D’un spectacle à l’autre, les défis demeurent les mêmes: viser une rencontre artistique approfondie dans un contexte qui, lui, varie.»
«Tout découle d’une capacité à répondre de façon créative à l’ensemble des défis que compose chacune des productions. Néanmoins, je pense que le plus grand défi de ma carrière, j’y fais face perpétuellement depuis un an: la disparition de la main d’œuvre, la pénurie de gens spécialisés représente un défi de taille.»
«Concrètement, les artisans sont si surchargés que je dois faire affaire avec beaucoup d’intervenants différents et, par ricochet, ça crée une surcharge au niveau de la gestion. À cet effet, le meilleur conseil que l’on m’a donné est le suivant: «Ne crois pas que tu peux tout faire toute seule!» C’est pourquoi je tente de garder la relation de travail avec mes proches collaborateur·rices toujours dans la sérénité, malgré tout.»
Est-ce qu’il y a une ou quelques productions sur lesquelles tu as travaillé dont tu es particulièrement fière ou qui t’ont particulièrement marquée?
«Les occasions sont parfois plus propices à réaliser des costumes qui seront flamboyants! Je pense à L’Idiot, dans une mise en scène de Catherine Vidal, ou à Manifeste de la Jeune-Fille, dans une mise en scène d’Olivier Choinière, où les costumes avaient une visibilité importante. Dans cette dernière, les costumes étaient au cœur de la mise en scène, puisque les acteurs se changeaient continuellement. Un tel procédé exige une relation serrée avec l’équipe d’acteurs et le metteur en scène, et ce genre d’occasion m’enthousiasme particulièrement.»
«Aussi, la façon dont on est disposé envers un projet a une très grande influence sur sa réalisation. En général, je suis fière de tous les projets où l’on ressent un sentiment d’accomplissement collectif qui est en tous points créatif. En fait, je suis plutôt fière de mon travail en général. Surtout pour les relations artistiques que je tisse. Le résultat plastique m’importe aussi, bien sûr, mais il est avant tout le reflet du travail; une recherche commune qui prend forme sur scène.»
Qu’est-ce ce qui fait ta particularité comme conceptrice de costumes et d’accessoires pour le théâtre, selon toi, et qui fait que ta signature est reconnaissable?
«J’aurais tendance à dire que c’est plutôt une balance de mes atouts qui fait ma particularité. Je crois que mes forces sont rétablies dans un ensemble d’aptitudes qui font en sorte que je suis en adéquation avec ce métier et ce qu’il requiert. La souplesse est centrale. J’ai, en somme, une part de talent, une capacité à travailler en équipe, et des aptitudes de gestion… Et ces dernières sont essentielles à un fonctionnement équilibré. Aussi, je sais bien m’entourer! Je travaille avec beaucoup d’assistant·es afin d’arriver à réaliser tous les projets en cours. Je tente de les intégrer dès le commencement, de façon à ce qu’ils soient investis, et pour éviter de faire appel à eux pour simplement déléguer du travail en surcharge.»
«Mais c’est une question qui m’interpelle de façon étrange… cette idée de signature! On qualifie parfois mon travail d’atypique, mais qu’est-ce qui est censé être typique dans un travail créatif? Dans tous les cas, j’agis avec sincérité et je tente de créer de la manière la plus juste, la plus claire et la plus sensible aux êtres avec qui je partage ces projets. Je crois fermement qu’à chaque projet, c’est l’univers artistique chapeauté par un·e metteur·e en scène que je tente de servir. En fait, j’aimerais bien que vous ne me reconnaissiez pas!»
«Néanmoins, mon travail de conception de costumes se construit souvent avec une grande part de matériaux usagés. Les cueillettes en friperies ont toujours fait partie de mon mode de vie, et ce, bien avant que je travaille les costumes. Selon moi, le mélange de costumes plus récents et plus vintages permet de toucher une sorte de vérité esthétique plus hétéroclite. Aussi, beaucoup de mes projets passent par des interventions de patines; teintures et enduits, ou interventions diverses sur les vêtements. Je ne me contente pas de «vieillir» les vêtements. Ça me permet des recherches créatives où ont lieu des transformations artistiques de différentes façons plastiques qui me stimulent beaucoup!»
Dans quel(s) projet(s) pourrons-nous voir ton travail prochainement, si ce n’est pas un secret d’État?
«Les saisons sont lancées… c’est une année chargée, encore! Il faut savoir que je me concentre uniquement sur les arts de la scène en théâtre et en danse. J’ouvre les saisons de DUCEPPE et du TNM; je travaille sur les costumes des spectacles Héritage et de Knock. De plus, cette année, je serai beaucoup au Théâtre Denise-Pelletier; je fais les costumes pour les créations de Catherine Vidal et Olivier Choinière dans la salle principale, et les décors, costumes et accessoires de la création de Gabrielle Lessard dans la salle Fred-Barry. Aussi, je collabore de nouveau avec Virginie Brunelle, dont le nouveau spectacle sera présenté par Danse Danse.»