ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Danny Taillon
La pièce s’ouvre sur une salle d’attente d’un hôpital. Dan (Isabelle Blais) accompagne la jeune et mystérieuse Alice (Inès Defossé), qui s’est fait frapper par un taxi sous ses yeux.
Leur jeu de séduction laissera place à un amour passionnel qui inspirera un premier roman à Dan.
Quelques années plus tard, lors d’une séance photo pour la promotion de son livre, Dan s’éprend de la photographe de renommée internationale Anna (Alice Pascual). Le désir est réciproque, mais Larry (David Boutin), un médecin rustre qui ne cherche qu’à assouvir ses pulsions sexuelles, viendra contrecarrer la possibilité d’une union, charmant de manière maladroite la belle Anna.
Ni Alice ni Larry ne comptent se faire détrôner aussi facilement par l’amour vibrant entre Dan et Anna…

Photo: Danny Taillon
Écrite en 1997, cette pièce traite des dynamiques de pouvoir et de désir au sein du couple. Il est question, entre autres, de trahison et de possession, mais surtout d’un questionnement profond: comment aimer?
Un rythme lent et une tension inexistante
Si la rencontre entre Alice et Dan est somme toute convaincante, celle entre Anna et Dan est toutefois dépourvue de réalisme. On ne ressent aucunement la tension qui naît promptement entre les deux protagonistes.
Est-ce trop improbable comme coup de foudre? Est-ce que l’intimité de la caméra de Nichols parvenait à mieux traverser l’écran et à atteindre le public? Non, pas forcément. Cette courte scène constitue le moment décisif de l’histoire, et pourtant, on ne ressent aucunement l’amour brûlant entre Dan et Alice qui les mène à remettre en question leurs relations respectives.
Anna semble se contenter d’un docteur grossier, un dermatologue dont seul le statut social est prestigieux, et la personnalité, vulgaire. Croyant à un subterfuge de la part de Dan qui, dans ses temps libres, troque la plume pour du sex talk sur des applications de rencontre, celui-ci se fait passer pour Anna et donne rendez-vous à Larry à l’Aquarium. Oh, coup de théâtre: Anna s’y trouve réellement, car c’est son endroit de prédilection pour se recueillir.
Le texte est en soi prévisible à plusieurs égards. Le rythme qu’on lui concède est inexistant, linéaire et ennuyant.
Toutefois, le personnage le plus soumis à ses bas instincts, en l’occurrence Larry, est celui qui est le plus lucide et perspicace. Campé de manière désinvolte et rudimentaire par David Boutin, celui-ci révèle une facette avec du mordant et une intelligence émotionnelle surprenante. Son personnage saisit très bien les faiblesses de chacun et en abuse sans une once de culpabilité!
Inès Defossé, la révélation de la pièce!
La jeune comédienne Inès Defossé marque, dès sa première apparition sur scène, par sa désinvolture et son côté aguicheur. Son personnage flirte avec sensualité et beaucoup de sex appeal.
On comprend aisément pourquoi Dan craque littéralement pour cette incarnation de la jeunesse incandescente. Cependant, le personnage d’Alice, sous sa carapace de dure à cuire, cache une sensibilité désarmante et touchante, visiblement notamment lors de l’annonce de la rupture où elle s’écroule en pleurs, dévastée. Elle s’agrippe, malgré le rejet de Dan, qui semble éprouver de la pitié et de la culpabilité.
De plus, l’actrice a dû apprendre le pole dancing, ce qui, en soi, relève d’un réel tour de force pour une scène particulièrement poétique sur le plan de la scénographie. D’ailleurs, le point fort de ce spectacle réside dans le sublime travail de Geneviève Lizotte.

Photo: Danny Taillon
Une scénographie efficace: LA force de ce spectacle
Cette dernière, scénographe réputée et brillante, a créé ici deux plateaux tournants, permettant ainsi de montrer plusieurs lieux différents (appartements, café, salle d’attente, bar de danseuses, etc.)
Le mouvement évoque le cycle des relations qui naissent et qui meurent. Et que dire des projections de textos géants où on se glisse dans l’intimité d’un échange obscène entre Dan et Larry? Ou encore cette scène épique durant laquelle Larry confronte Alice, s’offrant une danse érotique dans une salle privée? L’éclairage violacé est enveloppant, chaud et à la fois révélateur de la perversité de Larry. Sur le plan scénographique, c’est admirablement bien réussi!
En somme, la pièce Contre toi est intéressante par son essence et par son propos. Elle aborde ce désir fondamentalement humain de vouloir être aimé·e à tout prix et ce besoin de posséder l’autre à défaut d’éprouver un amour vrai et sincère qui demande une réelle ouverture de soi, un abandon et une confiance mutuelle.
La place de la sexualité est un enjeu fondamental qui fait naître la confrontation, comme si la jouissance était un drapeau de la victoire que l’on brandit.
D’ailleurs, le choix de féminiser le personnage de Dan a été fait pour éviter l’aspect «hommes des cavernes» qui se disputent la même femme. Le genre n’y change rien. On ne s’attarde pas à ce choix de mise en scène. On s’attarde aux dynamiques de couple, aux bassesses de l’être, à ses pulsions, à son émotivité.
J’avais personnellement hâte de retrouver la fabuleuse Isabelle Blais, qui campe ce rôle. Elle a une dégaine assumée dans le rôle de Dan, ce séducteur invétéré. Toutefois, si la pièce demeure sans réelle surprise, j’espère au moins qu’elle permettra des discussions à la sortie de la salle.
La pièce «Contre toi» du dramaturge Patrick Marber
Par Danny Taillon
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Photo: Danny Taillon
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