«Il fera trop froid», un spectacle de Thomas Duret à voir à la Cité-des-Hospitalières jusqu’au 1er février – Bible urbaine

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«Il fera trop froid», un spectacle de Thomas Duret à voir à la Cité-des-Hospitalières jusqu’au 1er février

«Il fera trop froid», un spectacle de Thomas Duret à voir à la Cité-des-Hospitalières jusqu’au 1er février

Une expérience performative et insidieusement politique

Publié le 20 janvier 2025 par Éric Dumais

Crédit photo : Juliette Diallo

Dès le 21 janvier, la Cité-des-Hospitalières en transition ouvrira les portes de sa Salle de communauté à un public friand d’arts vivants prêts à vivre un moment de théâtre sans précédent. Fidèle à sa signature si singulière, à la fois dense et réfléchie, l’auteur et metteur en scène Thomas Duret, fondateur de Baobab – Création multidisciplinaire, présentera jusqu’au 1er février «Il fera trop froid», un nouveau spectacle qui se situe aux frontières de la création en salle et du projet in situ dans lequel il invite les spectateurs∙trices à être témoins d’une expérience rassemblant sept personnes devant un maître de jeu. Le but recherché? Voir comment des individus qui ne se connaissent ni d'Ève ni d'Adam réagissent lorsqu’on leur accorde (trop) de leadership et de pouvoir.

«Je pense qu’en toile de fond, les dynamiques de pouvoir, ça m’a toujours profondément atteint. L’une des caractéristiques du Haut Potentiel Intellectuel (HPI), c’est qu’il est profondément affecté par les situations d’injustice; plus que la normale, en tout cas. Donc, c’est forcément un truc auquel je suis extrêmement sensible», m’a confié Thomas Duret rejoint au bout du Zoom.

Cette soif, ou plutôt ce besoin de décortiquer et de mieux comprendre la manière dont le système fonctionne, a poussé l’auteur, metteur en scène et poète, fort d’une vingtaine de créations artistiques à son actif, à entreprendre plusieurs lectures sur le sujet. Sa conclusion: tous les systèmes sont orientés par des dynamiques de pouvoir.

C’est surtout à travers les nombreuses lectures qu’il a faites – Mein Kampf d’Adolf Hitler, Si c’est un homme de Primo Levi, ou encore La tyrannie de l’horizontalité de Jo Freeman notamment – que son champ de compréhension du monde qui l’entoure, et de ses structures, s’est élargi, lui ouvrant grands les yeux sur la réalité qui l’entoure.

Celui pour qui l’acte créateur occupe 100% de son temps libre et professionnel et qui, de son propre aveu, a constamment ce besoin de faire deux-trois choses en même temps, ou de lire quatre-cinq livres en parallèle, m’a assuré, sûr de lui: «Ce n’est pas pour me garder stimulé; c’est pour me garder intéressé!»

Intéressé, il l’est très certainement, car notre discussion allait bon train que, déjà, nous avions abordé bon nombre de sujets plus intéressants les uns que les autres – la performativité du langage, le caractère insidieux de la politique, l’existence des phénomènes de masse, la montée des idéologies extrémistes, etc. Bref, un passage obligé pour m’aider à comprendre plus en détail la toile de fond d’Il fera trop froid.

«Il y a quelques années, j’ai participé à un laboratoire au cours duquel j’ai eu envie de travailler sur des manifestes fascistes de Hitler, de Mussolini et de Staline. J’étais parti de Mein Kampf principalement, en me disant, “si je le lis et que j’en extrais certains fragments, comment puis-je me servir de ça pour parler de la montée des idéologies extrémistes?”»

Ce qui intéressait Thomas Duret, au fond, c’est de savoir de quelle façon le contexte historique a permis à Hitler de devenir la personne qu’il est devenu.

«Les gens normaux ne savent pas que tout est possible» – Primo Levi, auteur de Si c’est un homme

«C’est une phrase qu’on réutilise dans le spectacle et qui est tirée d’un livre écrit par l’écrivain italien Primo Levi, alors qu’il était emprisonné dans un camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz. Moi, je trouve que c’est une phrase incroyable, parce que Hitler, comme Staline, étaient tous deux des personnes tout à fait anodines, normales, dans un sens – bien sûr, ils avaient des traits de pervers narcissiques évidents – mais à la base, ce sont des gens comme toi et moi. Mais quel est le contexte qui leur a permis de grandir et de devenir ces personnes qui ont fini par détruire le monde? Ça, ça m’intéressait.»

Photo: Juliette Diallo

«Je pense que tout le monde, à un certain degré, possède ces attributs-là. Après, il y a le contexte, les choix personnels qu’on fait, qui nous emmènent vers autre chose. Je ne dirais pas que tout le monde est un dictateur potentiel, quoique… ça reste à prouver!», s’est exclamé Thomas Duret avec un sourire dans la voix. «Il faudrait faire une expérience sociologique, mais je crois que ce n’est pas très loin de la vérité!», a-t-il ajouté en riant.

L’homme de théâtre et de lettres s’est souvenu d’une résidence de création à Berlin à laquelle il a participé en 2016, une expérience qui l’a longtemps habité. «Le fait d’avoir été immergé dans l’histoire, même soixante-dix ans plus tard, alors qu’il y a tellement de traces de ce qui s’est passé, ça m’habitait beaucoup. À travers les lectures, j’avais envie de voir comment je pouvais aborder cette thématique-là, la construction des idéologies totalitaires et/ou extrémistes, mais plus dans une optique d’essayer de voir ce qu’il se passe avant ça. C’est quoi le terreau qui pourrait nous emmener à. Le show, c’est un peu ça. C’est un prologue à», m’a-t-il confié.

Une expérience performative et insidieusement politique

Dans Il fera trop froid, le public fait, au fil des deux heures et vingt minutes que dure ce spectacle – avec un entracte s’il vous plaît! –, la connaissance d’un groupe de sept inconnus rassemblés autour d’un maître de jeu, nommé Jean-Sébastien. Bienveillant, ce dernier convie les différents participants, joués par Samuel Bleau, Mathieu Chéhadé, Ariane Bassery, Julianne Decerf, Brice
Gouguet, Catherine Côté-Moisescu, Marianne Lamarche et Luca Max, à prendre part à une série de jeux et de situations en groupe avec, comme toile de fond, la notion de leadership pour bien teinter les esprits.

Alors qu’au départ l’ambiance est intime et décontractée, bien vite, les situations adoptent un nouveau tournant, plus compétitif et exigeant physiquement celui-là. Ainsi, «par une accumulation de maladresses sociales et de rancunes insidieuses, l’ambiance s’envenime et le groupe fait face à un possible éclatement sous le poids du conflit. Les personnalités de chacun∙e prennent de l’ampleur et emportent le groupe dans une boucle de laquelle il semble difficile de sortir…»

Comme spectateur, et c’est là que le spectacle devient une totale expérience sociologique, vous allez être témoins de discussions, d’échanges et de situations diverses et, sans que vous vous en rendiez compte, vous allez vous identifier d’instinct à certaines personnes du groupe, ce qui est tout à fait naturel en soi. Or, et c’est là la plus grande fierté de Thomas Duret: tout cela n’est qu’un leurre, puisque tout va finir par basculer…

«On a été capables, lors de l’écriture, de créer des persona sur scène de gens avec des personnalités qu’on connaît et qui sont très proches de nous. À un moment du spectacle, on fait exprès de créer un moment d’ouverture et de bienveillance pour que le public ait ce processus d’identification avec quelqu’un sur la scène. Et de manière hyper insidieuse, le spectateur va finir par réaliser qu’il n’est finalement pas d’accord avec ce qui est dit, alors qu’au début, il s’identifiait à tel ou tel personnage. Ce qui m’intéressait là-dedans, ce n’était pas juste que la personnalité ressorte; c’est pourquoi elle ressort, et dans quel contexte».

Photo: Juliette Diallo

Plus on parlait du spectacle, et plus mon interlocuteur portait une attention particulière à ce qu’il disait, comme s’il était légèrement sur la défensive. Car pour lui, moins le public en sait, mieux c’est. À son avis, cela va vous permettre, cher public, de mieux comprendre toute la mécanique insidieuse du cerveau humain.

«Imaginez passer d’une personne anodine, sans intérêt et sans ambition de pouvoir à… “Oh, voici ce que je deviens quand on me donne du leadership!”» Avouez que c’est intrigant?

Quand l’art hante les esprits

«Je pense que les gens vont sortir de la représentation à la fois avec des réflexions, des questionnements et peut-être des réponses, mais nous, on n’en donne pas beaucoup!», avoue Thomas Duret, l’air coquin.

Il poursuit: «En général, les gens sortent de mes shows non pas dubitatifs, mais plus en mode, j’ai besoin de décanter, car j’ai vécu beaucoup d’affaires. Moi, je trouve ça ultra satisfaisant dans l’absolu, car ils ont pris de leur temps et de leur argent pour vivre ça, et en plus, ils ont été habités par ma création. J’aime l’idée que les projets que je fais hantent les gens.»

Et Il fera trop froid, dans tout ça? J’ai essayé d’en savoir plus sur la signification du titre, mais mes tentatives de déchiffrer le sens caché ont été infructueuses.  «Le titre, c’est devenu ma marque de commerce. Chacun d’eux est évocateur de l’ambiance de mes spectacles. J’aime les titres dans la vie, surtout les beaux titres. Pour ce show, il y a comme quelque chose d’à la fois menaçant et annonciateur, mais je n’en dirai pas plus!»

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Thomas Duret vous met au défi de venir voir le spectacle et de réfléchir à l’énigme, un coup la représentation terminée. «C’est un genre d’épilogue avec lequel repartir!»

L’équipe de conception du spectacle:

  • Mise en scène et texte: Thomas Duret
  • Assistant à la mise en scène et régie: Guillaume Deman
  • Direction de production: Florence Leguérinel
  • Scénographie, costumes et accessoires: Joanna Gourdin
  • Conception lumière: Jo Vignola
  • Conception sonore live: Gabriel Ledoux
  • Direction technique: Laure Anderson
  • Conseillère au mouvement: Stefania Skoryna
  • Conseiller dramaturgique à l’écriture: Pascale Brullemans
  • Visuel: Guillaume B. Riopel

Alors, êtes-vous prêt∙e à vivre une expérience théâtrale et performative qui promet d’être à la fois déstabilisante et novatrice? Qui sait, peut-être que vous en apprendrez plus sur les torts et les travers de la nature humaine et que vous en ressortirez grandi∙e? Ne ratez pas votre chance de voir Il fera trop froid, une présentation de Baobab – Création multidisciplinaire, à voir jusqu’au 1er février (19 h en semaine et 16 h les samedis). Procurez-vous vos billets dès maintenant au www.my.weezevent.com/il-fera-trop-froid. Bon spectacle!

La générale du spectacle «Il fera trop froid» en images

Par Juliette Diallo

  • «Il fera trop froid», un spectacle de Thomas Duret à voir à la Cité-des-Hospitalières jusqu’au 1er février
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    Photo: Juliette Diallo
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    Photo: Juliette Diallo

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