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Crédit photo : Falling Tree Photography
A Tribe Called Red nous revient en force avec ce riche album aux quinze pièces qui mettent toujours de l’avant les rythmes traditionnels inspirés des Pow-Wow, ces fêtes autochtones qui perpétuent la culture des Premières Nations où danse, musique et costumes traditionnels sont à l’honneur. D’ailleurs, si vous n’avez jamais assisté à un tel rassemblement encore, vous devriez le mettre à votre agenda pour vivre une expérience hors de l’ordinaire.
Le groupe, composé de DJ NDN, Bear Witness, 2oolman et créé en 2008, s’est fait connaître entre autres pour avoir mis sur la carte le genre pow-wow step, un mélange de hip-hop, de reggae, de musique trad autochtone et de dubstep. Bear Witness a instauré une véritable tradition au Club Babylon d’Ottawa où, chaque deuxième samedi du mois, il organise une soirée Electric Pow Wow durant laquelle se mêlent danseurs et projections d’images de stéréotypes autochtones tirées de films.
Le premier album homonyme de la formation, A Tribe Called Red, s’était classé parmi les dix meilleurs albums du Washington Post en 2013, et le groupe a également marqué une page de l’histoire musicale en étant la première formation autochtone à remporter le prix de Découverte de l’année au gala des Juno. Leur deuxième album Nation II Nation a aussi figuré sur la liste des nommés pour le prix de l’Album électronique de l’année en 2014.
Bien qu’A Tribe Called Red s’est toujours positionné comme un groupe à la défense des droits des Autochtones, le nouvel album fait passer son message identitaire bien plus clairement: les Premières Nations existent et ont bel et bien l’intention de faire entendre leur voix encore plus fort.
L’album s’ouvre sur les paroles du poète et musicien militant John Trudell. «We are the tribe that they cannot see / We live on industrial reservations / We are the Halluci Nation / We have been called Indians / We have been called Native Americans / We have been called many names / The Callers of names cannot see us / But we can see them».
Parmi les chansons «rentre-dedans» et dénonciatrices des nombreuses atrocités qu’ont vécues et continuent à vivre les Autochtones, soulignons «Before», qui fait référence à l’histoire de Chanie Wenjack (surnommé à tort Charlie par ses professeurs), ce jeune homme de 12 ans qui est décédé il y a cinquante ans après s’être sauvé d’un pensionnat indien près de Kenora, en Ontario, pour retourner à la maison où il avait été arraché à plus de 645 kilomètres de là.
«You ran away from this residential school and all you wanted you said was just to get home […] I wish they never did in that school what they did to you / You’re still hurting Charlie / We gonna hurt for a long time / We hurt from the before / And it makes us hurt so bad right now».
Le récent projet multidisciplinaire de Gord Downie Secret Path s’inspire d’ailleurs de cette triste histoire. Dans la même pièce, on dénonce également l’assassinat et la disparation si longtemps passés sous silence de femmes autochtones: «When another news report announces the find of another murdered woman and I wonder if this is the one who will be mom».
La chanson «ALie Nation», sur laquelle collabore encore une fois le poète John Trudell, mais aussi Tanya Tagaq, Lido Pimienta et Northern Voice, enfonce davantage le clou.
«The Halluci Nation, The Human Beings, The people / See the spiritual in the natural through sense and feeling / Everything is related / All the things of earth and in the sky have spirit / Everything is sacred / Confronted by The Alie Nation / The subjects and the citizens see the material religions through trauma and numb / Nothing is related / All the things of the earth and in the sky have energy to be exploited / Even themselves».
Les paroles sont si importantes qu’on les placarde directement dans le vidéoclip de la pièce. Et la musique réussit parfaitement à marteler le message. La chanson se termine sur des chants gutturaux féminins. D’ailleurs, les voix féminines se font plus sentir sur cet album et c’est bien heureux. Outre les deux artistes mentionnées ci-dessus, on peut aussi entendre la collaboration de Maxida Marak et Jennifer Kreisberg.
On salue aussi le groupe pour ses créations littéraires délicieuses «Halluci Nation», «ALie Nation» qui parlent d’elles-mêmes. Ce qui fait la particularité de ce groupe, c’est justement cet activisme et cette touche traditionnelle, sans lesquels il se noierait dans un univers musical électro plutôt banal. Les chansons les plus intéressantes sont donc celles qui ne perdent pas de vue ces traits distinctifs.
Et ce sont ces caractéristiques qui les ont fait s’illustrer sur la scène musicale d’un peu partout dans le monde et qui en font une Halluci Nation qu’on a envie de voir se perpétuer.
L'avis
de la rédaction