Littérature
Crédit photo : Michel Couvrette
Dès son entrée sur la scène habituellement destinée aux acrobates, Laferrière s’est fait accueillir avec émotion par une généreuse vague d’applaudissements. L’aura quasi mystique de l’écrivain est indéniable, et l’auditoire, silencieux, fut pendu à ses mots tout au long des deux heures qu’a duré la rencontre. Michel Désautels a dirigé avec adresse la conversation, empruntant un ton humoristique, bien que toujours très réfléchi.
«Quand on est enfant et que l’on vit à Petit-Goâve, à quoi rêve-t-on de devenir?». Cette première porte ouverte a mené Dany Laferrière à admettre ne pas se souvenir d’avoir réellement rêvé, enfant, à quelque chose de plus grand que soi, trop occupé qu’il était à contempler les petites choses de la vie, les insectes et la mer turquoise. Il a avoué également, d’un ton décontracté, bien qu’en contrôle, que la présence des nombreuses femmes qui l’ont élevé et de son grand-père a su protéger son enfance de la dictature et des aléas de la vie. Il a alors fait un clin d’œil anecdotique à son grand-père auquel se rattache son premier souvenir relié à la lecture.
L’un des moments les plus touchants de la soirée fut sans doute lorsque trois enfants d’une dizaine d’années sont montés sur scène pour faire la lecture d’extraits des livres jeunesse de l’écrivain. Incarnant tour à tour les personnages de Vieux os, Da et Vava, le trio a ravi l’assistance, leur arrachant plusieurs exclamations sous le regard visiblement touché de Laferrière. Il a d’ailleurs pris le temps de les remercier lors de la période de questions, à la fin de l’évènement, leur confiant qu’il s’était laissé transporter par leur récit comme s’il avait été étranger à sa propre histoire.
La conversation s’est ensuite poursuivie autour des inspirations littéraires et philosophiques de l’écrivain. Ce dernier a souligné le caractère sacré de l’œuvre, au sens où elle repose sur le consentement du lecteur à la recevoir, tel un rite cérémonial. Légèrement songeur, l’écrivain a ajouté que le talent ne suffisait pas pour être un écrivain, et qu’il fallait s’ignorer soi-même, ignorer sa propre volonté à écrire, pour arriver à toucher à la complexité du cœur des lecteurs. Et aussi pour survivre à sa propre mort, l’aspiration intime de tout écrivain. Il a, par la suite, évoqué cet instinct qu’il avait de protéger ses écrits, et de ne pas les noyer sous trop de nouvelles publications. Ce principe agricole de «jachère», appliqué à une œuvre, permet selon lui de laisser reposer l’œuvre, tout en prenant le temps d’observer le champ pour élargir son horizon.
Bien que l’Académicien ait à quelques reprises contourné les questions à portée plus intime, ses élans philosophiques dont il contrôlait l’aboutissement ont su plaire et faire rire l’auditoire à plusieurs reprises. Finalement, l’écrivain a été généreux dans ses réponses lors d’une période de questions où se sont succédé admirateurs, enseignants ainsi qu’une étudiante en création littéraire.
L’évènement s’est conclu par un hommage improvisé, alors que deux spectateurs d’origine haïtienne se sont avancés au micro pour remercier l’auteur et lui exprimer leur fierté au nom de toute la communauté haïtienne. Une finale spontanée qui a fait consensus dans la salle et qui a refermé de manière sentie la conversation.
*Découvrez l’univers de Dany Laferrière en consultant notre section «Littérature»: labibleurbaine.com/Dany-Laferriere.