LittératureL'entrevue éclair avec
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Benoît, c’est un plaisir de faire votre connaissance! Vous qui êtes professeur au département d’histoire de l’Université de Sherbrooke où vous enseignez l’histoire du Québec préindustriel, on est curieux de savoir: dites-nous donc elle remonte à quand votre insatiable curiosité pour l’Histoire avec un grand H, notamment celle de notre Belle Province?
«Je suis comme qui dirait tombé dedans quand j’étais petit… Vous ne me croirez peut-être pas, mais je suis né sur l’avenue Royale, à Beauport (la plus ancienne seigneurie), au coin de la rue “seigneuriale”. On pourrait penser que j’étais prédestiné à devenir historien de la Nouvelle-France! Mais c’est surtout mon environnement familial qui m’a intéressé au passé. Mon grand-père paternel vivait avec nous, ma grand-mère habitait en haut avec une tante, et nous vivions dans une vieille maison aux murs de pierre bien épais qui avait été la boulangerie du village. J’en parle d’ailleurs dans l’avant-propos de mon récent ouvrage.»
«D’aussi loin que je me souvienne, j’ai voulu devenir géographe ou historien. J’étais fasciné par les cultures du monde et l’histoire. J’ai fait de la danse folklorique pendant des années! Mais c’est une fois en histoire à l’Université Laval que je me suis orienté vers l’histoire de la Nouvelle-France.»
Vos intérêts pour la société rurale, l’histoire de la famille et le régime seigneurial dans une perspective de longue durée vous ont motivé à faire bon nombre de recherches, desquelles vous avez tiré le savoir nécessaire à l’élaboration de divers collectifs que vous avez dirigés et de trois monographies: Marie-Catherine Peuvret (1667-1739): veuve et seigneuresse en Nouvelle-France (éditons du Septentrion, 2005), Seigneurs campagnards de la nouvelle France (Presses universitaires de Rennes, 2007) et Brève histoire du régime seigneurial (Éditions Boréal, 2012). Parlez-nous brièvement de vos écrits et des questions auxquelles vous vous êtes intéressé.
«Le point commun de tous mes travaux, c’est bien sûr le régime seigneurial. Je m’y suis intéressé dès ma maîtrise en cherchant à comprendre la question de la mobilité sociale en Nouvelle-France. Puis, au doctorat, j’ai continué à explorer le monde rural du Québec ancien à travers les relations qui se développaient entre les seigneurs résidents (une petite minorité) et leurs censitaires. Une chose est certaine, les conflits laissent plus de traces que les relations harmonieuses…»
«De fil en aiguille, je me suis intéressé aux acteurs de ce monde rural, en particulier aux femmes, les seigneuresses, bien sûr, figures oubliées de notre histoire (comme Marie-Catherine Peuvret à laquelle j’ai consacré une biographie), mais aussi les femmes procuratrices, dans une Nouvelle-France où les hommes sont souvent absents (à la guerre, à la mer, à la traite des fourrures…), offrant des occasions d’autonomie à leur épouse.»
«Depuis une dizaine d’années, c’est aux questions des persistances du régime seigneurial que je me suis consacré, me rapprochant du temps présent par les enjeux de mémoire et d’oubli.»
Le 23 juin, les éditions du Septentrion vont faire paraître en librairie votre plus récent ouvrage, Persistances seigneuriales: Histoire et mémoire de la seigneurie au Québec depuis son abolition. Au cœur de ce livre de près de 400 pages richement documenté, vous offrez une toute nouvelle perspective de l’histoire seigneuriale au Québec, dont le régime a été officiellement aboli en décembre 1854. Qu’est-ce qui vous a donné l’impulsion de vous lancer dans ce défi de recherche d’archives et d’écriture?
«Depuis près de 20 ans, j’ai eu l’occasion de prononcer de nombreuses conférences à travers le Québec. Systématiquement, on me racontait des anecdotes liées aux traces du régime seigneurial: le souvenir des rentes seigneuriales, la mémoire d’une telle qu’on appelait la seigneuresse, ou encore l’existence de terres dites “seigneuriales” dans certaines localités. J’avais bien conscience que la date dite de l’abolition du régime (1854) n’était qu’une étape d’un long processus qui avait laissé des survivances jusqu’à notre époque.»
«Je me suis donc lancé dans un travail d’archives pour comprendre et bien mesurer ces persistances contemporaines d’une institution qu’on associe pourtant toujours à la Nouvelle-France dans nos manuels scolaires! Une grande partie de mon travail a consisté à collecter, avec mon équipe de recherche, la mémoire de ces survivances, que ce soit auprès des descendants de censitaires ou des descendants de seigneurs.»
«Pendant plusieurs années, j’ai parcouru le Québec à la recherche de ces souvenirs qui occupent une place importante dans mon livre.»
Pour nos lectrices et lecteurs qui souhaiteraient en apprendre plus sur ce sujet clé de l’histoire du Québec, pouvez-vous nous résumer les thématiques centrales au cœur de vos recherches? Et on aimerait aussi savoir en quoi votre livre est un incontournable!
«En lisant mon livre, j’espère que l’on comprendra que le régime seigneurial est bien plus qu’une manière d’organiser le territoire et qu’un outil de peuplement de l’époque coloniale. La propriété seigneuriale a laissé des traces dans les relations sociales et économiques pendant plus d’un siècle après son abolition (on a payé des rentes jusqu’en 1940 puis une taxe seigneuriale jusqu’en 1970) et certains territoires sont, encore de nos jours, des propriétés privées en raison des modalités de l’abolition.»
«S’il fallait ne retenir qu’une chose, ce serait assurément que l’extinction du régime seigneurial a été progressive et, jusqu’à un certain point, incomplète. Ce qui se passe au milieu du XIXe siècle est à des années-lumière de la Révolution! Et cette abolition a été très soucieuse des droits des seigneurs qui ont pu maintenir leurs privilèges pendant au moins un siècle, malgré la disparition des fameux “droits et devoirs”.»
«Encore récemment, on a inhumé dans des églises des descendants de seigneurs, comme aux beaux jours de la Nouvelle-France!»
Et si la machine à remonter le temps de Retour vers le futur existait vraiment et que vous aviez la chance inouïe de tenter l’expérience, quelle période historique du Québec aimeriez-vous revivre, l’espace d’un instant, ou de quelques années, pourquoi pas?
«Assurément, je voudrais retourner dans les années qui ont précédé la loi d’abolition du régime seigneurial, vers 1850, afin de pouvoir discuter directement avec les censitaires de leur perception des seigneurs et seigneuresses.»
«Les seigneurs ont laissé beaucoup de traces dans les archives et les meilleurs avocats du temps ont défendu en cour leurs intérêts, tandis que les paysans et les artisans qui vivaient sous ce régime n’ont pas ou peu laissé de traces.»
«On tente, depuis, d’interpréter leurs relations avec leurs seigneurs, non sans y mettre une bonne part de notre propre vision du monde. J’irais bien piquer une jasette avec ces anciens habitants…»