LittératureDans la peau de
Crédit photo : Julie Artacho
Hugo, on aurait tendance à dire que tu n’es pas tout à fait né avec la conviction de devenir un auteur! Tu as commencé par étudier la sociologie, ensuite tu as affûté ta plume comme journaliste pour Le Devoir, L’actualité, La Presse+ et Elle Québec, puis tu as fait le saut en publicité chez Cossette. Parle-nous un peu de ton parcours en essayant de nous faire sourire, pour voir.
«Commençons par l’échec de ma vie: devenir cascadeur. Enfant, je déboulais à répétition les escaliers devant la maison, espérant qu’un réalisateur, passant par là, découvre mon talent. Mais personne ne m’a découvert ou ne s’est même arrêté pour me demander si je m’étais fait mal. Pour m’en remettre, je suis devenu fossoyeur, mais là encore, la fréquentation quotidienne de la mort ne m’a pas encouragé à vivre.»
«Heureusement, l’écriture était là. Elle m’a sauvé. M’a donné un fil conducteur. Une corde de Tarzan qui m’a fait passer de la sociologie au journalisme, et du journalisme à la publicité, où j’ai fait chanter des plogues pour Hydro, cherché le vrai Jean Coutu, créé une marque de cellulaire portant un nom de chien, fait souffrir un garagiste prénommé Roger, manger du yogourt à en être malade, et géré les égos disproportionnés d’une tralée de créatifs.»
«Puis, fatigué de ce cirque, j’ai écrit un livre, puis un deuxième, suivi de quelques autres. Je me suis étourdi dans la fiction, sans doute pour oublier ce constat triste et bien réel, lui, auquel je suis confronté: je ne serai jamais la doublure de Bruce Willis.»
Tu te plais à évoquer l’image de l’escargot pour décrire ton caractère: casanier, réservé, solitaire et… baveux, comme le mollusque! Toi, tu ne cherches jamais la confrontation; tu es plus le genre de gars à t’attarder sur la petite musique de la vie qui passe. En quoi ton caractère a-t-il forgé l’écrivain que tu es devenu, d’après toi?
«Je suis un solitaire, tendance tibétaine. L’antithèse du grégaire. Par chance, je m’entends assez bien avec moi-même. Pour écrire, tu n’as d’autre choix que te donner des rendez-vous: nombreux et souvent interminables. Alors, plutôt que de parler tout seul, j’écris. Quand c’est ta job, il faut être capable de vivre en vase clos avec tes bibittes, tes limites, tes frustrations. Reste à savoir si les autres peuvent vivre avec toi…»
«Pour préciser le portrait que tu as dressé, je suis en fait un croisement entre un escargot et une vache. Comme cette dernière, j’ai deux estomacs. L’un qui réfléchit-broute, l’autre qui agit-donne du lait. Et, comme la vache, j’aime regarder passer les trains et m’imaginer la vie des passagers.»
«Écrire, c’est comme partir en voyage, en solitaire, loin, dans un pays inconnu, où tu croises des gens tout aussi inconnus avec lesquels tu vis des années, des fois, et qui n’existent que dans ta tête, une expédition d’où tu reviens chaque jour, pour prendre l’apéro, pour souper, et pour t’assurer que tu n’es pas toujours ailleurs. Et quand tu crois que le voyage est terminé, tu as l’idée folle de partager ton aventure. Tu reviens sur terre en te demandant si le monde a un peu changé pendant tout ce temps où tu étais parti.»
Nous, on t’a découvert en 2016 avec Télésérie, l’histoire d’un amour insensé entre un comportementaliste canin et une actrice d’une série télé à succès. C’est ta capacité à jongler avec l’humour et des thèmes comme l’engagement amoureux et le jeu des apparences qui nous avait fascinés! Quelle direction as-tu emprunté cette fois dans La jalousie est un vilain défaut, ton quatrième roman à paraître chez XYZ?
«Dès le début, j’ai voulu écrire sur les relations familiales, et plus particulièrement autour des rapports d’amour-haine entre deux sœurs. J’ai moi-même deux filles, et j’ai toujours été fasciné de voir les efforts qu’elles déployaient enfants pour se distinguer l’une de l’autre et pour retenir mon attention et celle de leur maman.»
«Et c’est cette jalousie, mais pas celle de mes filles qui s’adorent, entre parenthèses, qui a été le moteur de ce roman. La jalousie est un formidable ressort dramatique parce qu’elle fait naître un bouquet d’autres émotions, comme la colère, la frustration et la tristesse. On naît jaloux, je crois. Et ça ne se guérit pas. Qui n’a pas été jaloux d’un rival amoureux, qui n’a pas eu peur de perdre sa meilleure amie aux mains de cette bitch de Nancy?»
«Et puis, l’époque actuelle où l’on est sans cesse projeté dans la vie rêvée des autres est une machine à produire de l’envie. C’est à la base même de la société de consommation et du spectacle: créer de l’envie et l’entretenir. Mais on confond souvent la jalousie et l’envie. L’envie consiste à convoiter le bien d’un autre, et la jalousie, à ne pas vouloir partager ou avoir peur de perdre ce bien. L’envie précède souvent la jalousie. Ce sont des sentiments gigognes, je pense.»
Dis donc, tu ne prendrais pas un malin plaisir à plonger tes personnages dans l’eau chaude, par hasard? Car ton Philippe, biographe de métier, va visiblement prendre un gros risque en acceptant le contrat le plus payant de sa vie, celui de raconter l’ascension vers la gloire de l’actrice Laurence Stewart! Parle-nous de sa «dérape» et de la façon dont tu te plais à dresser les portraits psychologiques de tes personnages, on est curieux.
«Il faut bien que je me divertisse. Ma vie est d’un ennui total. Et c’est la première chose que je demande d’un roman: de ne pas m’ennuyer. J’aime quand l’ordinaire bascule dans l’extraordinaire. Philippe, mon héros, est alcoolique, dépressif, nouveau divorcé et misanthrope, bref, tout va bien pour lui. Il se trouve pris, bien malgré lui, dans la relation toxique qu’entretient une jeune actrice avec sa sœur aînée.»
«J’ai un faible pour les personnages imparfaits; n’est-ce pas d’ailleurs le propre de l’homme de l’être, dont la vie déraille. Ils sont souvent des agglomérés de gens que j’ai croisés, connus, fuis, détestés ou aimés, auxquels je vole un port de tête, une manie, un défaut, une attitude, quelque chose. Ce ne sont pas des alter ego, ce serait trop simple. Je préfère me cacher, ici et là, dans chacun de mes protagonistes. J’ai de l’affection pour eux, mais je serai souvent incapable de les fréquenter dans la vraie vie.»
Et si tu avais la chance d’écrire la biographie de la personnalité de ton choix, ça serait qui, et pourquoi? Oserais-tu la petite pointe d’humour doux-amer, ou tu te garderais une petite gêne… pour cette fois?
«La célébrité me fascine et me répugne à la fois. Elle n’est pas un gage de profondeur. Aujourd’hui, tout le monde veut devenir quelqu’un, l’espace d’un post, d’une photo Instagram. Il y a trop de lumière, pas assez d’ombre.»
«Quand on pratique le métier de biographe, il faut croire en son sujet. On n’a d’autre choix que de l’aimer pour l’épouser. Comme journaliste, j’ai écrit des dizaines de portraits. Mais me lancer dans une bio… C’est un véritable acte d’humilité que de se mettre au service de l’autre, de s’effacer devant son sujet.»
«Comme publicitaire, je sais ce que le travail de commande peut représenter de renoncement, de compromis et de soumission. Je pense que j’aime trop ma liberté de romancier pour me commettre dans une bio. Les meilleurs biographes sont ceux qui arrivent à dialoguer avec leur sujet. Dont les voix sont emmêlées.»
«Mais pour répondre vraiment à ta question, si j’écrivais une bio, je choisirais quelqu’un d’inconnu. Un oublié. Un héros obscur au parcours singulier. Le médaillé d’argent d’une olympiade, par exemple. Le problème, c’est que personne ne voudrait l’éditer ni l’acheter.»