CinémaCritiques de films
Le film The Master arrivera sur les écrans québécois le 28 septembre prochain déjà précédé par sa légende. Une légende au léger parfum de scandale, mais toute auréolée de gloire et de sensationnalisme à l’américaine pour un film qui interroge les zones d’ombre des croyances de nos voisins du Sud.
Paul Thomas Anderson est un grand réalisateur. De la trempe de Scorsese, Tarantino ou Nolan, et ses films sont puissants et évocateurs. Il nous avait donné entre autres l’intense There Will Be Blood en 2007 et le magnifique Magnolia en 1999 (dont la seule évocation me fait encore frémir), mais aussi Boogie Nights (1997) et Punch-Drunk Love (2002).
Pour son nouvel opus, il fait de nouveau des miracles en s’attardant au fondateur de l’Église de Scientologie, Ron L. Hubbard. Du moins, Anderson s’est inspiré de celui-ci, a-t-il dit en conférence de presse au Festival International du Film de Toronto. The Master n’est donc pas un film sur la scientologie. Voilà pour le scandale et le sensationnalisme.
Le «maître» du film, un certain Lancaster Todd, est interprété par l’immense Philip Seymour Hoffman, dont Anderson a inclus à son générique pour la quatrième fois. Celui qui avait obtenu en 2006 l’Oscar du meilleur acteur pour son rôle de Truman Capote, est à l’écran un intellectuel intransigeant emporté par ses convictions, et entraînant sa famille, femme et enfants, avec lui.
En face de lui, Joaquin Phoenix interprète Freddie, un marine qui à la suite de la Deuxième Guerre mondiale demeure traumatisé par son expérience de combat au Japon. Alcoolique notoire, il fabrique ses poisons lui-même et sa vie est faite de vagabondages et d’échecs, jusqu’au jour où il croise le charismatique Lancaster Todd, tête pensante d’une mystérieuse organisation de développement personnel appelée pour l’occasion The Cause».
Les deux hommes forment un brillant duo flamboyant alors qu’au début des années 1950, le maître décide de faire de Freddie son bras droit, ce que les autres membres de l’organisation déplorent vivement. Phoenix et Hoffman se sont d’ailleurs partagé la Coupe Volpi (prix d’interprétation masculine) à la 69e Mostra de Venise au début de septembre. Le film a lui récolté le Lion d’Argent, pour sa réalisation impeccable. Voilà pour la gloire.
Inquiétante fraternité
La mise en scène et la réalisation de The Master sont impeccables. Images et séquences à couper le souffle, Anderson a d’ailleurs une préférence pour les plans rapprochés et les longs plans ce qui donne l’impression d’être au plus près de l’intimité des personnages et de partager avec eux toute l’intensité des situations.
Et moments dramatiques et intenses, il y a. Puisque la relation entre Todd et Freddie va tourner au vinaigre lorsque l’apprenti commencera à remettre en question les principes du maître. D’ailleurs, une scène mémorable s’attarde sur le venin échangé par les deux hommes, alors qu’en prison ceux-ci occupent deux cellules contiguës. Cette scène résume bien toute l’intensité du film et de la relation qui unit le mentor et la recrue.
Malgré la beauté des images et l’interprétation magistrale, le scénario (auquel à participer Hoffman) présente quelques lacunes. Plusieurs ellipses et retours vers le passé grâce aux techniques de la dianétique (méthode d’éveil spirituel qui fait appel à l’inconscient et au passé) présentent une narration fragmentée, et malheureusement fragmentaire pour les spectateurs et la sauce ne prend pas toujours, surtout que le film a une durée de 2 h 17.
Inspiré du cinéma et des grands films américains des années 1940 et 1950, The Master a été tourné en 65 mm (une rareté en 2012!), ce qui explique une certaine ambiance surannée flairant avec la nostalgie et l’évocation mélancolique d’une époque où l’homme est avant tout à la recherche de sens et de croyances. Un grand film avec ses qualités et ses défauts.
The Master de Paul Thomas Anderson, à l’affiche dès le 28 septembre 2012.
Appréciation: ***
Crédit photo: Les Films Séville
Écrit par: Annabelle Moreau