CinémaEntrevues
Crédit photo : Tous droits réservés @ Les Films du 3 Mars
«Le film se déploie sur les humains et les non-humains, et pour nous, c’était important de les connecter. Tous avaient des vies parallèles et se reliaient dans leur précarité et leur manque de choix, en étant captés par cette entreprise de transformation de viande.» – Hubert Caron-Guay, co-réalisateur
Une immersion dans l’industrie de la viande
Pour leur premier long-métrage documentaire ensemble, Hubert Caron-Guay et Serge-Olivier Rondeau ont voulu trouver un sujet qui les rejoignait dans leurs intérêts communs. D’abord partis dans une optique de documenter la vie des travailleurs immigrants temporaires, ils ont adapté leur sujet alors que des bouleversements majeurs avaient lieu dans le secteur de l’industrie de la viande.
«Le gouvernement a accéléré l’émission des permis de travail pour les demandeurs d’asile, et ça a complètement changé le marché du travail à ce moment-là», explique Serge-Olivier. «C’est à cet instant précis qu’on a commencé le tournage, c’est pourquoi on a complètement redirigé le film qu’on préparait en fonction de cette situation.»
Ainsi, ils ont décidé de se concentrer «sur ce qui [leur] semblait le plus important», à savoir l’expérience conjointe des vies parallèles impliquées dans la chaîne de production et de transformation de la viande. «On a voulu parler de la fragilité de chacune de leurs situations.»
Quand on leur demande pourquoi ces êtres vivants sont, selon eux, si fragiles, Serge-Olivier et Hubert nous expliquent que «le problème vient d’une façon de traiter le vivant en général, où les humains, les plantes et les animaux sont vus comme des ressources.»
«On exploite les ressources, et une fois qu’elles sont usées, on change d’êtres vivants et on les remplace par autre chose. C’est une façon de voir le vivant qui nous a menés à des catastrophes assez visibles maintenant, notamment au niveau climatique.» – Serge-Olivier Rondeau, co-réalisateur
L’instinct au service de l’inspiration
Une fois sur le terrain, les deux réalisateurs ont observé et se sont adaptés en fonction de ce qui pouvait se passer. «La démarche suivait notre sensibilité, nos feelings», nous dit Hubert. «On était aussi à l’écoute des questionnements des demandeurs d’asile pour pouvoir réagir et tenter de saisir leur expérience à leur hauteur.»
Ils ont alors suivi leur fil conducteur, qui était de représenter le mieux possible le travail de ceux qui œuvraient dans le collectif d’immigrants et dans la ferme. «On ne voulait être ni complaisants ni juste critiques», précise Serge-Olivier. «Donc, le défi était de relever la complexité de leur métier et surtout de les montrer à l’écran. Ce sont des métiers que les gens connaissent peu, et notre volonté était de les rendre visibles.»
Faire l’expérience du vivant
Fait notable, le défi n’a pas été seulement technique pour nos deux interlocuteurs. En effet, il a fallu aussi gagner la confiance des non-humains qui apparaissaient à l’écran: «C’est une chose de voir que les cochons vivent à vingt dans un box et qu’ils ne vont faire que ça de leur vie, mais c’en est une autre de rentrer dans une porcherie avec une caméra et de passer deux à trois heures à les observer», indique Serge-Olivier.
«Il y a un apprentissage mutuel, et comme on a suivi le même box pour ce film, il y a vraiment eu un lien qui s’est développé entre ces cochons et nous. Ils nous regardaient, ils nous sentaient pendant une heure, ça laissait le temps à la caméra de se désembuer parce que ce sont des milieux super humides et on ne pouvait pas filmer tout de suite.»
Il a également fallu gagner la confiance du chien de la ferme, terrorisé par la caméra. Dès qu’il la voyait, il partait en courant et jappait. «Ça nous a pris du temps, au fil d’une année, de l’apprivoiser: on s’approchait de lui, on le flattait avec la caméra et, à la longue, il a compris que ce n’était pas une menace.»
Puis, une fois rassuré, le chien a dû comprendre qu’une fois la caméra à la main, Hubert et Serge-Olivier ne faisaient plus office de figures d’autorité. «À partir du moment où il a compris ça, on a eu accès à son comportement naturel. Ce sont des petits détails, mais ce sont des choses que notre métier nous permet de vivre, et c’est quand même incroyable!»
Derrière la réalisation, l’humanité
«Pouvoir côtoyer des demandeurs d’asile qui vivent des difficultés énormes et voir leur résilience, c’est incroyable, ça m’a beaucoup énergisé! Ce n’était pas un film qui était facile à faire – on ne voulait pas se comparer –, mais de les voir passer à travers ces épreuves, c’était magnifique!» – Serge-Olivier Rondeau, co-réalisateur
Outre l’expérience de tournage documentaire, Serge-Olivier note «l’expérience humaine énorme» qu’ils ont vécue. «C’est une chance de pouvoir côtoyer sur le long terme tous ces gens-là, de tisser des liens super intimes dans le travail, de pénétrer dans leurs états psychologiques, de partager les joies et les difficultés de nos métiers à nous».
Ensemble, Hubert et Serge-Olivier ne se sont pas contentés de «faire un documentaire», mais aussi d’aider sur le plan humain quand ils le pouvaient. «On a tenté de les aider du mieux qu’on pouvait au niveau de la traduction, par exemple, ou pour les factures de téléphone de 800 $ que les demandeurs d’asile recevaient sans comprendre pourquoi», explique Hubert. Il ajoute: «On a négocié avec les compagnies téléphoniques pour leur expliquer que ces gens avaient signé un contrat qu’ils n’avaient pas compris et qu’ils venaient d’arriver, que ce n’était pas possible pour eux de payer ce montant.
Et, ce n’est pas tout: ils ont aussi aidé à déménager des demandeurs d’asile de Montréal jusqu’à Victoriaville. «Ce sont des images qu’on ne retrouve pas dans le film, parce qu’on s’est concentrés sur le recrutement, mais on avait filmé toute une section de leur vie quotidienne et c’est là que notre aide se faisait», souligne Serge-Olivier.
«C’est quand même dommage», fait remarquer Hubert, «Car l’expérience d’un demandeur d’asile sur un an est vraiment intéressante, même si elle est faite parfois de rien, d’attente. On s’est butés à cette attente du permis de travail, du prochain chèque, du temps passé dans les banques alimentaires!»
Alors, à vous de plonger dans ce documentaire passionnant qui soulève des interrogations actuelles et pertinentes! Ressources sera présenté en salle et suivi d’une ciné-rencontre le 27 janvier à la Cinémathèque québécoise, le 28 au Cinéma Public et le 29 au Cinéma du Musée. Bon visionnement!
*Cet article a été produit en collaboration avec Les Films du 3 Mars.
Le long métrage «Ressources» en images
Par Tous droits réservés @ Les Films du 3 Mars