Cinéma
Crédit photo : www.facebook.com/ClerksMovie
Tout commence avec un film: Slacker (1991), une œuvre atypique de Richard Linklater.
Pas d’intrigue ici; on ne fait que suivre quelques personnages excentriques lors d’une chaude journée d’été texane. Ces individus vivent, vaquent à leur train-train quotidien, causent de tout et de rien. Certains spectateurs pourraient dire qu’il «ne se passe rien». Quoi qu’il en soit, Slacker représente pour le septième art une petite révolution à de nombreux égards, ne serait-ce que pour avoir ouvert bien des yeux quant à la possibilité de réaliser un film à très petit coût et ce, en dehors des studios traditionnels.
Kevin Smith, impressionné par tout cela, comprend alors deux choses. La première étant qu’il souhaite désormais écrire et réaliser. La deuxième, plus sombre et lucide, étant que sa première tentative risque fort d’être la dernière… Mais comme dirait l’autre: «yolo l’gros!» Smith prend la décision de jouer le tout pour le tout afin d’atteindre son but: emprunt de 3000 $ à ses parents, chargement jusqu’à la limite de plus d’une douzaine de cartes de crédit, vente de sa précieuse collection de comics… tout y passe. On dit même, selon la légende, qu’une inondation providentielle lui aurait permis de toucher à l’argent des assurances couvrant sa voiture.
Clerks sera tourné dans le Quick Stop où Smith travaille. Petit pépin, ce dernier n’a l’autorisation de filmer que lors des heures de fermeture, soit entre 23h et 6h. Par on ne sait quel miracle, Smith, bossant déjà 17h par jour, ajoute à son emploi du temps une période de cinq heures consacrée au tournage de son film. Les deux heures restantes de la journée quant à elles sont utilisées pour dormir. Ce manège forme une boucle infernale et va s’étirer sur vingt et un jours. Ce qui, selon ma calculatrice, nous donne une charge de travail de 160 heures par semaine. Les amis, nous tenons là un bel (c’est vite dit) exemple de détermination!
«L’enfer, c’est les autres»
Cette pensée a sans doute germé dans l’esprit de Kevin Smith (avant ou suite aux hallucinations causées par la fatigue), alors que le protagoniste de Clerks, nommé Dante (Brian O’Halloran), traverse allégoriquement les neuf cercles de l’enfer durant son interminable quart de travail. De mauvais poil après un réveil forcé (il doit remplacer quelqu’un au Quick Stop ce jour-là), notre héros tentera de survivre avec autant de professionnalisme que possible.
Il recevra la visite de sa copine, de clients bizarres, d’une ancienne amourette du secondaire, de Jay et Bob, les dealers de drogues idiots, passant le plus clair de leur temps à glander devant le Quick Stop. Viendra aussi dire coucou son meilleur ami Randal (Jeff Anderson), celui-là commis du club vidéo voisin. Si Dante se soucie d’offrir un service exemplaire derrière sa caisse enregistreuse, Randal au contraire envoie paître la totalité des clients osant lui demander quoi que ce soit. Ou alors il vend des cigarettes à un enfant de quatre ans. Les meilleures répliques, vous vous en doutez, viennent de lui.
Sinon, comme dans tous les films de ce gros nerd sympathique qu’est Kevin Smith, on retrouve des discussions portant sur le sexe, les relations de couple, Star Wars… et puis cette dualité si intéressante oscillant entre stupidité profonde et réflexion sentie. L’humour gras dansant avec des perles de sagesse.
Clerks, premier opus du View Askewniverse, aussi irrévérencieux que son créateur déluré, ne sera pas oublié de sitôt!
Kevin Smith vit aujourd’hui heureux avec son épouse et sa fille. Il a récupéré la presque totalité de sa collection de comics d’antan et prévoit bientôt filmer entre autres projets Moose Jaw, drame d’horreur impliquant un orignal tueur (ça a l’air stupide et ce l’est certainement, mais pour ma part je jubile!). Clerks 3 serait aussi en préparation. Plus près de nous, Yoga Hosers, où cette fois une classe de yoga affronte une entité démoniaque, prendra l’affiche au courant de l’année 2016.
Mes coups de cœur par Kevin Smith: pour la nostalgie… Jay and Silent Bob Strike Back (2001), et, plaisir coupable issu d’un réjouissant délire entre le cinéaste et ses fans, l’absurde et grotesque Tusk (2014).