«Dans la peau de…» Gregory M. W. Kennedy, qui nous présente l'Acadie et son histoire rurale sous un angle inédit – Bible urbaine

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«Dans la peau de…» Gregory M. W. Kennedy, qui nous présente l’Acadie et son histoire rurale sous un angle inédit

«Dans la peau de…» Gregory M. W. Kennedy, qui nous présente l’Acadie et son histoire rurale sous un angle inédit

Une mise en perspective de l'héritage loudunais

Publié le 26 novembre 2021 par Mathilde Recly

Crédit photo : Tous droits réservés @ Université de Moncton

Chaque semaine, tous les vendredis, Bible urbaine pose 5 questions à un artiste ou à un artisan de la culture afin d’en connaître un peu plus sur la personne interviewée et de permettre au lecteur d’être dans sa peau, l’espace d’un instant. Aujourd'hui, on s'est glissé dans la peau de Gregory M. W. Kennedy, dont le livre «Une sorte de paradis paysan? Une comparaison des sociétés rurales en Acadie et dans le Loudunais, 1604-1755» vient de paraître aux éditions du Septentrion. Découvrez son expérience de chercheur et le savoir qu'il a acquis au sujet de l'histoire rurale de l'Acadie!

Gregory, merci beaucoup de nous accorder cette entrevue! Vous qui êtes professeur agrégé en histoire et directeur scientifique de l’Institut d’études acadiennes de l’Université de Moncton, pourriez-vous nous dire d’où vous est venue la piqûre pour l’histoire, et, plus spécifiquement, pour celle sociale, environnementale et militaire de l’Acadie, de la Nouvelle-France et du monde atlantique français?

«Enfant, j’étais fasciné par l’histoire – surtout l’histoire médiévale –, mais j’ai développé d’autres intérêts en tant qu’adolescent: par exemple, la littérature, les relations internationales et la philosophie.»

«Comme la plupart des jeunes adultes, j’avais de la misère à choisir une discipline aux études postsecondaires. J’ai suivi plusieurs cours à l’Université de Winnipeg, mais les cours d’histoire de la France avec Donald Bailey et de l’Europe contemporaine avec Robert Young ont attiré mon attention.»

«J’ai décidé de poursuivre mes études en histoire au 2cycle à l’Université Western Ontario. Sous la direction d’Ian K. Steele, grand spécialiste du monde atlantique britannique, j’ai exploré l’histoire de la Nouvelle-France avec l’idée d’intégrer une approche transatlantique. Nous avons privilégié l’Acadie, parce que cette colonie est située à la frontière des mondes atlantiques français et britannique.»

«En fin de compte, grâce à l’encadrement exceptionnel de T. J. A. LeGoff à l’Université de York, j’ai trouvé ma méthode pour cet ouvrage, une étude comparative qui permettrait un travail mêlant histoire sociale, démographique et environnementale.»

«Bref, c’est un parcours intéressant avec plusieurs tournants qui explique comment un anglophone de Winnipeg est devenu spécialiste de l’Acadie coloniale!»

Le 9 novembre, votre ouvrage Une sorte de paradis paysan? Une comparaison des sociétés rurales en Acadie et dans le Loudunais, 1604-1755 est paru aux éditions du Septentrion. Vous y mettez en comparaison le territoire acadien avec le Loudunais, une région située à l’ouest de la France et dont un certain nombre de colons acadiens sont possiblement originaires. Selon vous, en quoi cette étude permet-elle de mieux saisir les nuances de l’expérience de vie paysanne en Acadie à l’époque? 

«Mon grand constat au début de ce travail était que les études consacrées à l’histoire de l’Acadie coloniale ont été faites en vase clos.»

«Des stéréotypes étaient employés (et répétés) sans grand questionnement sur la réalité dans d’autres régions de la Nouvelle-France et de la métropole. Quand nous affirmons que les Acadiens étaient autonomes, ou bien installés ou égalitaires, il faut poser la question: En comparaison avec qui à cette époque?»

«Trop souvent, les études antérieures ont employé des généralisations quant à l’ancien régime français également. Nous discutons de l’absolutisme de Louis XIV ou la misère de la population paysanne. Je voulais mieux comprendre la société coloniale à la lumière de la société rurale de la France.»

«Le choix du Loudunais comme terrain d’enquête s’est avéré évident, étant donné les liens entre la plus grande région du Centre-Ouest et la colonisation en Acadie. Bref, l’idée était surtout d’entrer dans la mentalité des gens de l’époque. Ils et elles étaient habitués à quoi? Quand ils et elles se sont retrouvés en Acadie, comment leur expérience a-t-elle varié de leurs vies dans le Loudunais? Je voulais mieux comprendre les motivations des habitants, leurs choix, leurs adaptations au nouveau territoire.»

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Et alors, pourriez-vous nous dire en quoi a consisté votre travail de recherche, de récolte d’informations et de synthétisation de celles-ci? On est curieux de savoir, notamment, comment vous êtes allés chercher des données aussi pointues concernant ce coin de pays outre-Atlantique.

«Bien entendu, j’avais besoin de passer plusieurs mois en France, notamment aux Archives nationales (par exemple, pour accéder aux archives des intendants) et aux Archives départementales de la Vienne (à Poitiers). J’ai également passé du temps aux Archives départementales d’Indre-et-Loire (à Tours), parce que le Loudunais était parfois rattaché au Poitou, et puis transféré en Touraine.»

«Quelle belle expérience en tant que jeune chercheur au 3cycle, de passer du temps dans les villes de l’Ouest! Mon expérience la plus mémorable a été mes quelques jours dans le Loudunais. Par hasard, je suis arrivé une fin de semaine lors d’un grand mariage à la ville de Loudun, alors tous les hôtels étaient remplis.»

«Après avoir monté la Tour carrée en ville pour mieux visionner le paysage, une agente au bureau de tourisme m’a aidé à trouver un hébergement à Moncontour, petit village et centre administratif souvent mentionné dans mon ouvrage. Puis, sans voiture, j’ai pris la route pour marcher à Aulnay, La Chaussée et Martaizé pendant 3 jours ensoleillés.»

«C’était drôle de voir les réactions des habitants face à ce jeune homme à barbe rouge qu’ils croisaient sur leur route. Je suis arrivé à la Maison d’Acadie à La Chaussée, mais l’édifice était fermé et n’ouvrirait pas avant l’après-midi. Alors, j’ai trouvé un arbre confortable et j’ai fait un petit somme après ma route de presque 10 kilomètres. En général, j’étais ravi de rencontrer les gens sur place, et je reste convaincu de l’importance de visiter les endroits étudiés au sein de ses travaux.»

Parmi les points saillants du livre, on a pu lire que «L’ouvrage offre une réinterprétation des mythes entourant la société coloniale détruite par le Grand Dérangement»: pourriez-vous nous donner une idée un peu plus précise de ce que vous entendez par «mythes», en plus de nous partager un ou deux exemples? 

«Il s’agit d’un portrait trop généralisé d’un paradis paysan en Acadie. Je ne voulais pas nier ou minimiser les conséquences néfastes du Grand Dérangement; mon objectif était de mieux comprendre la société coloniale d’avant la déportation.»

«En effet, j’ai réalisé que la déportation n’était qu’une étape parmi une série d’évènements difficiles – et mêmes mortels – au sein de la colonie. L’incertitude a régné en Acadie depuis ses tout débuts. Même si les terres étaient fertiles et propices à l’agriculture, le travail nécessaire de dessécher (drainer) les marais a pris du temps et a rendu cette société vulnérable.»

«Nous témoignons des relations tendues entre voisins, et aussi avec les Autochtones. Nous observons qu’une hiérarchie sociale importante était présente en Acadie – ce n’était pas une république de cultivateurs égalitaires. D’ailleurs, tout un chapitre est consacré au régime seigneurial.»

«Nous avons sous-estimé l’importance des seigneurs en Acadie, et en même temps, nous exagérons souvent l’influence des seigneurs en France. Pour ce qui est de l’administration locale, j’ai démontré que les fameux délégués acadiens qui ont négocié un serment conditionnel de fidélité avec les autorités britanniques se sont inscrits dans une tradition de gouvernance locale datant de la période médiévale dans le Loudunais.»

«Les syndics élus dans le Loudunais ont continué à jouer un rôle important comme représentants communautaires pendant toute l’époque moderne. Il y avait certainement une identité distincte acadienne avant 1755, mais nous n’aidons personne en perpétuant des mythes idylliques. Je voulais préciser les particularités de la société coloniale acadienne.»

À court ou moyen terme, quels sont vos projets en lien avec votre domaine d’expertise? On se demande notamment si de prochaines publications sont prévues – articles, revues, ou même un nouveau livre! 

«Présentement, je finalise un manuscrit de livre portant sur les soldats acadiens de la Première Guerre mondiale. J’ai déjà publié quelques articles à ce sujet dans les revues Histoire sociale – Social History et Port Acadie

«En même temps, lors d’une année sabbatique qui s’en vient, je prévois avancer mes travaux récents consacrés au service militaire à l’époque moderne en Acadie, en Nouvelle-France et ailleurs dans le monde atlantique français. J’explore les diverses initiatives de mobiliser les habitants, notamment avec des institutions de milice et, dans certains cas, des régimes de conscription (service obligatoire).»

«Il s’agit d’une autre façon d’étudier le pouvoir d’agir des acteurs historiques, ainsi que leurs choix lors des moments charnières (et même dangereux) pendant les guerres. Les actions du XVIIIsiècle continuent à influencer nos idées contemporaines sur la citoyenneté, ainsi que notre devoir envers l’État et le monde.»

«Il y a également des thèmes pertinents concernant le bon traitement des soldats, l’abus d’autorité et la réintégration des anciens combattants au sein de la société civile. Bref, j’ai hâte d’explorer davantage ces thèmes afin de mieux circonstancier le service militaire (volontaire et obligatoire) en Acadie et au Canada

Pour découvrir nos précédentes chroniques «Dans la peau de…», visitez le labibleurbaine.com/nos-series/dans-la-peau-de.

*Cet article a été produit en collaboration avec les éditions du Septentrion.

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