«L’entrevue éclair avec…» Alexandre Dumas, historien qui dépeint le Québec politique des années 1930 – Bible urbaine

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«L’entrevue éclair avec…» Alexandre Dumas, historien qui dépeint le Québec politique des années 1930

«L’entrevue éclair avec…» Alexandre Dumas, historien qui dépeint le Québec politique des années 1930

Redécouvrez des personnalités historiques fascinantes

Publié le 11 octobre 2021 par Mathilde Recly

Crédit photo : Isabelle Jetté

Dans le cadre de «L’entrevue éclair avec…», Bible urbaine pose 5 questions à un artiste ou à un artisan de la culture afin d’en connaître un peu plus sur sa personne, sur son parcours professionnel, ses inspirations, et bien sûr l’œuvre qu’il révèle au grand public. Aujourd’hui, on a jasé avec l'historien Alexandre Dumas, dont l'essai «Les quatre mousquetaires de Québec: La carrière politique de René Chaloult, Oscar Drouin, Ernest Grégoire et Philippe Hamel» est paru le 28 septembre dernier aux éditions du Septentrion. Plongez dans le Québec politique des années 1930 grâce à un ouvrage bien documenté et riche en explications!

Alexandre, tu es titulaire d’un doctorat en histoire de l’Université McGill. Peux-tu nous révéler quel a été le déclencheur de ta passion pour cette discipline? 

«J’aimais déjà beaucoup les films et séries historiques lorsque j’étais étudiant au cégep. Lorsqu’une œuvre me rejoignait suffisamment, je faisais des recherches pour savoir ce qui était fictif et ce qui était réel.»

«C’est à cette époque que j’ai commencé à m’intéresser à la construction de la mémoire. Je constatais que le passé n’est pas toujours ce que nous en avons retenu. Lors de mes études au baccalauréat en histoire, j’ai réalisé à quel point le fossé était grand entre la recherche universitaire et la mémoire collective.»

«Dans le cadre de mes études supérieures, je me suis intéressé au sujet des relations entre l’Église et l’État au Québec, un sujet qu’on croit bien connaître, bien qu’on l’ait en réalité peu étudié. En partageant mes découvertes, je me suis rendu compte à quel point les gens sont prêts à remettre leurs certitudes en question dès lors qu’on prend la peine d’ouvrir la discussion.»

«Mon parcours en tant qu’historien pourrait se résumer à la volonté de découvrir et de faire redécouvrir notre histoire, avec toutes ces vérités que nous avons oubliées ou occultées.»

En 2020, ton livre L’Église et la politique de Taschereau à Duplessis a été finaliste au Prix du livre politique de l’Assemblée nationale. Félicitations, c’est une belle reconnaissance! On aimerait savoir d’où t’est venue l’envie d’écrire et, plus spécifiquement, sur ce sujet politique?

«C’est en faisant des recherches dans les archives du cardinal Villeneuve, un personnage central de mon livre, que j’ai réalisé que notre vision traditionnelle des relations entre l’Église et l’État était très loin de la réalité.»

«Dans une lettre à un de ses correspondants, le cardinal mentionnait que Duplessis avait été “si sot, si désagréable et grisé pendant son terme”. Ce commentaire jure énormément avec l’image que nous avons d’un clergé complice de l’Union nationale. De là m’est venue l’idée de faire une analyse plus large du regard de l’Église sur la politique québécoise.»

«Ce livre m’a permis de remettre en question plusieurs idées reçues, souvent répétées sans que les sources ne les aient jamais confirmées. L’Église se serait-elle mieux entendue avec le Parti libéral qu’avec l’Union nationale? Le retard du Québec à accorder le droit de vote aux femmes serait-il dû davantage à un système politique partisan désuet, plutôt qu’à la religion catholique? Se pourrait-il que la célèbre phrase “Le ciel est bleu, l’enfer est rouge” n’ait en réalité jamais été prononcée dans une église à l’époque de Maurice Duplessis? Chaque nouvelle découverte redoublait mon enthousiasme, celui de partager ma réflexion avec le public.»

Le 28 septembre dernier, tu as fait paraître ton essai Les quatre mousquetaires de Québec: La carrière politique de René Chaloult, Oscar Drouin, Ernest Grégoire et Philippe Hamel aux éditions du Septentrion. À quel moment as-tu commencé à t’intéresser à l’histoire du Parti national, et à ces quatre personnages politiques en particulier? 

«J’ai consacré mon mémoire de maîtrise ainsi que mon premier livre à l’abbé Pierre Gravel de Québec, un autre personnage peu connu qui défie les conceptions les plus courantes de droite et de gauche.»

«En faisant mes recherches, j’ai beaucoup entendu parler des députés du Parti national, qui partageaient plusieurs des idées de l’abbé Gravel. J’ai immédiatement trouvé fascinants ces personnages, ainsi que leurs idées avant-gardistes qui ne seront concrétisées qu’une trentaine d’années plus tard au cours de la Révolution tranquille.»

«J’ai regretté qu’il n’existe alors aucun livre consacré au Parti national. Au cours de mes recherches, je suis tombé par hasard sur un article de journal qui leur donnait le surnom de “mousquetaires de Québec”. J’ai immédiatement décidé que j’écrirais un jour un livre sur eux et qu’il s’intitulerait Les quatre mousquetaires de Québec… par Alexandre Dumas. Dix ans plus tard, le livre en question se retrouve en librairie.»

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Les explications de l’échec du Parti national dont tu nous fais part dans ton livre offrent aux lecteurs des pistes de réflexion quant à la remise en question des raisons du «retard» du Québec et de ce qu’on a appelé la «Grande Noirceur». Sans trop nous dévoiler de détails croustillants, bien sûr, peux-tu nous donner un aperçu des idées que tu avances sur cette période clé de l’histoire du Québec?

«Le Parti national proposait notamment la nationalisation de l’électricité, la création d’un code du travail, la lutte à la corruption électorale et la modification du statut de la femme mariée pour lui permettre d’administrer ses propres biens, des réformes qui ne seront mises en place que trois décennies plus tard.»

«Nous pourrions croire qu’il était trop tôt et que les Québécois n’étaient pas prêts, mais alors comment expliquer l’immense popularité des “quatre mousquetaires”? Ils ont été traînés sur toutes les tribunes et utilisés comme caution morale par Maurice Duplessis en 1936, puis par Adélard Godbout en 1939. Dans un cas comme dans l’autre, les observateurs reconnaissent l’importance de leur soutien au camp victorieux. Nous pouvons donc croire que les Québécois auraient en fait été prêts pour des réformes importantes bien avant 1960.»

«J’avance dans mon livre que l’explication se trouve possiblement du côté de l’esprit de parti. Plusieurs députés de l’Union nationale jugeaient que les idées des quatre mousquetaires étaient excellentes lorsqu’ils étaient dans le même parti, mais les ont ensuite jugées impraticables et irréalistes. Pareillement, les libéraux qui traitaient les députés du Parti national de communistes ont commencé à les considérer comme de grands patriotes lorsqu’ils se sont alliés.»

Si tout était possible, y compris remonter le temps, à quelle époque historique souhaiterais-tu être téléporté pour la vivre de l’intérieur, et pourquoi?

«Quand des gens me disent qu’ils aimeraient pouvoir vivre à une autre époque, par exemple à l’ère victorienne ou dans les années folles, je brise le rêve en leur demandant s’ils se sentent réellement capables d’abandonner le confort matériel des années 2020.»

«Cela dit, si je devais choisir, je retournerais probablement au début des années 1930 pour me lancer en politique et, pourquoi pas, changer le cours des événements! Avec les années 1960, les années 1930 sont certainement la décennie où se sont faites les plus grandes remises en question de la société québécoise. J’ai lu énormément sur le sujet, mais il est difficile de s’imaginer ce que c’était de vivre les grands débats sociaux et politiques.»

«L’expérience de l’Action libérale nationale en 1934-1936 (dont je parle également dans mon livre) et celle du Parti national m’apparaissent comme de beaux rêves qui ne se sont jamais réalisés par manque de courage, dans une société qui pourtant réclamait du changement. L’historien ne doit évidemment pas réécrire l’histoire, mais il m’arrive souvent de me demander “Et si…?”»

Pour lire nos précédents articles «L’entrevue éclair avec» et faire le plein de découvertes, consultez le labibleurbaine.com/nos-series/lentrevue-eclair-avec.

*Cet article a été produit en collaboration avec les éditions du Septentrion.

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