ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : David Mendoza Hélaine
Comment accepter le corps qui tue son propre enfant?
Baby Shower, c’est une mosaïque au sein de laquelle diverses femmes composent un groupe d’amies qui participe à une fête prénatale.
Tout d’abord, il y a Anne-Marie, interprétée par Gabrielle Ferron (La Délivrance, metteuse en scène de J’te pète en mixte), une fonctionnaire aisée de la Ville de Québec. Elle a presque tout: un emploi prestigieux, un bel appartement, et même un petit ami aimant. Son bonheur semble relativement complet, sauf… en en matière d’enfants!
Suite à sa troisième fausse couche, elle décide d’organiser une fête prénatale surprise pour sa sœur Jade. Cette dernière, jouée par Odile Gagné-Roy (Albane, L’incroyable histoire ineffaçable de Sainte-Dignité-de-L’Avenir), débarque sur scène en annonçant à Anne-Marie qu’elle a pris la décision de quitter le père de son enfant à venir. C’est qu’il a accepté un contrat de travail pour un salaire de 85 000 $ dans le nord, ce qui l’empêche d’être présent à l’accouchement. Le hic? C’est un prétexte inadmissible!
Entre ce coup de théâtre et la surprise du baby shower, Jade navigue au gré des conseils de ses amies sur la maternité.
Parlant d’amies, je ne vous ai pas encore présenté Éliane, jouée par Noémie F-Savoie (Albane, La Délivrance), qui est l’archétype de la mère grano. Elle est fièrement enceinte de son quatrième enfant et se fait même un point d’honneur de vanter les vertus de la maternité!
Il y a aussi Camille et Stéphanie, interprétées par Lucie M. Constantineau (Made in Beautiful, Basse-Ville) et Myriam Lenfesty (La république hip-hop du Bas-Canada, Albane). La première, une jeune mère en détresse, démontre l’intensité de son alcoolisme au cours de la fête. La seconde, une carriériste par excellence, découvre qu’elle est enceinte par accident suite à une aventure d’un soir.
Ce coup de théâtre ajoute ainsi une couche de zizanie à cette soirée déjà compliquée.
Un flot de sujets tabous qui minent le rythme du spectacle
Peut-être verrez-vous ma principale critique dans ce sous-titre? C’est qu’il y a tellement de sujets couverts que le rythme de la pièce s’en voit miner.
Par exemple, on nous parle du deuil périnatal d’Anne-Marie, de la monoparentalité de Jade, des déchirures vaginales et de leur impact sur la santé des femmes avec Camille, de la question du choix à l’avortement avec Stéphanie, et même de la diversification alimentaire par l’enfant avec Éliane. Ça fait beaucoup de terrain à couvrir en 1 heure et 40 minutes! De plus, bien que tous ces sujets s’avèrent un bon survol des défis de la maternité, ils doivent s’imbriquer dans une structure de récit avec trois tons différents.
D’abord, il y a les rencontres d’Anne-Marie avec son psychologue, et grâce auxquelles elle tente de mieux vivre son deuil périnatal, puis, il y a la fête prénatale de Jade. Et enfin, l’espace intime de la salle de bain d’Anne-Marie. À mon sens, ce sont les première et troisième parties qui dévoilent la vulnérabilité profonde de chaque personnage. Ce sont les moments les plus captivants du spectacle.
Or, bien que les activités de la Baby Shower soient assez drôles à voir, entre autres grâce à cette touche d’humour basée sur des malaises, les scènes de jeux détonnent en ton des parties chez le psychologue et dans la salle de bain d’Anne-Marie. En effet, les personnages se trouvent à la fête prénatale à jouer à des jeux, tout en gardant un masque afin de garder les bonnes apparences.
Tandis que moi, j’attendais impatiemment qu’elles soient capables d’avoir enfin une conversation honnête.
Un autre point faible du spectacle, c’est, bien sûr, l’absence du thème de la sororité pourtant annoncé par la metteuse en scène dans le programme. Il m’a semblé que cette notion n’était pas pleinement ressentie, sauf à partir de la toute dernière rencontre entre Anne-Marie et son psychologue. On dirait que Catherine Côté n’a pas trouvé de véritable moment pour l’inclure avant ce moment clé.
Par contre, il est possible que ce soit là le message central de la pièce: c’est seulement lorsque les personnages remettent en question les normes patriarcales qui définissent une bonne mère qu’elles parviennent à se soutenir mutuellement, et ce, de manière authentique.
Reste que c’était un peu long comme attente pour en arriver à cette conclusion!
Après les pots lancés, voici les fleurs
Qu’à cela ne tienne, il y a néanmoins de nombreux aspects positifs à soulever! Gabrielle Ferron, dans son deuxième rôle à Premier Acte en tant que femme enceinte cette saison, était réellement étincelante. Chapeau bas pour ses moments de sensibilité avec son psychologue! Lucie M. Constantineau, que je n’avais pas vue sur scène depuis un bon bout de temps, était incontestablement une redécouverte fort agréable.
Le décor, conçu par Alice Poirier, était quant à lui remarquable. Les spectateurs et spectatrices pouvaient observer un salon dans lequel les meubles, cachés par des draps, étaient dévoilés progressivement.
Pour moi, le point culminant de la mise en scène, et que j’ai particulièrement apprécié, reste la salle de bain réaliste, dissimulée derrière un tulle, et qui ajoute une dimension technique intéressante à la scène.
En bref, à qui s’adresse Baby Shower ?
Baby Shower semble, à première vue, être un théâtre créé par et pour les femmes, ce qui est vrai dans une certaine mesure. Il serait tout de même injuste de nier que les thèmes féminins ont été récurrents cette année à Premier Acte, comme avec J’te pète en mixte et La Délivrance.
Malgré les quelques bémols cités ci-haut, j’ai trouvé, à travers ces différents personnages féminins, des voix plus que familières. Celle d’Anne-Marie me rappelait celles de mes sœurs. Un geste de Jade me rappelait celui d’une amie.
Dans cet ordre d’idées, si l’une des intentions de l’auteure était d’élever ces voix en nous, je crois sincèrement que c’est un défi réussi et que ces paroles sont nécessaires.
La pièce «Baby Shower» de Catherine Côté en images
Par David Mendoza Hélaine
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