«Albane» d'Odile Gagné-Roy au Théâtre Premier Acte – Bible urbaine

ThéâtreCritiques de théâtre

«Albane» d’Odile Gagné-Roy au Théâtre Premier Acte

«Albane» d’Odile Gagné-Roy au Théâtre Premier Acte

Regarder ses fantômes en face: un acte d'amour envers soi

Publié le 24 janvier 2023 par Guy-Philippe Côté

Crédit photo : David Mendoza Hélaine

Odile Gagné-Roy, comédienne et créatrice diplômée du Conservatoire d’art dramatique de Québec, a fait sa marque sur les scènes de théâtres de la Ville de Québec. Son rôle dans «Titre de travail» par la compagnie Carte Blanche et dans «L’incroyable et ineffaçable histoire de Sainte-Dignité-de-L’Avenir», actuellement en vente chez Dramaturges Éditeurs, lui ont permis de se tailler une place enviable dans le milieu théâtral de la Ville de Québec. Mais ce qu'il faut savoir, c'est que sa famille a traversé un (très) grand bouleversement. En effet, son frère est mort assassiné lorsqu'elle avait seulement trois ans. De cet événement, elle en parle en ces mots: «J’ai grandi en absorbant ce drame-là. […] J’ai appris par petits morceaux et j’ai fini par me faire raconter l’entièreté de cette histoire tragique». À partir de ce drame qui donne la chair de poule, Odile a créé la pièce «Albane» avec sa compagnie La bouche_La machine. Ce spectacle est présentement joué chez Premier Acte, et ce, jusqu'au 4 février prochain.

La genèse d”une tragédie familiale

Pour l’histoire, Albane2, jouée par Odile Gagné-Roy elle-même, trouve sa mère pendue dans sa chambre. Un mot laissé par cette dernière avant son suicide l’oblige à effectuer un voyage à travers son passé familial… Une façon, pour elle, d’assister aux racines à l’origine du drame de sa lignée.

De son côté, Albane – incarnée par Myriam Lenfesty – vit avec sa mère Dréa – interprétée par Noémie F. Savoie – dont le rôle est d’être la protectrice de ses trois enfants, Albane, bien sûr, mais aussi ses deux frères Nathan et Héloi, ces derniers étant campés respectivement par Thomas Payer et Dayne Simard.

Or, dans un accès de rage dans le but de savoir qui a offert le plus beau cadeau pour l’anniversaire de Dréa, Nathan tue Héloi de sang-froid. Suite à ce meurtre, le foyer d’Albane s’empêtre dans des secrets et des non-dits qui mènent chacun des membres vers une spirale tragique de violence intergénérationnelle.

Photo: David Mendoza Hélaine

Des choix stylistiques qui comportent leur lot de risques

Je l’avoue, je suis entré dans la salle du Premier Acte avec une ou deux idées préconçues sur la pièce. Car trois jours avant la première représentation du spectacle, Odile Gagné-Roy a pris part à une entrevue avec le Journal Le Carrefour de Québec. Elle y parlait entre autres de l’ajout du grotesque (ou d’un «humour noir») à travers la mise en scène: «Les moments intenses soulignés au marqueur donnent une autre importance aux moments sensibles et plus simples».

C’est l’un des seuls «problèmes», plutôt minimes cela dit, que j’oserai soulever sur la représentation à laquelle j’ai assisté. En effet, les moments intenses, qui ont été marqués au surligneur afin de les ridiculiser, me sont un peu tombés sur les nerfs. Car à mon sens, le grotesque est beaucoup plus qu’un simple humour noir; il peut faire renverser l’ordre établi.

Ma deuxième remarque porte sur le fait que la créatrice ait placé Albane au cœur de cet événement familial pour le moins tragique. À mon sens, utiliser une expérience subjective empreinte d’une telle charge d’émotivité comporte son lot de risques. Tout d’abord, il y a le danger de spectaculariser le trauma d’une personne. Ensuite, le fait de créer une œuvre à partir d’une telle matière brute comporte ses risques, notamment que les artistes passent à côté du plus important.

À mon sens, il faut rendre ce qui est personnel davantage universel.

Une scénographie pour le moins étonnante!

Étant donné que le drame qui se joue devant nos yeux provient d’un événement qui s’est réellement déroulé, une partie de moi s’attendait à retrouver une scénographie réaliste, sans prise de risques. Or, la scénographie post-dramatique qui m’attendait ce soir-là m’a agréablement surpris.

Au fond de la salle se trouvaient plusieurs fils D.E.L. lumineux ainsi qu’une boîte en Plexiglas avec des mains en mousse de polystyrène ainsi qu’une vitre servant à créer des fantômes de Pepper – un effet vidéo visant à concevoir des formes fantomatiques – était disposée en son centre.

C’est donc à une scénographie qui évoque un récit de science-fiction post-dramatique à laquelle j’ai été confronté. L’effet a été saisissant, et à un tel point que mes préconceptions de la pièce ont rapidement été jetées par la fenêtre!

Par ailleurs, je tiens à lever mon chapeau à Emile Beauchemin pour la création de l’espace scénique, de même que la vidéo et les lumières. Ces deux derniers éléments s’incorporaient à travers la dramaturgie de fort belle façon. Pour vous donner une idée, les effets de fantômes de Pepper, dont je vous ai parlé précédemment, venaient symboliser le meurtre d’Héloi. L’assassinat marque alors l’entrée de ce drame dans le monde des morts…

Photo: David Mendoza Hélaine

Ce qui permet à cette pièce de se démarquer de celles qui ont été l’affiche du théâtre Premier Acte cette saison, c’est sans aucun doute le jeu des interprètes. J’ai trouvé qu’ils ont adopté une esthétique de jeu qui ressemble au Théâtre de la mort de Tadeusz Kantor. Je m’explique! Ce dernier est un metteur en scène peu connu en dehors des cercles d’initiés. Son style de jeu implique une gestuelle grotesque évoquant la présence de fantômes sur le plateau.

Dans le cas d’Albane, était-ce un choix conscient? Au bout du compte, la réponse importe peu. L’important, c’est que le jeu des acteurs sort réellement du lot, et c’en est franchement rafraîchissant.

En conclusion, j’aimerais vous partager un dernier argument pour vous convaincre d’aller voir cette pièce. Pour ça, j’aimerais vous raconter une petite anecdote.

Dernièrement, j’ai discuté avec ma mère sur les implications de l’amour inconditionnel d’un parent envers son enfant. Car elle y croit dur comme fer, voyez-vous! Pour prouver son point, elle m’a paraphrasé les dires du père du tueur de l’attentat de la grande mosquée de Québec, qui a dit: «Mon fils n’est pas un monstre. Son acte était monstrueux, mais il n’est pas un monstre».

Pour sa part, Odile Gagné-Roy affirme dès le début de sa pièce qu’elle s’identifie au tueur de son frère. Bien sûr, elle n’excuse pas son geste, mais elle sait qu’elle porte en elle la même humanité. Ce spectacle nous rappelle donc qu’il est primordial de regarder nos propres fantômes, ces secrets potentiellement monstrueux. Car Odile, elle, a réussi à examiner les siens, et ce, sans aucun jugement.

En toute franchise, c’est probablement l’un des plus grands actes d’amour envers soi que j’ai vu sur scène depuis longtemps!

«Albane» d'Odile Gagné-Roy en images

Par David Mendoza Hélaine

  • «Albane» d’Odile Gagné-Roy au Théâtre Premier Acte
  • «Albane» d’Odile Gagné-Roy au Théâtre Premier Acte
  • «Albane» d’Odile Gagné-Roy au Théâtre Premier Acte
  • «Albane» d’Odile Gagné-Roy au Théâtre Premier Acte
  • «Albane» d’Odile Gagné-Roy au Théâtre Premier Acte
  • «Albane» d’Odile Gagné-Roy au Théâtre Premier Acte
  • «Albane» d’Odile Gagné-Roy au Théâtre Premier Acte
  • «Albane» d’Odile Gagné-Roy au Théâtre Premier Acte
  • «Albane» d’Odile Gagné-Roy au Théâtre Premier Acte
  • «Albane» d’Odile Gagné-Roy au Théâtre Premier Acte

L'avis


de la rédaction

Nos recommandations :

Vos commentaires

Revenir au début