L’Apex Théâtre récidive avec «Blackbird» au Théâtre Périscope – Bible urbaine

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L’Apex Théâtre récidive avec «Blackbird» au Théâtre Périscope

L’Apex Théâtre récidive avec «Blackbird» au Théâtre Périscope

À l’envers dans un monde pas tout à fait à l’endroit

Publié le 21 février 2022 par Athéna Whitton-Clément

Crédit photo : David Mendoza Hélaine

L’Apex Théâtre affiche fièrement sa présence dans le paysage théâtral de Québec en ce moment. Alors qu’une nouvelle création est présentée à Premier Acte en simultané, c’est au Périscope que «Blackbird» joue sa reprise. La première production remontait à 2019.

Il s’est passé 15 ans depuis que Ray et Una se sont vu.es pour la dernière fois. Une période suffisamment longue pour que leur regard respectif posé sur la nature de leur relation se transforme. Temps de réflexion, remise en question, prise de conscience… il n’en demeure pas moins qu’en termes de sentiments, un trouble persiste.

Était-ce de l’amour? L’amour n’a pas d’âge, dit-on. Mais lorsque l’un a 45 ans et que l’autre en a seulement 12, c’est la loi qu’on écoute. La raison et non le cœur.

Ni la loi ni la morale ne fait abstraction des zones grises

La disposition de la salle du Périscope a des allures de tribunal. Avec la scène faisant face à une audience séparée en position bifrontale pour former un angle, on pourrait très bien s’imaginer que le metteur en scène Olivier Lépine souhaitait nous donner l’impression d’incarner un jury en train d’assister aux témoignages des deux partis. C’est intéressant, voire inhabituel.

Nous aurions pu être en position de face-à-face, comme c’est plus souvent le cas. Nous aurions pu être également assis.es autour d’un ring comme si la joute verbale nécessitait à la fois des cris partisans et la victoire absolue d’un des deux adversaires.

Ce n’est pas le cas et cela dépeint de manière très juste ce à quoi il faut s’attendre, c’est-à-dire de la nuance. Bien entendu, avec un tel sujet – détournement d’une mineure, pédophilie – il y a de quoi sentir ses viscères s’échauffer. Toutefois, il serait dommage d’être catégorique dès le départ.

Car la pièce a de quoi offrir une réelle et profonde réflexion sur deux êtres qui ont été reliés par quelque chose d’infiniment troublant et qui suscite légitimement un besoin de comprendre. Cela étant dit, comprendre ne signifie ni tolérer ni accepter. Cependant, cela nécessite d’être disponible pour écouter et accueillir chaque version.

Laisser place à la parole

L’écriture de cette pièce est exigeante. Son style, s’entend. Notamment le début du texte, par exemple, dans lequel les répliques sont très entrecoupées. On assiste à une conversation entre deux personnes qui peinent à communiquer – Una a quelque chose à dire que Ray ne veut pas ou n’est pas prêt à entendre.

L’effet produit inspire quelque chose qui semble vouloir être naturel, imparfait. Toutefois, l’entrée en jeu aurait sans doute été encore plus détonnante avec une parole davantage incisive, mais moins resserrée.  Si elle avait été travaillée comme une partition, à partir d’un axe rythmique et technique, une fibre autrement performative aurait pu s’insérer dans ce dialogue déjà dense et complexe.

Il est donc un peu dommage de perdre des mots même si on comprend bien le jeu d’enchevêtrement. Malgré tout, la parole est impeccable une fois passée l’introduction. Les personnages se déposent, s’ouvrent peu à peu, et on entendra parfaitement ces deux histoires entremêlées.

Qui voit juste? Qui dit vrai?

La charge émotive de ce spectacle est impressionnante, et absorber ce double récit s’apparente au fait de franchir un brouillard épais. La traversée est longue et il ne faut pas oublier de respirer. Gabrielle Ferron (Una) et Réjean Vallée (Ray) sont très bons dans leur proposition. On reçoit autant l’amour – puisqu’il est nommé ainsi – que la répulsion tellement la colère est forte.

Si Una fait irruption dans la vie de Ray quinze ans après la fin de leur relation, ayant grandi et pouvant à ce jour déclarer avec objectivité qu’elle a été abusée, elle fait face à un homme qui sait paramétrer les limites de ses torts. Il est capable d’admettre et de faire acte de culpabilité. En dépit de cela, il ne parvient pas comme elle à nommer les choses, ne serait-ce que «sein» ou «sexe».

Ray apparaît émouvant, de bonne foi et on réussit à extraire le pervers de cet homme. Quant à Una, on ne peut ignorer ses doutes, la façon dont sa vie a été changée et le fait incontestable qu’elle se soit sentie abandonnée. Alors on ne sait pas exactement, mais on continue à avancer avec précaution, avec attention.

La maladresse de l’homme qui aura bientôt soixante ans surgit par moments. Lui est-elle propre? Son comportement trahit parfois une forme de nervosité et on se demande si ses réactions quelque peu violentes sont des clefs de compréhension données par la direction du metteur en scène. Ou bien, serait-ce un commentaire tacite émis sciemment par ce dernier, subtil mais sans appel?

Ce qui ne se répare pas ne peut trouver sa conclusion

La vérité, c’est que cela reste ambigu, et la pièce Blackbird n’en est que d’autant plus réussie. On ne peut que très difficilement trancher. Le sujet reste délicat jusqu’à la dernière réplique, jusqu’au dernier mot. Jusqu’à cette dernière intonation, demeure en nous cette ambivalence et cet inconfort face aux deux protagonistes et à leur lien.

Si le théâtre ne se transforme pas en tribunal populaire, c’est bien parce que les comédien.nes exposent respectivement leur personnage avec respect et empathie sans démontrer une pointe de jugement.

C’est en cela que l’interprétation et la mise en scène parviennent à faire corps avec le texte, et ce, de manière remarquable.

La reprise de «Blackbird» au Théâtre Périscope

Par David Mendoza Hélaine

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