LittératureBandes dessinées et romans graphiques
Crédit photo : Éditions Alto @ Tous droits réservés
«Je crois que l’art et les histoires, c’est les meilleures des inventions humaines. Le mieux, pour être un monstre capable de vaincre les forces du mal, c’est de créer et de raconter.» – Karen Reyes
Depuis le Salon du livre de Montréal, où j’ai eu le temps de zyeuter en masse ce Livre deuxième qui me faisait de l’œil, lui aussi, sur la couverture duquel on reconnaît bien la bouille de la protagoniste Karen Reyes, cet alter ego mi-femme, mi-loup-garou de l’illustratrice Emil Ferris, je n’avais qu’une seule hâte: m’entraîner les biceps pour tenir ce bel objet qui allait m’entraîner dans le Chicago des années 1960.
Avant d’aller plus loin, je préfère vous éviter la petite surprise: non, ce n’est pas cette fois que vous allez enfin connaître la résolution du meurtre – ou du suicide – entourant la mort d’Anka Silverberg. Eh non. Un troisième et dernier tome s’ajoutera à cette (déjà) immense trilogie de 800 pages. Ainsi, on est à nouveau laissé sur notre faim, entre interrogations et mystères, et c’est bien correct.
Après tout, n’est-ce pas une bonne nouvelle d’apprendre qu’on va pouvoir replonger, vous et moi, dans cet incroyable univers dans un futur proche?

Image tirée de «Moi, ce que j’aime, c’est les monstres – Livre deuxième» d’Emil Ferris
Dans ce deuxième tome, Karen Reyes continue de gribouiller avec un talent évident dans son journal intime, nous entraînant, par la force de sa narration, et par son don inné pour l’expressivité des visages, dans un univers semi-réaliste et semi-fantasmagorique, en quête d’une vérité qui n’est pas évidente à percer à jour.
«Le courage, c’est pas de ne pas avoir peur, c’est de faire de sa peur une arme…» – Karen Reyes
Je dois admettre que cette détective en herbe, qui a un don d’introspection extraordinaire pour son jeune âge, ne s’est pas lancée dans une mince affaire il y a quelque temps. En effet, le monde dans lequel elle évolue est cruel, impitoyable, imprévisible, et plus elle progresse dans son enquête, plus elle se rend compte que la confiance, eh bien, c’est quelque chose qui peut être mis à rude épreuve.
Bien sûr, son frère Deeze, qu’elle affectionne autant qu’elle redoute, n’est jamais trop loin, mais ce dernier semble impliqué plus qu’elle n’ose le croire dans la disparition d’Anka, avec qui il entretenait (soit dit en passant) une relation intime.
Et comme Deeze c’est le roi des louches… c’est difficile de ne pas l’imaginer assis sur le banc des accusés. Pardonnez-moi, je réfléchis à voix haute.
Grâce à des cassettes qui ont pris la poussière dans l’appartement de M. Sam Silverberg, et auxquels Karen réussit (avec sa permission) à avoir accès, après avoir usé d’un brin d’audace et d’insistance – des qualités que tout bon détective devrait avoir, non? – la voix sur bande d’Anka, quasi fantomatique vu qu’elle n’est plus, narre le récit de cette survivante de l’Holocauste et permettra à notre loup-garou futé d’en savoir plus sur la disparue et, qui sait, peut-être sur les motivations de celui ou celle qui lui a voulu du mal…
Je m’arrête ici avant de trop en révéler.
«La première fois que j’ai entendu l’histoire d’Anka, j’ai pensé que c’était trop dur de vivre dans un monde où ce genre d’atrocités peuvent arriver». – Karen Reyes
Tout au long de ce Livre deuxième, donc, j’ai progressé volontairement à un rythme de croisière – c’est ça la beauté de ces livres, il y a tant de détails à regarder et à lire que je n’ai ressenti aucune pression quant au fait d’arriver le plus vite possible à la dernière page.

Image tirée de «Moi, ce que j’aime, c’est les monstres – Livre deuxième» d’Emil Ferris
Entre les couvertures souvent hyper gore des magazines Ghastly, Arcane, Spectral ou Dread, auxquels se passionnent Karen et Deeze, ou encore les gribouillis de la délurée Karen grâce auxquels elle nous fait entrer dans son imaginaire flyé, ponctué de segments d’Histoire, d’horreur et de beaux-arts, je l’avoue, j’ai pris un malin plaisir à avancer à pas feutrés dans cet univers singulier.
Bien sûr, Emil Ferris possède un incroyable coup de crayon. Par moments, toutefois, certains dessins sont esquissés plus à la va-vite et détonnent du reste – mais la qualité de cet album, et la solidité du fil conducteur de son récit, excusent ces gribouillis moins réussis (à mes yeux).
Il n’y a pas à dire, la bédéiste excelle dans l’art de raconter des histoires profondes et touchantes, en plus d’accorder une importance particulière à l’évolution de ses personnages, qui changent, évoluent, maturent au fil des pages.
À travers la plume de la jeune Karen, elle aborde de nouveaux thèmes qui résonnent en nous, comme le deuil d’une personne chère, l’éveil et l’identité sexuelle, entre autres, et l’importance des rêves comme révélateurs de vérités, sans oublier, bien sûr, l’art comme arme massive contre le spleen, et les gros méchants.
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de la rédaction