LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Bénédicte Roscot
Valentin, il semble que votre frère Guillaume et vous aviez baigné, petits, dans un univers peuplé de livres, puisque votre mère était bibliothécaire. On vous sait aussi grand fan de Stephen King, de romans noirs et de lectures classiques. Parlez-nous de cette passion pour la lecture et de ce qui vous a mené, adolescent, à vouloir écrire à votre tour!
«Il y avait effectivement énormément de livres à la maison et je peux dire que ce sont mes parents qui m’ont transmis le goût de la lecture, même si je ne suis devenu un vrai lecteur que vers l’âge de 13 ou 14 ans.»
«Je me rends d’ailleurs compte que je n’ai jamais lu de littérature pour la jeunesse. Je suis immédiatement passé aux grands classiques français du XIXe siècle, à la littérature russe, anglaise et américaine. Le policier et le fantastique ont également joué un grand rôle dans ma vie de lecteur: c’est à l’adolescence que j’ai découvert Edgar Allan Poe, Arthur Conan Doyle, Agatha Christie, puis un peu plus tard des auteurs comme Stephen King et Richard Matheson.»
«J’ai très tôt rêvé de devenir écrivain: c’était une évidence pour moi, un objectif que je m’étais fixé. À cette époque, je rédigeais des nouvelles et des poèmes inspirés de Rimbaud et de Baudelaire. Je crois que le cinéma a également été décisif dans mon envie de raconter des histoires. J’enregistrais sur VHS des films de Hitchcock, de Kubrick, de Lubitsch, et je regardais beaucoup de thrillers américains que je revoyais sans fin pour essayer de les analyser.»
On vous connaît depuis quelques années déjà, puisqu’on a eu l’heureux privilège de découvrir quelques-uns de vos thrillers psychologiques, en commençant par Le murmure de l’ogre (2012), Sans faille (2014) puis Une vraie famille (2015), notre petit favori! Où puisez-vous votre inspiration pour l’écriture de thrillers, et comment réussissez-vous à agencer les pièces du puzzle afin d’offrir un thriller exaltant à vos lecteurs?
«L’inspiration varie vraiment d’un livre à l’autre. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a aucune recette pour trouver le sujet d’un roman. En général, je ne cherche pas les idées, ce sont plutôt elles qui viennent à moi. J’ai pu m’inspirer d’éléments autobiographiques – notamment mes années de classe préparatoire et d’internat –, dénicher des sujets que je ne connaissais pas dans des articles de presse, ou m’inspirer de certains lieux qui m’ont marqué.»
«Par exemple, un été, j’ai passé deux mois dans une vieille longère en Bretagne près de Quimperlé. Cette maison m’a immédiatement inspiré et j’ai commencé à écrire Une vraie famille, un huis clos qui met en scène un couple dont la vie va être bouleversée par l’arrivée d’un jeune marginal. C’était d’ailleurs une expérience étrange d’entamer une histoire qui se déroulait dans le lieu même où je l’écrivais.»
«En général, je ne passe pas des mois à élaborer un plan détaillé de mes romans. Je connais toujours le début et la fin, j’ai en tête les grands rebondissements et la structure générale du livre, mais j’ai très vite besoin de me confronter à l’écriture, de créer une atmosphère et de faire vivre mes personnages. J’aime me laisser une grande liberté, car il est fréquent que la plupart des idées intéressantes me viennent en cours d’écriture.»
«J’essaie toujours de me mettre dans la tête de mes lecteurs, d’imaginer leurs hypothèses pour en proposer d’autres auxquelles ils ne s’attendront pas. J’ai toujours aimé les rebondissements et les twists – aussi bien en littérature qu’au cinéma –, les histoires qui manipulent le lecteur, notamment en jouant sur les points de vue ou l’identité réelle des personnages. Le meurtre de Roger Ackroyd ou Shutter Island sont, par exemple, des livres qui ont eu une grande influence sur moi. Un bon thriller, c’est aussi cela: un livre à la fin duquel on se dit “L’auteur m’a bien eu!”»
Ce 25 juin, aux Éditions du Seuil, vous dévoilerez votre roman Qu’à jamais j’oublie, une histoire dont le coup de théâtre – surprenant! – nous a remémoré une scène marquante du déstabilisant The Sinner, dont on a justement parlé dernièrement! À travers cette histoire, on découvre Nina Kircher, une sexagénaire et veuve d’un photographe mondialement connu, qui passe du bon temps dans un hôtel de luxe du sud de la France. Prise d’une soudaine impulsion aussi vive qu’inattendue, elle quittera la piscine où elle se baignait pour suivre un homme et le poignarder sans raison apparente, avant de sombrer dans un mutisme complet. Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de plonger tête première dans cette sombre histoire, et que peut-on savoir sur les motivations de Nina? On est curieux!
«Qu’à jamais j’oublie est un livre particulier, puisque j’ai commencé à l’écrire il y a cinq ans, après avoir lu dans un hebdomadaire un article qui traitait des internements administratifs qui ont eu lieu en Suisse tout au long du XXe siècle. La ressemblance avec The Sinner est donc une pure coïncidence, car la série n’existait pas quand j’ai écrit le prologue du livre. À l’époque, malheureusement, j’ai dû abandonner cette histoire parce que je manquais de documentation.»
«Pour avoir déjà écrit des romans qui ont pour toile de fond des événements historiques, je savais qu’il fallait d’abord passer par une grosse phase de recherches pour donner au récit du réalisme et de l’épaisseur. Ce n’est que l’an dernier, en furetant dans les dossiers de mon ordinateur, que je me suis replongé dans cette histoire. J’ai eu la chance que des archives et des travaux universitaires aient été publiés depuis, ce qui m’a permis de m’appuyer enfin sur des éléments concrets.»
«Nina est la véritable héroïne du roman, même si elle s’enferme dès le début dans un mutisme complet. Elle va commettre une tentative de meurtre alors que toute sa vie n’a été en apparence qu’un long fleuve tranquille. Ce moment du basculement – dans la folie ou dans le meurtre – est particulièrement fascinant pour un romancier. Pourquoi un être passe-t-il à l’acte? Quel micro-événement le fait basculer?»
«Nina a cru toute sa vie avoir dépassé un traumatisme vécu à l’adolescence alors qu’elle n’a fait que le revivre sans cesse en s’enfermant dans une spirale infernale. Il y a au cœur du roman la notion de résilience, qu’a popularisée Boris Cyrulnik, cette capacité à dépasser un drame et à se reconstruire, en transformant la représentation que l’on a de son traumatisme.»
Ici, nous suivons principalement Théo, le fils de Nina Kircher, qui n’a d’ailleurs jamais eu une relation très fusionnelle avec cette dernière. Mais pour comprendre l’acte insensé commis par sa mère, qu’il ne connaît pas tellement au final, il devra plonger dans les affres de son passé et mener sa propre enquête, qui le mènera de Paris à la Suisse, en passant par la Côte d’Azur. À quel type de rebondissements nos lecteurs doivent-ils s’attendre, et que pouvez-vous nous révéler, à demi-mot bien sûr, sur l’histoire familiale de Nina et Théo?
«Qu’à jamais j’oublie est un drame familial, puisque Théo va découvrir des secrets inavouables qui vont remettre en question toute l’histoire de sa famille. Il comprend très vite qu’on lui a menti toute sa vie sur l’histoire de sa mère et de ses grands-parents. Son enquête va lui apprendre que garder le silence fait bien plus de ravages dans la cellule familiale que de dire la vérité.»
«Mais ce livre est aussi un thriller psychologique. Dans mes romans, il y a peu de scènes d’action ou de meurtres sanglants. Au-delà de l’enquête policière, mes personnages partent en quête de leurs origines ou revisitent leur passé. Ils ont en général été davantage marqués dans leur vie par des violences psychologiques que physiques. Cet attrait pour ce type de roman me vient sans doute de la lecture d’auteurs comme Agatha Christie, Georges Simenon ou Patricia Highsmith…»
«Les mensonges et les secrets de famille font partie de mes thématiques préférées, car elles offrent des possibilités narratives inépuisables. Tous les rebondissements du roman seront en lien avec ces thèmes. Lorsque le lecteur croit avoir obtenu les réponses à la plupart de ses questions, le rythme du récit s’accélère dans la dernière partie. Il n’y a pas d’épilogue dans le livre, mais un dernier chapitre qui apporte un ultime retournement de situation auquel aucun de mes lecteurs ne s’était attendu.»
Si vous aviez la chance de rencontrer l’un.e de vos idoles le temps d’un dîner ou d’un apéro, qui choisiriez-vous, et de quoi aimeriez-vous parler avec lui/elle? Vous pouvez aussi nous décrire l’ambiance autour de votre rencontre… on aimerait ça rêver un peu, nous aussi!
«Depuis que j’écris, j’ai eu l’occasion de rencontrer nombre d’auteurs français ou étrangers que j’apprécie et même de pouvoir discuter avec eux. Je me souviens, par exemple, d’un repas formidable que j’ai partagé il y a quelques années avec Thomas H. Cook et Sam Millar grâce à mon éditeur. C’est un très beau souvenir.»
«Aujourd’hui, je crois que je rêverais de rencontrer des réalisateurs, étant donné que le cinéma est mon autre grande passion — mon roman Une vraie famille est d’ailleurs en cours d’adaptation et je suis de très près l’écriture du scénario. Mon dîner idéal réunirait les membres du Nouvel Hollywood: Spielberg, Scorsese, De Palma, Coppola… Je connais leurs films par cœur, et ils ont joué un rôle essentiel dans ma découverte du septième art.»
«Même si j’aurais sans doute mille questions à leur poser, je crois que j’aimerais surtout les écouter discuter entre eux, se souvenir de cette époque bénie des années 1970, durant laquelle ils ont révolutionné le cinéma américain et participaient réciproquement à leurs films. À l’issue du dîner, je ferais une photo de groupe – sans doute la dernière qui les réunirait, comme sur ce légendaire cliché datant d’il y a une bonne trentaine d’années. Et avant de les quitter, je leur offrirais bien sûr un de mes romans!»