LittératureL'entrevue éclair avec
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Ensaf, il y a déjà 10 ans que vous avez quitté l’Arabie saoudite pour vous installer à Sherbrooke, où vous avez obtenu l’asile politique en octobre 2013. Depuis, vos trois enfants et vous-même êtes des citoyens canadiens. Vous partiez de loin! Comment s’est passée votre intégration à la société québécoise, et qu’appréciez-vous le plus de votre vie, ici?
«C’était un long périple. Je suis d’abord allée en Égypte puis au Liban. De là, j’ai demandé le statut de réfugié qui a été envoyé à plusieurs pays et le Canada a répondu en premier. Mes trois enfants et moi, nous sommes arrivés pendant la soirée de l’Halloween. C’était assez amusant!»
«Nous nous sommes intégrés très vite grâce aux Sherbrookois qui m’ont ouvert leur cœur. J’ai retrouvé une famille et des amis formidables qui nous entourent. Mes enfants parlent parfaitement le français et nous vivons dans une ville calme et paisible.»
Bien sûr, on est sensible à l’histoire effroyable de votre mari, l’écrivain et blogueur saoudien Raïf Badawi, qui est emprisonné depuis près de 10 ans – depuis le 17 juin 2012 pour être exact – pour avoir milité pour une libération morale de l’Arabie saoudite, dont la liberté de conscience, la liberté d’expression et l’égalité entre les hommes et les femmes. Depuis le début, vous avez œuvré sans relâche pour la libération de votre mari. Est-ce suite à la publication de Mon combat pour sauver Raïf Badawi (Éditions L’Archipel, 2016) que vous vous êtes découvert cette envie d’écrire? Parlez-nous de votre rapport à l’écriture.
«J’ai toujours beaucoup écrit. J’aime l’écriture. Mon premier livre, je l’ai écrit en collaboration. Il s’agissait de raconter ma vie en Arabie saoudite, car tout le monde me demandait de la raconter. C’est ainsi que j’ai écrit le premier livre. Selon le calendrier arabe, Raïf achève bientôt son emprisonnement.»
«Mon premier roman, La geôle des innocents, est une fiction. J’ai imaginé ce que pourrait être la vie de personnages qui ne connaissent pas l’Arabie saoudite et qui se retrouvent confrontés puis coincés, notamment en raison des mœurs rigides imposées par le pays.»
Cinq ans plus tard, vous avez levé le voile sur votre premier roman de fiction, La geôle des innocents, paru également chez L’Archipel, une histoire à donner le frisson dans le dos et qui nous plonge dans la descente aux enfers de Rachwan et Râm, deux travailleurs étrangers qui sont incarcérés à Djeddah, en Arabie saoudite. D’où vous est venue l’impulsion d’écrire cette histoire et cela a-t-il été un exercice difficile, pour vous?
«J’ai imaginé la vie en prison à partir de films syriens, libanais et égyptiens que j’ai vus. J’ai voulu que mes personnages soient confrontés à la découverte du pays, qu’ils vivent des détentions arbitraires et qu’ils s’aperçoivent de l’influence de la police religieuse au moment où Raïf a été emprisonné.»
À la lecture du roman, on comprend que la geôle représente en quelque sorte «une métaphore d’une société enfermée dans ses paradoxes et sa folie». Avez-vous espoir que l’Arabie Saoudite, sous le règne du prince Mohammed ben Salmane, change ses paradigmes, un jour?
«Le pays est en train de changer. De nombreuses familles sont encore dans les mœurs et les coutumes anciennes. Il est difficile de faire changer des traditions qui durent depuis des millénaires, de bousculer ces croyances et la justice du pays, de l’intérieur même de l’Arabie saoudite.»
Il semblerait que vous soyez intéressée à joindre l’équipe du Bloc québécois pour représenter Sherbrooke, votre ville d’adoption. Parlez-nous de cette envie de vous lancer en politique, ici au Québec! Et comme mot de la fin, on aimerait savoir si vous avez toujours l’espoir que Raïf vous rejoigne enfin, très prochainement. Car après tout, il a été déclaré citoyen d’honneur de Sherbrooke… il mérite ce titre et un accueil en grand, lui aussi!
«J’ai toujours voulu me présenter en politique! En 2019, mes enfants étaient très jeunes. Maintenant, ils sont plus autonomes. Je conduis. Je suis plus libre de mes mouvements. J’avais envie de représenter les Sherbrookois qui nous ont accueillis, mes enfants et moi, au Québec.»
«Oui. J’ai espoir que Raïf nous rejoigne à Sherbrooke. Il ne lui reste que très peu de temps pour sa libération selon le calendrier arabe. Je l’imagine avec un grand bonheur déjà parmi nous très bientôt. Non seulement il est maintenant citoyen d’honneur à Sherbrooke, mais il a aussi reçu le Certificat de sélection de Québec et il a aussi sa carte de presse de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ).»
«Il ne manque à Raïf que la citoyenneté canadienne pour que les autorités canadiennes puissent s’occuper de lui jusqu’à la fin de son incarcération et que l’Arabie saoudite le libère pour qu’il vienne enfin nous retrouver.»