ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Valérie Remise
Mon cœur s’est gonflé à plusieurs reprises pendant les deux heures que durent ce show extraordinaire. Digne successeur de Vrais mondes (2014) et Pôle Sud (2017), ce plus récent spectacle – et dernier de la trilogie – qui mélange encore une fois représentation et documentaire, étonne et ébahit.
Sur scène, des personnages «civils» posent des gestes de leur quotidien, sans parler, alors que résonne dans la salle un enregistrement remonté d’une conversation Barbeau-Lavalette et eux.
À la fois candide, profonde et lumineuse, cette «jasette» est structurée de façon à étager les révélations, à retirer les couches d’hésitation et de méfiance, et à ensorceler autant son protagoniste que le public, qui retient littéralement son souffle devant la beauté des secrets, des points de vue ou des observations ici exposés.
De petites et grandes histoires sont donc racontées, en toute authenticité, sans travail de réécriture, et surtout sans censure. Il est difficile d’oublier Réal, un artisan de Bonaventure, en Gaspésie, dont la femme souffre d’Alzheimer, et qui gigue seul dans son garage par passion. Ou encore Elisabeth, orthophoniste spécialisée en réadaptation, qui travaille avec des accidentés ayant perdu la faculté de parole. Et que dire de Quentin, un bouleversant gamer solitaire qui rêve de la vie éternelle, et dont le seul contact avec d’autres humains a lieu pendant ses cours de danse?
Huit personnages plus grands que nature, dont l’humanité nous réchauffe jusqu’aux os.
Préserver les coutumes
La scénographie de Julie Vallée-Léger est admirable; des bottes et souliers, appartenant à tous les intervenants, jonchent aléatoirement les planches, devant un mur modulaire sur lequel sont projetés des petites vidéos et des effets visuels. Les animations viennent rehausser le propos et le bonifier émotivement; si un documentaire ne peut pas véritablement être neutre, car le montage requiert des choix, la magie du médium opère ici pleinement, alors qu’Anaïs Barbeau-Lavalette laisse toute la place à ces individus imparfaits mais glorieux, avec qui on a soudainement envie de danser.
Il est beaucoup question de patrimoine culturel dans les propos des intervenants, de notre identité et de nos coutumes, qu’on considère souvent comme «quétaines». Ces gestes qui se perdent, cette expertise qui disparaît. Un lien unit les huit personnes qui foulent la scène, un lien surprenant et émouvant.
Rien n’est plus beau qu’un humain passionné et enthousiaste à l’idée de discourir de ses intérêts, et c’est ici une arme secrète qui se révèle redoutablement efficace. Nous sommes assurément tristes que cette trilogie théâtrale documentaire se termine, mais fort heureux de l’avoir vécue, dans toute son intensité.
Décidément l’un des moments de théâtre les plus forts qu’il m’a été permis de vivre de récente mémoire.
«Pas perdus | Documentaires scéniques en images
Par Valérie Remise
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de la rédaction