«Dans l’envers du décor»: Julie Vallée-Léger, scénographe qui célèbre 15 ans de collaboration avec la Pire Espèce – Bible urbaine

ThéâtreDans l'envers du décor

«Dans l’envers du décor»: Julie Vallée-Léger, scénographe qui célèbre 15 ans de collaboration avec la Pire Espèce

«Dans l’envers du décor»: Julie Vallée-Léger, scénographe qui célèbre 15 ans de collaboration avec la Pire Espèce

Ce mois-ci, découvrez des propositions théâtrales pas piquées des vers!

Publié le 17 mars 2022 par Éric Dumais

Crédit photo : Émilie Grosset

Chaque mois, Bible urbaine s’entretient avec un artiste-concepteur du milieu théâtral afin d’en connaître davantage sur les métiers de l'ombre nécessaires à la présentation d’une pièce de théâtre. On souhaite ainsi mettre en lumière le quotidien de ces artistes qui œuvrent avec passion dans l’envers du décor, et aussi faire découvrir ce qui fait l’unicité de leur travail. Aujourd’hui, on a poussé la curiosité en interviewant Julie Vallée-Léger, une scénographe d'expérience qui célèbre 15 années de collaborations théâtrales originales et inspirantes aux côtés de ses complices Olivier Ducas et Francis Monty, codirecteurs artistiques du Théâtre de la Pire Espèce. Même si elle a souvent l'habitude d'avoir des projets plein la tête, comme c'est le cas pour «Pas perdus | Documentaires scéniques», qui joue actuellement au Centre du Théâtre d'Aujourd'hui, on la retrouve également impliquée auprès de la Pire Espèce dans deux spectacles, «Léon le nul» et «L’histoire à finir de Jimmy Jones et de son camion céleste», présentés du 9 au 26 mars au Théâtre Aux Écuries.

Julie, on aimerait que tu nous racontes comment tu as eu l’appel pour les arts de la scène et, plus spécifiquement, pour le théâtre. Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire carrière dans ce domaine?

«J’ai grandi dans une famille près des arts, des sciences et de l’éducation. Mes parents m’ont amenée très jeune voir des concerts, des spectacles et des expositions. Adolescente, j’ai continué à aller au théâtre. Les spectacles me bouleversaient; j’en sortais comme on sort d’une nuit blanche, avec sur la peau un frisson, une sensation crue d’être vivante et le vertige d’être exorcisée.»

«Ça m’a pris du temps avant de penser que je pourrais travailler là-dedans. J’avais l’impression d’avoir des passions très hétéroclites. J’ai fait mon cégep en sciences pures. Je pleurais de jalousie en voyant des étudiants dans le métro avec leurs rouleaux de plans et leurs portfolios.»

«J’ai appris que des étudiantes en scénographie de l’École nationale de théâtre du Canada étaient architectes ou ingénieures. Ça a fait son chemin. Je me suis inscrite au programme pour faire le projet du concours d’entrée, comme une pratique, en vue de le faire sérieusement l’année suivante. J’ai adoré faire ce projet, et j’ai été prise.»

«C’est un métier fantastique qui m’apporte beaucoup de satisfactions et où je me réalise, mais c’est aussi un métier extrêmement exigeant qui m’épuise souvent.»

En tant que scénographe et conceptrice de costumes et d’objets, est-ce que tu façonnes une proposition seulement à partir du texte, ou est-ce qu’il s’agit toujours d’un travail d’équipe avec les autres créateurs et le metteur en scène?

«Votre question sous-entend que c’est généralement le texte qui domine la dramaturgie théâtrale. En effet, au Québec, particulièrement à Montréal, le théâtre est texto centré. Ce n’est pas vrai à toutes les époques, et il suffit d’assister à quelques festivals internationaux pour voir que, dans plusieurs représentations, le texte est un élément important comme les autres.»

«Je privilégie le théâtre expérimental ou de recherche. J’aime travailler avec des créateurs qui utilisent le texte comme une matière. Ça laisse de la place aux autres aspects de la représentation, et surtout, ça amène une expérience sensorielle où le spectateur a souvent plus d’espace pour appréhender l’œuvre sur différents niveaux.»

«Et oui, c’est toujours un travail d’équipe, absolument toujours. Je dirais même que la qualité première d’un artiste de théâtre, parfois même juste avant son talent, c’est sa capacité de travailler en équipe. La communication et le partage des informations, l’émulation et l’enthousiasme, la confiance, le respect des compétences et des responsabilités de chacun sont primordiaux.»

Comment conçois-tu la scénographie d’un spectacle ainsi que les costumes et les objets des projets auxquels tu participes? Dis-nous aussi par quoi tu te laisses inspirer dans le cadre de ton travail!

«Suite aux premières rencontres, je fais des moodboard, genre de collages de toutes sortes d’images et d’intuitions.»

«Puis, je suis presque toujours en salle de répétition où on travaille plusieurs aspects du spectacle à la fois. J’ajoute, je provoque, je réagis aux propositions qui apparaissent en cours de travail, et je rebondis sur les idées de l’équipe.»

«Il y a aussi l’analyse des besoins de la tournée et des salles où on va jouer qui arrive assez vite dans le processus. Ces espaces vont déterminer la relation que les objets et les interprètes vont avoir avec les spectateurs.»

«J’aime beaucoup travailler les matières brutes et les objets manufacturés. Ils ont une résonance rapide et profonde avec les spectateurs. Je cherche dans les boutiques, dans les brocantes, sur les sites de matériels d’emballages industriels, bref, toutes sortes de matières que je peux apporter en répétition.»

«Je me considère vraiment comme une conceptrice de costumes quand je vois le costume comme un objet porté. Sinon, je reste surtout en contrepoint. Je regarde les acteurs bouger, ce qu’ils aiment porter. Je m’interroge sur ce qui manque et comment je peux ajuster le niveau du jeu: plus clown, plus réaliste, plus vif?»

À quoi ressemble une journée typique pour toi, en tant que conceptrice de costumes et d’objets? Fais-nous un petit récit des grandes lignes pour que l’on comprenne bien ton quotidien!

«Il n’y a pas de journée typique, mais plusieurs tâches typiques!»

RENCONTRES: «Beaucoup, beaucoup de réunions. Rencontres de créations et de coordination; discuter de la fabrication; visiter l’atelier, rencontrer une assistante pour lui donner des courses à faire; discuter avec l’éclairagiste pour intégrer des lumières aux objets, etc.»

GESTION: «Gérer des horaires complexes; évaluer les coûts; compiler les dépenses; négocier mon contrat; assister à des réunions de l’APASQ pour discuter des conditions de pratique, etc.»

RECHERCHE: «Faire des lectures préparatoires; faire des listes d’achats, beaucoup de listes d’achats; commander sur Internet (ouais, je sais); partir sur la route pour chercher des objets; louer des costumes; faire des retours quand ça ne fait pas, etc.»

DESSIN: «Dessiner les plans; lire les fiches techniques des théâtres; vérifier les angles de vue et s’assurer que le décor puisse entrer partout, se démonter facilement et entrer dans un camion; faire des documents de présentation, etc.»

PRÉSENCE: «Assister aux répétitions, aux enchaînements, aux montages, aux générales, aux premières; donner mon avis sur les actions avec les objets ou les costumes, sur l’utilisation de l’espace et leurs significations, etc.»

RESSOURCEMENT: «Dessiner pour rien; faire de la gravure; aller voir des expositions, suivre un cours de sérigraphie; voyager avec les spectacles pour assister à des festivals spécialisés; enseigner, etc.»

L’histoire-à-finir-de-Jimmy-Jones-et-de-son-camion-céleste_Théâtre-Aux-Écuries

«L’histoire à finir de Jimmy Jones et de son camion céleste». Photo: Mathieu Doyon

Toi qui as conçu les costumes et les objets des pièces L’histoire à finir de Jimmy Jones et de son camion céleste et Léon le nul, toutes deux présentées par le Théâtre de la Pire Espèce ce mois-ci au Théâtre Aux Écuries, qu’est-ce qui t’a rendue particulièrement fière dans ces réalisations, ou qui a au contraire représenté un défi pour toi?

«Pour Jimmy Jones, l’un des défis, c’est de tout faire rentrer dans deux valises, une caisse technique et une table pliante. Inversement, il faut aussi s’assurer que les spectateurs voient les objets et les comprennent, même au neuvième rang.

«Ce qui est du bonbon dans Jimmy Jones, c’est qu’on s’inspire de référents culturels forts, de l’imaginaire collectif que l’on a de l’Amérique des années 1950. Et ça passe beaucoup par les objets. Il y a une bonne quantité d’objets iconiques (voitures, trains, etc.) disponibles en formats réduits.»

«Pour Léon, le défi c’est de faire du théâtre d’objets… sans objets. Il n’y a qu’une chaise, un acteur et une bouteille d’eau. Je cherchais un costume qui évoque à la fois le stand-up comique, la chemise à motif enfantin et le jeune premier. Un costume qui pourrait être ridicule quand on n’a pas confiance en soi, mais qui devient original quand celui qui le porte s’assume.»

«Léon le nul». Photo: Mathieu Doyon

Dans ces deux pièces, comment as-tu contribué à ce que les costumes et les objets que tu as créés se fondent dans l’univers de Francis Monty et d’Olivier Ducas – qu’on a eu la chance d’interviewer en mai 2019 –, tout en apposant ta signature visuelle et artistique?

«Je travaille avec Olivier et Francis du Théâtre de la Pire Espèce depuis 2007. Bientôt 15 ans de collaboration!»

«Nous partageons cet univers, des références communes et des aspirations profondément similaires. C’est une grande chance, dans une carrière, de trouver des collègues si complémentaires qui savent utiliser, respecter et valoriser mon travail. Ils ont un grand talent, une grande force créative et un acharnement dans l’organisation. C’est avec beaucoup de confiance que je me plonge dans leurs projets, et en retour, ils me laissent énormément de liberté pour apporter mes intuitions et mes idées.»

«Ma signature, c’est plus ma façon d’être interlocutrice, de travailler la dramaturgie avec mes matières de prédilection, le papier, le carton, les objets trouvés. J’ai toujours eu l’impression que je n’avais pas besoin de signature visuelle, qu’elle viendrait malgré moi, parce que j’ai la sensibilité que j’ai. C’est pourquoi je n’ai aucun problème à partager mes secrets d’atelier, mes fournisseurs et mes références.»

«Car ce qui fait mon unicité, c’est ma manière de voir; ce n’est pas mon carnet d’adresses.»

Est-ce qu’il y a une ou quelques autres productions sur lesquelles tu as travaillé qui t’ont particulièrement marquée?

«Gestes impies et rites sacrés, cérémonie baroque en plusieurs tableaux de la Pire Espèce (2009). J’ai eu la chance d’apporter de la matière dramaturgique en contraignant littéralement les mouvements des acteurs dans le carton et les prothèses. C’est une expérience d’écriture où l’équipe de création à été très soudée.»

«Villes, collection particulière, toujours de la Pire Espèce (2014), où j’ai signé pour la première fois l’écriture scénique. C’est un spectacle dont je suis particulièrement fière. Nous cherchions à raconter avec la matière, à déjouer la narration traditionnelle.»

«Appels entrants illimités de David Paquet au Théâtre Le Clou! (2012). C’est toute une complicité qui s’est tissée avec Benoît Vermeulen depuis ce temps.»

«Le Bestiaire d’objets, site du 20e anniversaire de la Pire Espèce (2019) avec Catherine Voyer-Léger, ç’a a été l’occasion, pour moi, de partager ma passion de la linogravure. 50 objets iconiques, 50 narrations différentes.»

«Enfin, je suis fière de collaborer avec plusieurs artistes de théâtre interdisciplinaires tels que le collectif Système Kangourou, Marcelle Hudon, Mammifères, Mandoline hybride, Catherine Lavoie-Marcus, Natacha Nicora. Ces artistes ont une identité visuelle très forte, et c’est comme interlocutrice que j’accompagne leurs images si puissantes à la scène.»

Dans quel(s) projet(s) pourrons-nous voir ton travail prochainement, si ce n’est pas un secret d’État?

«Survie du vivant, une conférence scientifique théâtralisée de Benoît Vermeulen et de Julie Drouin. C’est une production du Théâtre Le Clou!, présentée du 28 au 31 mars lors du Festival Rencontres Théâtre Ados à Laval (RTA).»

«Bermudes (dérives) de Claudine Robillard et d’Anne-Marie Guilmaine du collectif Système Kangourou. Le spectacle sera présenté l’an prochain quelque part à Montréal, et Bermudes, dérives de nuit, dans lequel je vais dessiner en direct sur des images tournées à Anticosti, sera présenté dans un lieu encore secret.»

«Chansons pour le musée de Karine Sauvé et sa compagnie Mammifères, présenté les 21 et 22 mars à Saint-Jérôme, puis en tournée l’an prochain.»

«Pas perdus, documentaires scéniques d’Émile Proulx-Cloutier et d’Anaïs Barbeau-Lavalette, présenté ces jours-ci, au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, jusqu’au 2 avril.»

«PFaL: Chroniques de la Petite fille à lunettes, une bande dessinée créée avec Francis Monty, disponible en ligne sur instagram.com/pfal_bd

«Et bien sûr, Léon le nul et L’histoire à finir de Jimmy Jones et de son camion céleste, présenté durant Le mois de la Pire Espèce, avec Les contes zen du potager et Persée, du 9 au 26 mars au Théâtre Aux Écuries.»

«Vous pouvez voir la plupart de mes projets sur julievalleeleger.com

Pour acheter vos billets pour les spectacles présentés en mars 2022 dans le cadre du mois de la Pire Espèce au Théâtre Aux Écuries, cliquez ici. Pour lire nos précédentes chroniques «Dans l’envers du décor», c’est par ici.

*Cet article a été produit en collaboration avec le Théâtre Aux Écuries.

Nos recommandations :

Vos commentaires

Revenir au début