Édith Patenaude met en scène «Un ennemi du peuple» au TNM, une pièce plus que jamais d’actualité – Bible urbaine

ThéâtreEntrevues

Édith Patenaude met en scène «Un ennemi du peuple» au TNM, une pièce plus que jamais d’actualité

Édith Patenaude met en scène «Un ennemi du peuple» au TNM, une pièce plus que jamais d’actualité

L'environnement et les fondements de la démocratie: tout y passe

Publié le 14 mars 2022 par Mathilde Recly

Crédit photo : Photo: Marianne Noël-Allen. Montage: Mathilde Recly

Du 15 mars au 9 avril, le Théâtre du Nouveau Monde et le Théâtre du Trident revisitent un pan de la culture scandinave en coproduisant «Un ennemi du peuple», une pièce du dramaturge norvégien Henrik Ibsen. Dans cette version adaptée par l’autrice et traductrice Sarah Berthiaume, les spectateurs sont entraînés dans le sillage de la médecin-cheffe d’une station thermale, Katrine Stockmann (jouée par Ève Landry), qui découvre qu’une tannerie industrielle met à mal la source des eaux médicinales attirant les riches touristes. Afin d’en savoir plus, nous avons échangé avec la metteuse en scène Édith Patenaude pour mieux cerner les enjeux du texte, ainsi que sa vision artistique du spectacle.

Ibsen, un créateur visionnaire?

Ce qui nous frappe, quand on s’immerge dans Un ennemi du peuple, c’est la pertinence des thématiques abordées.

Il y a bien sûr des sujets intemporels, comme l’affrontement entre bien commun et intérêts financiers, le tout sur fond de tensions familiales: l’usine qui pollue la source des eaux médicinales jouant un rôle essentiel pour la région d’un point de vue économique, le frère de Katrine, maire de la ville, va ainsi devenir son principal ennemi.

Mais d’autres sujets traités dans la pièce sont troublants tellement ils sont, en 2022, plus que jamais d’actualité: c’est un peu comme si l’auteur était – très – en avance sur son temps au moment où il l’a écrite. Par exemple, il aborde des questions d’ordre environnemental qui résonnent avec la crise écologique que nous connaissons actuellement.

Et puis, Henrik Ibsen remet en question des fondements de notre démocratie qui sont précieux. Et comme l’explique Édith Patenaude, «c’est extrêmement intéressant, car c’est une réflexion qui n’est pas confortable. On passe de cette crise environnementale à la confrontation avec le capitalisme, aux questionnements en lien avec la réappropriation de notre libre arbitre, en plus de se demander comment on fait pour penser librement dans ce contexte.»

La metteuse en scène note d’ailleurs qu’«Ibsen est un auteur extrêmement moderne, même s’il date des années 1890. C’est le père du réalisme, donc ça a été un des premiers – sinon le premier – à avoir une écriture aussi directe, aussi franche: son écriture s’adapte très bien au temps présent et porte très peu de marques de son époque.»

Une équipe de création soudée

Pendant notre échange, les propos d’Édith font plusieurs fois ressortir la complémentarité des artistes et créateurs derrière Un ennemi du peuple: avec Sarah Berthiaume d’abord, qui a non seulement traduit en français le texte d’Ibsen, mais qui, en plus, l’a adapté pour le Québec. Reconnaissant leur belle et longue complicité, la metteuse en scène explique que «c’est un partenariat vraiment précieux pour [elle]», avant d’ajouter que chacune d’elles est vraiment impliquée dans le processus d’adaptation et de traduction, mais aussi de mise en scène. En effet, on apprend que sa moitié créative vient même en salle de répétitions pour continuer de travailler et de perfectionner le texte en direct!

Également ravie de réunir d’«excellents acteurs de Québec et de Montréal» – puisqu’il s’agit d’une coproduction du TNM et du Théâtre du Trident –, Édith Patenaude admet que «c’est un plaisir de chaque instant pour elle de les retrouver en répétitions», car elle a «une gang extraordinaire.»

D’autre part, elle mentionne le travail incroyable des artisans et créateurs derrière Un ennemi du peuple, qui contribuent à «dépeindre l’horreur ridicule dans laquelle cette situation bascule, et dans laquelle nous sommes avec notre stagnation devant la crise climatique que nous vivons.»

La musique de Josué Beaucage, selon elle, permet de toucher à cet aspect épique et absurde, puisque «sa trame sonore est très intéressante et ouvre le réalisme à d’autres proportions»; alors que les costumes de Cynthia St-Gelais sont travaillés «pour que les personnages soient crédibles et qu’on s’attache à eux, qu’on veuille être eux.» En fait, le but avoué de ce choix artistique vis-à-vis des costumes s’explique par l’envie «que tout le monde veuille être Katrine Stockmann pour son caractère bien-pensant et sa vision progressiste… avant que sa pensée ne dérape et que le public soit obligé de se remettre en question.»

TNM_2021-2022_Un-ennemi-du-peuple_Henrik-Ibsen

La pièce «Un ennemi du peuple» d’Henrik Ibsen, présentée du 15 mars au 9 avril 2022. Photo: Jean-François Gratton, une communication compagnie et cie

Être en phase avec son époque et ses valeurs

La cerise sur le gâteau derrière ce projet, c’est la volonté d’Édith Patenaude et de Sarah Berthiaume de rendre Un ennemi du peuple encore plus en phase avec son époque.

Par exemple, le personnage de la médecin-cheffe Katrine Stockmann était en fait un homme dans la version originale d’Ibsen. Pourquoi cette transformation en un personnage féminin, lui demande-t-on? «Pour moi, c’est évident que, en tant que femme, si on veut aujourd’hui continuer à s’attaquer à des œuvres de répertoire où les rôles sont très majoritairement offerts à des hommes – parce que les personnages de pouvoir, ceux qui ont des préoccupations autres que romantiques ou domestiques sont masculins –, il ne faut pas continuer à négliger la femme socialement», répond-elle, avant d’expliciter qu’«Il faut faire fi des genres qui sont en principe imposés par la distribution, parce qu’ils ont été attribués à une autre époque.»

Et puis, même si la pandémie a été difficile pour tous et qu’elle a eu des conséquences directes sur le milieu de la culture, Édith Patenaude dit avoir trouvé les répétitions heureuses et libératrices en compagnie de son équipe. Mieux encore, elle se sent «enchantée que ce show-là porte une énergie tellement vibrante, vivante, joyeuse et fâchée.»

Car, selon elle, «on s’est sentis tellement enfermés ces deux dernières années qu'[elle] sai[t] que cette énergie va faire un bien énorme.» Alors, à bon entendeur…

La pièce Un ennemi du peuple sera présentée au TNM en coproduction avec le Théâtre du Trident, du 15 mars au 9 avril 2022. Retrouvez sur scène, entre autres, Ève Landry, Jean-Sébastien Ouellette, Noémie O’Farrell, Steve Gagnon et Emmanuel Bédard! Pour plus d’information, rendez-vous ici.

*Cet article a été produit en collaboration avec le Théâtre du Nouveau Monde.

Nos recommandations :

Vos commentaires

Revenir au début