«Oblivion» au Carrefour international de théâtre de Québec – Bible urbaine

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«Oblivion» au Carrefour international de théâtre de Québec

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Une «capsule de temps»

Publié le 4 juin 2018 par Maude Rodrigue

Crédit photo : Phile Deprez

Au fur et à mesure que progresse la représentation d’une durée de plus de deux heures, Sarah Vanhee déploie le vaste éventail de déchets qu’elle a générés au cours d’une année entière. Un tel agglomérat constitue une sorte de «capsule de temps», et ramène à la conscience ce que l’artiste aurait autrement projeté dans le champ de l’oubli.

Le visage impassible, dans une position accroupie, Vanhee vide méthodiquement sur le sol le contenu de ses boîtes dans lesquelles avaient été soigneusement colligés ses déchets. Sa voix ne subit pratiquement aucune inflexion tandis qu’elle déclame un long soliloque de plus de deux heures. Elle paraît absorbée, son regard ne daignant s’arracher aux artefacts inusités qu’en de rares occasions pendant la représentation.

Les propos qu’elle tient forment un entrelacs de réflexions sur «ce qui fait partie de ce que l’on aurait autrement jeté» et relégué sous la chape de l’inconscient. Outre les déchets inorganiques, Vanhee évoque d’autres types de rebuts générés pendant cette année: des extraits de l’actualité, des bribes de courriels, ses excréments (le long moment au cours duquel elle décrit, avec force détails, l’aspect de ses matières fécales est d’ailleurs relativement pénible), les recherches web qu’elle a menées…

Jeter les déchets pour se remémorer leur existence

Vanhee dissémine ainsi ses déchets inorganiques sur le sol, non sans une certaine minutie, leur conférant une sorte de préciosité. L’artiste paraît obéir à une logique intime. Ses mouvements souples ne sont pas sans rappeler ceux d’un semeur ou encore ceux des glaneurs d’Agnès Varda. La cinéaste compte d’ailleurs parmi les esprits innombrables à la source desquels la performeuse a étanché son processus créatif. Lorsqu’elle se promène sur la scène, son corps louvoie sur le sol afin d’éviter que ses pieds ne se posent sur les déchets.

En dépit des accents de conscientisation écologique, c’est avant tout une réflexion à propos de l’oubli à laquelle convie l’artiste. La démarche de Vanhee illustre un curieux paradoxe selon lequel la prise de conscience du fait de jeter un déchet donne lieu à la préservation de celui-ci. Elle somme les spectateurs de mesurer l’ampleur de leur inconscient, peuplé des déchets qu’ils ont générés, l’existence de ces derniers se perpétuant inexorablement bien que l’on allègue leur disparition lorsqu’on les met à la poubelle.

Au fur et à mesure que progresse la représentation, l’accumulation des déchets procure aux membres de l’auditoire une sensation d’envahissement. Celle-ci est renforcée par l’augmentation du volume de la musique de même que par un éclairage, impitoyable, jeté sur les déchets. Ainsi étalée, la quantité de déchets donne le vertige au spectateur qui jaugera par exemple ce que représenterait l’empreinte de l’assistance entière.

Une performance qui souffre de certaines longueurs

Bien que la performance mène jusqu’à des terrains de réflexion intéressants, le spectateur s’affole à la vue des nombreuses boîtes qui demeurent à vider de leur contenu d’ici à la fin de la représentation, alors que celle-ci s’étire depuis un moment déjà. À ce titre, Vanhee affirme d’ailleurs être d’avis que la performance aurait dû logiquement s’étaler sur une année entière.

Qui plus est, on peine à discerner les contours de la réflexion de l’artiste à travers le fatras de références qu’elle a accumulées. Vanhee gagnerait à élaguer le bouquet qu’elle tend au public. Il en émanerait sans doute un propos moins opaque.

L'événement en photos

Par Bernhard Muller; Phile Deprez

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