ThéâtreL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Antoine Amnotte-Dupuis
Charlotte, on est contents de faire ta connaissance! Peux-tu nous dire d’où t’est venue la piqûre pour les arts de la scène?
«J’ai commencé à faire du théâtre quand j’étais ado parce que je voulais faire des films. La logique derrière ça était que, si je voulais savoir diriger des acteurs et des actrices en faisant de la réalisation, il fallait que je sache un peu ce qu’était jouer, moi aussi!»
«Ma première passion a toujours été de vouloir travailler avec les interprètes d’une œuvre, mais j’étais touche-à-tout: je me suis intéressée à la scénographie, la régie, la conception sonore, les costumes…»
«Quand j’ai déménagé à Montréal pour mes études universitaires, j’ai continué à faire du théâtre, de l’assistance à la mise en scène et de la régie; puis, rapidement, à signer la mise en scène de spectacles, tout en faisant des études en cinéma au baccalauréat et à la maîtrise.»
«J’ai réalisé quelques petits projets cinématographiques et, finalement, c’est le théâtre qui est resté. J’ai toujours eu l’impression d’être à mi-chemin entre les deux domaines et je crois que cela paraît dans mes œuvres!»
En 2015, tu as cofondé, avec Laurence A. Clavet, la compagnie de création féministe le Théâtre des Trompes. Comment est né ce projet, et comment définirais-tu la mission que vous vous êtes fixées?
«Laurence et moi faisons du théâtre ensemble depuis le cégep. C’est à la même époque que nous avons rencontré Maxime, l’interprète de Plein tube.»
«En 2015, je venais tout juste de faire le stage à l’École nationale de théâtre (ENT) pour le concours du programme de mise en scène. Tout de suite après avoir appris mon refus de l’ENT, j’ai appelé Laurence et je lui ai dit: “Je ne rentre pas à l’ENT, on monte notre compagnie maintenant!”»
«Ça faisait un petit bout de temps qu’on avait eu l’idée, et là, je sentais que c’était le momentum pour se lancer. On a attrapé au passage Antoine Amnotte-Dupuis (concepteur technique) en 2016, et Charlotte Moffet (conseillère dramaturgique) en 2019. Ce n’est pas toujours évident de faire son chemin quand aucun.e de nous n’a une formation en théâtre (Laurence est avocate, Antoine est cinéaste, et Charlotte a un parcours en littérature et en gestion de projet).»
«Ça nous rend un peu champ gauche, mais c’est ça qui fait notre force en tant que compagnie et en tant qu’artistes. Notre travail est basé avant tout sur nos valeurs féministes et sur notre démarche hybride, mêlant différentes approches et différents arts. Le cinéma a une grande influence sur notre travail et nos référents, surtout pour Antoine et moi.»
Du 16 au 20 novembre, le Théâtre Aux Écuries présente, en codiffusion avec le Théâtre des Trompes, le spectacle Plein tube: il s’agit là de l’adaptation théâtrale du premier roman d’Hervé Bouchard, intitulé Mailloux. Toi qui, en plus d’avoir assuré la transposition sur scène de cette histoire, es également aux commandes de la conception artistique et de la mise en scène, voudrais-tu nous parler de la trame narrative, ainsi que des enjeux de création liés à cette pièce?
«Mailloux, c’est l’histoire de Jacques Mailloux, un enfant de Jonquière confronté aux aléas du quotidien, à la famille, aux ami.e.s et à son rival. Dans cette pièce, il raconte des bouts de son enfance, dans le désordre. C’est le premier roman d’Hervé Bouchard et c’est le premier livre de l’auteur que j’ai lu. C’est le genre de rencontre artistique qui change tout.»
«Avec les Trompes, on avait un tout autre projet en tête et, quand j’ai lu les textes de Bouchard, on a tout mis de côté pour se concentrer là-dessus. Il y a quelque chose dans sa poésie et dans son besoin d’expression du personnage de Mailloux qui est très touchant.»
«Plein tube, c’est un peu comme notre best of: nos chapitres préférés. On a choisi quelques thèmes qui nous accrochaient plus et on a construit notre pièce autour de ça. On aborde les ami.e.s, l’imagination et le jeu de l’enfant, mais aussi des thèmes plus difficiles comme la mort et la honte. Rendre la langue de Bouchard sur scène est un très beau défi car elle est imagée, dense et ludique à la fois.»
D’ailleurs, au sujet de ce spectacle, tu as mentionné n’avoir rien changé aux chapitres du roman de M. Bouchard, ni même… sa ponctuation! Selon toi, «la parole de Bouchard-Mailloux est intacte, sa mythologie, aussi, de même que le corps de l’interprète qui raconte. Ici, le spectacle surgit du lieu.»Voudrais-tu nous préciser cette pensée et, tant qu’à faire, veux-tu nous parler de la direction artistique que tu as empruntée?
«Ce spectacle sert un peu d’introduction à Bouchard: voici ses mots, son monde, ses mythes. Pour nous, il était important d’accorder une grande place au texte et à son interprétation. Il fallait apporter quelque chose qui n’apparaît pas à la lecture du roman; il fallait ancrer le texte dans un corps, dans une façon de bouger.»
«Quand le public écoute le texte au lieu de le lire, il n’a pas la possibilité de faire des relectures ou de choisir son rythme. On croit que le corps permet à la langue de se déployer et de la rendre accessible au public.»
«Mailloux est dépassé par son besoin de se raconter, cette envie-là déborde. Au départ, on voulait faire un spectacle le plus simple possible, qui pourrait se jouer dans n’importe quel lieu! Tous les accessoires et les gestes du spectacle naissent de l’endroit dans lequel le personnage se raconte.»
«Avec les mesures sanitaires des dernières années, on a dû adapter le spectacle à un espace scénique plus conventionnel, mais on souhaite tout même garder l’esprit de départ: la parole s’empare de Mailloux, de son corps et du lieu.»
Et alors, est-ce qu’il y a d’autres projets artistiques en vue et auxquels tu te consacreras au cours des prochains mois? Si oui, on serait curieux d’en savoir plus sur les thématiques que tu as en tête et que tu aimerais aborder sur scène!
«Oui! D’abord, on espère pouvoir faire quelques dates de tournées avec Plein tube, surtout au Saguenay, pour aller à la rencontre du territoire et des gens qui peuplent l’univers bouchardien.»
«Ensuite, Plein tube fait partie d’un cycle de création centré sur les textes d’Hervé Bouchard, qu’on a appelé le Cycle de la Roche, en référence à un moment marquant du roman Mailloux. Le prochain texte sur lequel on travaille est Le faux pas de l’actrice dans sa traîne, d’Hervé Bouchard également, une pièce mise en abîme qui traite des dynamiques de pouvoir au sein d’une petite troupe de théâtre.»
«Si l’un des objectifs de Plein tube est de présenter notre coup de cœur pour les mots d’Hervé Bouchard, notre travail sur Le faux pas de l’actrice dans sa traîne est encore plus personnel. On aborde la pièce avec un point de vue féministe, qui est très important pour nous et qui fait écho à plusieurs enjeux actuels du milieu culturel. On y retrouve aussi des expérimentations au niveau de la projection vidéo qui sont très chères à la démarche du Théâtre des Trompes.»