Premier Acte présente «Aime-moi parce que rien n'arrive» de L'Apex Théâtre – Bible urbaine

ThéâtreCritiques de théâtre

Premier Acte présente «Aime-moi parce que rien n’arrive» de L’Apex Théâtre

Premier Acte présente «Aime-moi parce que rien n’arrive» de L’Apex Théâtre

À chaque oiseau sa cage

Publié le 17 février 2022 par Athéna Whitton-Clément

Crédit photo : David Mendoza Hélaine

Nouvelle création de L'Apex, «Aime-moi parce que rien n’arrive» emprunte à Strindberg les personnages de «Mademoiselle Julie», pièce des plus renommées chez ce dramaturge suédois. Si la trame narrative suit de près la version originale, l’autrice et metteure en scène Gabrielle Ferron aura su adapter et actualiser avec pertinence et finesse les questions de lutte des classes et d’a priori face aux genres qui logent au coeur de l’oeuvre.


Soirée au chalet familial. Julie, 24 ans, maîtresse des lieux par affiliation, se déchaîne par la danse, l’alcool et l’excès en général. Du haut de ses privilèges physiques et matériels, elle s’active pour créer des liens avec les employé.es qui travaillent pour la compagnie de son père. Malgré sa position d’autorité, elle semble chercher une forme d’approbation et de reconnaissance auprès de Christine et Jean, dont les rôles sont attribués par un tirage au sort représentation après représentation.

Cette variation aléatoire ajoute au projet théâtral un aspect performatif ancré dans la réflexion relative au genre, puisque d’une fois à l’autre, l’un.e peut jouer le ou la fiancé.e alors que l’autre jouera l’amant.e.

Pile, face et la reine

Ariane Bellavance-Fafard est saisissante dans son interprétation de Julie version 21e siècle. À la fois femme, enfant et femme fatale, elle a toutes les moues et les manières à sa disposition pour réclamer et obtenir. Désinvolte, cavalière, pleine d’assurance et en même temps si vulnérable, elle incarne sans doute avec toutes les nuances requises ce caractère tiraillé typiquement moderne que voulait déjà dépeindre Strindberg à son époque.

Catherine Côté, quant à elle, joue une Christine (fiancée lors de la première) droite, intègre et qui ne cherche aucunement à se poser en rivale de Julie. C’est sans doute pour cela qu’elle apparaît si forte. Nous sommes amené.es à la regarder sous différents angles en fonction du comportement ou des commentaires de Julie et de Jean (par ailleurs désigné comme le «chum» de Christine).

Que cette figure – ici féminine – soit moindrement humiliée ou effacée par abnégation, elle affiche au final une constance et un équilibre que les deux autres personnages n’ont pas – peut-être, car ceux-ci cherchent à se prouver un peu trop en fonction des autres. Tant mieux, puisque le contraste marque l’importance d’avoir un trio sur scène.

aime-moi-parce-que-rien-n'arrive-photo-premier-acte

Ariane Bellavance-Fafard dans le rôle de Julie. Photo: Tous droits réservés @ Premier Acte

De son côté, Gabriel Fournier procure à Jean (amant lors de la première) ce qu’il faut d’un tempérament ambitieux et résolu à se donner les moyens d’accéder à des strates sociales plus élevées. Et pourtant, on sent bien qu’il se sent coincé dans un entre-deux, entre l’origine qui le conditionne au bas étage des non-privilégié.es et la possibilité d’un nouveau poste de direction.

S’il en vient à changer d’attitude, on peut sans doute le comprendre, mais à condition d’admettre que l’instinct de survie peut agir au détriment de l’empathie et de la bienveillance. Et c’est ce qui constitue en bonne partie l’objet de cette pièce: se débattre pour exister entièrement et correspondre réellement à l’idée que l’on se fait de soi-même.

Moderniser le théâtre

Un des soucis d’August Strindberg était de moderniser le théâtre, c’est-à-dire le faire évoluer de sorte que le spectateur ne puisse relâcher son attention. Ainsi, au lieu de respecter la séparation traditionnelle en actes d’une pièce, il aura opté pour une juxtaposition continue des différents tableaux.

On retrouve ce procédé dans la mise en scène de Gabrielle Ferron. En effet, les scènes se caractérisent par des séquences assez longues, et les transitions se font subtilement avec le départ d’un personnage anticipé par l’arrivée d’un autre. Le plateau est rarement vide de présence.

Par ailleurs, il n’y a à vrai dire pas de temps mort. L’espace scénique est exploité de façon que, grâce au son et à la lumière (éclairage conçu par Maude Groleau), l’action se poursuit dans les loges. Par conséquent, si la vision du spectateur prend repos, son imaginaire, quant à lui, continue de travailler et de s’investir dans l’histoire.

De plus, le rythme empêche toute forme d’essoufflement. Sans empressement, l’histoire prend vie et évolue en maintenant la tension nécessaire pour que l’intérêt du public suive naturellement le fil progressif du spectacle. 

Fais-moi arriver et je t’aimerai

On peut pointer du doigt certains comportements chez les trois personnages, notamment ceux de Julie et de Jean. Toutefois, on ne peut accuser qui que ce soit en particulier. C’est en cela même que le pari est intelligemment relevé de vouloir illustrer des zones grises plutôt que des situations évidentes.

Or, c’est bien le mandat que s’est donné L’Apex, celui de suggérer des questionnements en évitant de fournir des clés de réponses. Dans la salle, on observe que la démarche artistique fonctionne. On réagit, et ce, même verbalement – davantage par surprise que par jugement.

Un espace critique nous est offert et on ne frôle jamais le simplisme.

«Aime-moi parce que rien n'arrive» à Premier Acte

Par David Mendoza Hélaine

  • Premier Acte présente «Aime-moi parce que rien n’arrive» de L’Apex Théâtre
  • Premier Acte présente «Aime-moi parce que rien n’arrive» de L’Apex Théâtre
  • Premier Acte présente «Aime-moi parce que rien n’arrive» de L’Apex Théâtre
  • Premier Acte présente «Aime-moi parce que rien n’arrive» de L’Apex Théâtre
  • Premier Acte présente «Aime-moi parce que rien n’arrive» de L’Apex Théâtre

L'avis


de la rédaction

Nos recommandations :

Vos commentaires

Revenir au début