ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Eva Maude TC
Dans Foreman, Charles Fournier expose toute sa vulnérabilité en puisant dans un vécu émotionnellement chargé, à savoir une enfance bâclée en matière d’éducation à la communication. Un développement gangrené par un père machiste où la violence est glorifiée. Un schème de pensée rétrograde digne des années 50, qui qualifie de fifs les hommes osant verbaliser leurs émotions.
Se faire respecter en montrant les poings, voilà le modèle de masculinité toxique auquel l’acteur a été soumis.
Foreman se veut donc un hommage à son père et à la confrérie issue du milieu de la construction. Ayant travaillé sept années dans ce domaine, l’auteur lève ici le voile sur un microcosme masculin brut avec la volonté de décortiquer le malaise identitaire des hommes qui ont gravité autour de lui.
Des hommes qu’il aime d’un amour indéfectible, mais dont il craint tout de même le jugement.
D’ailleurs, Fournier affirme avoir tardé avant de s’inscrire au Conservatoire d’art dramatique de Québec. Habité par la peur d’être étiqueté de fif, il n’a pas osé dévoiler au grand jour son rêve de devenir acteur.
C’est tout de même ironique lorsqu’on sait qu’il a obtenu une nomination dans la catégorie «Meilleure interprétation masculine» au Prix de l’Association québécoise des critiques de théâtre (AQCT) pour son personnage de Carlos!
Qu’est-ce que la masculinité, au fond?
Chacun des personnages a ses critères respectifs qui le définissent en façade: la dérision, la vantardise et l’incapacité à s’ouvrir aux autres. Ils se complaisent dans ces rôles, dans ces archétypes. Frank (Vincent Roy), c’est le détracteur qui aime défier, piquer et se moquer. Poitras (Pierre-Luc Désilets), c’est le gars soumis à sa blonde contrôlante, mais probablement le plus mature de la gang et le plus près de ses émotions.
S’il y a bien un aspect féministe dans cette pièce, c’est à travers son personnage qu’on l’entrevoit lorsqu’il explique la notion de consentement à son ami Jo (Steven Lee Potvin).
Jo, pour sa part, c’est le séducteur un brin pathétique qui collectionne les dates sur les applications de rencontres et qui incarne la superficialité du culte de l’image. Le genre de gars qui boit des shakes pour pimper ses muscles alors qu’Arnaud (Miguel Fontaine), c’est le plus candide de la bande, un peu naïf et malhabile lorsqu’il se met en mode séduction. Ce dernier se raccroche aux jeux vidéo et aux jeux de grandeur nature. Il incarne l‘image classique du gars qui risque de rester célibataire encore longtemps.
Et puis, il y a Carlos, le seul personnage dont on connaît le passé, ce qui permet au spectateur de mieux comprendre le contexte de la pièce. Celui qui nous fait naviguer entre humour et colère. Ses adresses directes au public et ses monologues révèlent un être sensible. Le Carlos du chantier, lui, est plus autoritaire et rabâche des clichés à ses collègues comme s’il essayait de les endoctriner dans une mentalité limitée.
Charles Fournier réussit à nous faire apprécier chacun de ces personnages par le biais de l’humour parce que, oui, femme ou homme, on s’esclaffe devant ces «fafouins» dépourvus de méchanceté. On ressent même une certaine pitié à l’égard de certains lorsqu’ils laissent tomber leurs masques. On dérive ainsi tranquillement jusqu’à une fin sensible et touchante, où la ringardise fait place à une candeur et à une authenticité désarmante.
Une gang de chums humanisés par une mise en scène brillante
La mise en scène d’Olivier Arteau et de Marie-Hélène Gendreau… ouf! Il est là, à mon avis, l’uppercut qui vous fera vaciller sur votre chaise.
Parce qu’à travers cette testostérone radioactive, les chorégraphies viennent ajouter une profondeur insolite et déstabilisante mais tellement captivante.
Les voir exécuter des moves à la «Thriller» de Michael Jackson ou mimer en chœur leur routine pour «venir» sur une bande sonore de jeux vidéo, c’est du génie. Un objet théâtral duquel vous ne pouvez décrocher le regard, déchiré.e entre des émotions contradictoires, de la répulsion à l’attendrissement.
Quant à la scénographie, c’est la continuité, ou plutôt le renforcement d’un texte dense, puissant et cru. Sous la carrosserie défraîchie d’une voiture aux allures carbonisées se terrent des êtres sensibles et refoulés. La scénographie poétise le propos, à l’instar d’une voiture qui brûle et qui perd ses pièces pour mieux se rebâtir et se reconstruire.
Aucun détail ne semble avoir échappé aux concepteurs.trices ici! À l’image d’une œuvre dansée, on ne voit pas la formalité technique, mais plutôt toute la fluidité qui embrase nos yeux éblouis devant autant de talents réunis dans cette salle intime du Théâtre Denise-Pelletier.
«Foreman» de Charles Fournier en images
Par Eva Maude TC
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