«Foreman» au studio Marc-Doré du Théâtre Périscope – Bible urbaine

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«Foreman» au studio Marc-Doré du Théâtre Périscope

«Foreman» au studio Marc-Doré du Théâtre Périscope

Les écueils de la masculinité

Publié le 24 avril 2019 par Maude Rodrigue

Crédit photo : David Mendoza Hélaine

La représentation de près de deux heures de Foreman se déroule dans l’exiguïté du studio Marc-Doré. Une telle étroitesse n’est pas sans rappeler celle du modèle dominant actuel de la masculinité, dont les codes minent l’épanouissement des hommes. Avec une remarquable et poignante économie de langage, cette première création de la compagnie Mon père est mort lève le voile sur les difficultés auxquelles les stéréotypes de genre vouent les hommes.

«Il y en a qui ont été élevés par des loups, exprime le personnage de Carlos (Charles Fournier, qui signe le texte). Moi j’ai été élevé par des mononcles» – archétype de la virilité s’il en est un. Le modèle dominant de la masculinité, semble-t-il, offre un répertoire de gestes et de réactions restreint, contraignant à l’usage de la force physique, au mépris des sentiments et à la négation de la vulnérabilité.

D’une part, l’auditoire assiste au conciliabule d’un groupe de quatre amis sur une terre à bois, rattachés les uns aux autres par les évènements qui les ont traversés simultanément pendant leur jeunesse, de même que par les stéréotypes de genre auxquels ils ont été assujettis. Entre eux, ils distillent leurs expériences amoureuses. Bien qu’en leur absence, il est ainsi largement question des femmes, de leur mystère impénétrable, et du fossé qu’a creusé la socialisation entre elles et eux.

Les bravades des jeunes hommes cèdent éventuellement le pas à une profonde confusion devant la gravité de la vie. Celle-ci semble difficile à appréhender, et les drames tarissent la source des mots pour décrire les différents évènements auxquels sont exposés les personnages.

D’autre part, le personnage de Carlos relate les jalons de l’édification de sa propre masculinité; un bâtiment somme toute fragile dont la façade vient forcément à craqueler, le vouant à l’impuissance. Les évènements qu’il raconte sont proprement horrifiants. «À 11 ans, gros, je suis devenu un homme» -–entendant par là qu’il est parvenu à imposer son respect en «traînant» un tiers sur l’asphalte. Le personnage de Carlos relate, en outre, ses premiers balbutiements dans le champ amoureux, notamment lors d’une rencontre touchante avec une prostituée au terme d’une folle nuit où il s’était intoxiqué. Au souvenir de ces évènements sordides, les rires dont il s’autogratifie sont empreints de malaise.

La pièce comprend également quelques sketchs au cours desquels les hommes subissent les injonctions de la masculinité, donnant aux spectateurs-rices à les saisir plus distinctement, à les entendre explicitement. Foreman, c’est ainsi ce contremaître intransigeant et intériorisé qui tyrannise les hommes, leur intimant de réfréner la moindre expression de leurs sentiments.

Une mise en scène ingénieuse

Le propos de la pièce exhale cette toxicité délétère et intrinsèque au modèle actuel dominant de la masculinité. Celui-ci n’habilite pas les hommes à affronter les drames de la vie. Rien ne sert de faire saillir les muscles devant les évènements tragiques: les démonstrations de force ne changent rien à leur issue, et elles ne permettent pas de les surmonter.

Foreman émeut profondément. Il est renversant d’arriver à bouleverser ainsi sans l’usage de l’explicite, du «dit» – du moins, en ne s’en tenant qu’à un tel champ lexical relativement réduit. Les jeunes hommes grommèlent et geignent davantage qu’ils ne parviennent à exprimer clairement ce qu’ils vivent. La mise en scène co-assumée par Marie-Hélène Gendreau et Olivier Arteau a suppléé à cette pauvreté délibérée du langage par le truchement des gestes. La danse et la reproduction de comportements pigés dans le répertoire typiquement masculin a ainsi assuré le relai de l’indicible.

Quant aux décors, une voiture sur scène se prête à divers usages ingénieux, tandis que des arbres inversés suspendus au plafond instillent la sensation d’un monde où le sens serait inversé, de négatif où les couleurs et les perceptions seraient faussées, faute d’un accès aux sentiments. Ceux-ci se révèlent indispensables pour saisir la variété de l’expérience humaine.

La mise en scène emprunte des éléments au registre de la culture populaire associée à la gent masculine, ponctuant l’enchaînement des tableaux d’une musique de rap lourde. Quant à la distribution, composée uniquement de jeunes hommes (Pierre-Luc Désilets, Miguel Fontaine, Charles Fournier, Steven Lee Potvin et Vincent Roy), elle livre avec authenticité cette trame cousue de drames et d’amitié. 

«Foreman» au Théâtre Périscope en images

Par David Mendoza Hélaine

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