ThéâtreEntrevues
Crédit photo : Jean-François Sauvé
L’esclavage et l’héritage culturel des femmes au cœur de la pièce
Émilie Monnet, artiste multidisciplinaire d’origine anichinabée et française, a écrit le texte, joue Marguerite et cosigne la mise en scène du spectacle avec Angélique. L’histoire de Marguerite, elle l’a découverte il y a 13 ans lors de son installation à Montréal, et ce, non sans émotions. «Ça m’a vraiment frappée, bouleversée!», avoue-t-elle.
En effet, bien que consciente de l’esclavage qui avait existé dans la métropole, elle n’avait pas réalisé son ampleur – ni sa durée de près de deux siècles. «Je pensais que c’était surtout les communautés afro-descendantes qui avaient été touchées, alors qu’il y a eu une majorité d’esclaves autochtones. Ça m’est beaucoup rentré dedans et son histoire m’a habitée.»
Décidée à aborder les sujets de la colonisation et de l’esclavage, Émilie s’est donc inspirée du courage de Marguerite pour créer un espace où des histoires puissent coexister. «C’est ce même feu qui brûle chez toutes les Marguerite, celles d’hier et d’aujourd’hui, qui luttent pour faire reconnaître la justice. C’est le feu de la régénération et de la mémoire retrouvée» qu’elle a donc cherché à retranscrire sur la scène de l’ESPACE GO.
Pour une vision plus globale et représentative de cette thématique, sa partenaire de création Angélique Willkie met en valeur le fait d’avoir choisi trois comédiennes issues de divers héritages. «L’une des forces de la distribution, c’est le fait d’associer ces femmes tout à fait contemporaines et issues de ces différences-là pour interpréter le personnage de Marguerite, parce que notre société a plutôt envie d’effacer ces expériences historiques qu’elles ont en commun et qui font partie du fonctionnement de la société», explique-t-elle.
Un spectacle choral et multidisciplinaire
Outre la fusion du jeu et des identités des trois actrices pour montrer différentes facettes de Marguerite, c’est aussi dans la création de Marguerite: le feu que la choralité se déploie. «On a établi un processus très circulaire et collaboratif pour monter ce spectacle», commente Émilie. Selon elle, tous les collaborateurs ont travaillé fort à mettre en place «un espace évocateur et de rassemblement avec le public et les interprètes, pour qu’on vive une expérience tous ensemble.»
Parmi l’équipe de création, on compte le scénographe Max-Otto Fauteux, la conceptrice vidéo Caroline Monnet – sœur d’Émilie –, ou encore la compositrice Laura Ortman. Leur travail et leurs forces créatives réunies ont permis de concevoir une forme originale, au croisement de plusieurs disciplines. Par exemple, il y a un aspect documentaire avec l’utilisation et le remixage d’archives, mais aussi musical «avec une choralité dans le texte qui est aussi poétique, en plus de parties chantées». Même le travail du mouvement n’a pas été négligé, puisque la présence du corps a été soigneusement pensée et travaillée.
Malgré la pluralité des disciplines artistiques qui sont présentes dans Marguerite: le feu, Angélique tient à rappeler que c’est «une esthétique assez épurée» qui a été privilégiée pour ce spectacle, «avec très peu de chichis autour, pour essayer de mettre les choses à nu et ne pas être dans les couches de complexités rajoutées au texte et à l’histoire.»
Une production plus pertinente que jamais
Enfin, toujours selon Angélique, il est facile de justifier la pertinence de présenter Marguerite: le feu sur les planches de l’ESPACE GO en ce mois de mars 2022. «Avec ce qu’il s’est passé ces deux dernières années, tout le monde a vécu des choses très fortes émotionnellement, psychologiquement, psychiquement, moralement, éthiquement, mais aussi politiquement», rappelle-t-elle. Avant d’ajouter: «Et les gens de couleur et marginalisés, d’autant plus! Alors, il faut qu’on soit visible, chacun à notre façon: on a besoin de se faire entendre. Et je crois même que venir au théâtre est un acte de foi; il faut prendre position!»