«Aalaapi | ᐋᓛᐱ» mis en scène par Laurence Dauphinais au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui – Bible urbaine

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«Aalaapi | ᐋᓛᐱ» mis en scène par Laurence Dauphinais au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui

«Aalaapi | ᐋᓛᐱ» mis en scène par Laurence Dauphinais au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui

Tout ne passe pas par la parole

Publié le 31 janvier 2019 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Anne-Marie Baribeau

Entendre le Nord autrement, le représenter différemment que de la façon dont on le dépeint constamment dans les médias: telle est la mission – réussie, il faut le dire – d’Aalaapi, ce documentaire radiophonique réalisé par Magnéto et transposé sur la scène de la salle Jean-Claude-Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Jusqu’au 16 février, on nous invite à «faire silence pour entendre quelque chose de beau» (c’est la signification d’Aalaapi) et le titre est drôlement bien choisi. Pourtant, le théâtre est un art vivant et il devrait aussi servir à montrer.

«Comment tu as trouvé ça quand tu es arrivée en premier dans le Nord?», a demandé l’une des cinq femmes protagonistes d’Aalaapi à Marie-Laurence Rancourt, la créatrice radio de Montréal, aussi directrice artistique et cofondatrice de Magnéto. «On se sent un peu privilégiés d’être là, et on se rend compte qu’on ne connait pas grand-chose, qu’on est un peu ignorants», répond-elle.

Ce constat, c’est aussi celui que les spectateurs poseront à la sortie du spectacle, après avoir été immergés dans le quotidien réel d’Audrey, Mélodie, Akinisie, Samantha et Louisa, les cinq femmes originaires du Nunavik qui partagent des pans de leur réalité quotidienne au micro.

On a découvert Tusautik – la radio –, absolument différente des stations qu’on peut entendre dans la métropole, avec ses annonces locales, municipales et nationales, ses appels de gens qui ont perdu leurs clés, et son animateur, qui répond au téléphone à micro ouvert en même temps que la musique joue, ce qui permet quelques moments cocasses et sympathiques au spectacle.

On a découvert le déchaînement du vent et des orages, la beauté du ciel bleu, le traditionnel et impressionnant chant de gorge, et aussi les loups et ours polaires qui rôdent souvent près du village et dont il faut se méfier. On a surtout découvert des rêves et des aspirations à devenir comptable, cinéaste ou hygiéniste dentaire, et des jeunes femmes ricaneuses, pleines de vie, de projets et aussi de lucidité. Mais tout ça, c’est par le documentaire radiophonique qu’on l’a reçu et perçu, qu’on se l’est imaginé ou qu’on l’a interprété.

Avant d’être mis en scène par Laurence Dauphinais, Aalaapi est d’abord et avant tout un documentaire radiophonique, disponible sur l’application d’ICI Première. Bien sûr, les projections qui nous sont présentées pour agrémenter la création sonore sont assez judicieuses, et il y a Nancy Saunders et Hannah Tooktoo sur scène, dans cette structure représentant une maison avec fenêtre par laquelle on peut voir les deux interprètes.

Évidemment – le contraire aurait été étonnant considérant la nature du projet – la conception sonore a été savamment pensée, plaçant des haut-parleurs tant sous la scène que sur les côtés, pour complètement immerger le spectateur dans l’ambiance sonore et qu’il sente bien, à gauche, le drapeau qui claque sur son poteau et, sur le sol, le son du tonnerre qui gronde. Mais malgré tout ça, il y a tout de même lieu de questionner le réel attrait de se rendre au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui pour «voir» Aalaapi plutôt que de l’écouter de son côté, avec de bons écouteurs.

C’est que les images montrées sont d’archives et toutes petites, et on aurait préféré des paysages actuels, pour vraiment saisir la réalité et profiter d’une immersion complète dans l’univers particulier du Nord. Nancy et Hannah, quant à elles, sont nettement sous-utilisées; les seuls dialogues qu’elles ont sont à l’intérieur de la maison, avec des voix qu’on perçoit de façon étouffée, comme si on ne souhaitait pas véritablement les mettre en valeur.

Durant la majeure partie du spectacle, on ne sent aucune attention au public de leur part. Le quatrième mur nous apparaît donc opaque, les interprètes se parlant entre elles comme si elles étaient simplement chez elles et qu’on était de vrais voyeurs, mais dans le sens presque malsain du terme.

Pour ce qui est de la bande-son, c’est exactement la même que vous trouverez en balado, à l’exception de surtitres en guise de traductions plutôt que de la surimpression vocale.

Pourquoi alors se rendre au théâtre? Pour prendre le temps d’écouter, d’être véritablement attentif et réceptif. Pour vivre le moment et recevoir cette immersion de façon totale, visuelle (bien que pas suffisamment) et sonore. Pour ne pas avoir d’autre choix que de se laisser porter par ce vrai beau projet pendant sa durée totale, sans interruption ou perte d’attention.

La vraie question à se poser, en revanche, c’est pourquoi ne pas avoir amené Audrey, Mélodie, Akinisie, Samatha et Louisa sur scène, elles qui sont les vraies protagonistes d’Aalaapi et qui se dévoilent à nous durant l’heure vingt que dure le spectacle, tandis que Nancy et Hannah ne participent qu’en actions, très simples et presque superflues.

Parce que malgré la beauté et la noblesse du projet, malgré l’intérêt et la pertinence de la bande sonore qu’on nous présente, et malgré la beauté de ce qu’on perçoit de façon auditive, tant dans ce qui est évoqué que dans la musicalité du langage inuktitut qui nous est présentée, au théâtre aussi, la même conclusion qu’Aalaapi convient: «tout ne passe pas par la parole».

Même si l’expérience est agréable et qu’on apprécie que ces jeunes femmes nous ouvrent la porte et nous invitent cordialement à les suivre dans leur quotidien, mieux voir – comme dans en voir davantage – nous aurait permis de mieux ressentir encore.

Au final, on demeure malheureusement avec l’impression que la transposition à la scène de ce projet n’a pas été complètement réussie et qu’on n’a pas utilisé à bon escient toutes les possibilités qu’offre cet art vivant qu’est le théâtre.

«Aalaapi | ᐋᓛᐱ» au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui en images

Par Anne-Marie Baribeau

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