«ColoniséEs» d’Annick Lefebvre au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui – Bible urbaine

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«ColoniséEs» d’Annick Lefebvre au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui

«ColoniséEs» d’Annick Lefebvre au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui

Les poètes font semblant de mourir

Publié le 29 janvier 2019 par Pierre-Alexandre Buisson

Crédit photo : Valérie Remise

Je me souviens, c’est une devise plutôt étrange pour le Québec. Car on oublie souvent, en tant que peuple, les outrages du passé. On oublie parfois, par exemple, que la Grande Noirceur est issue d’un parti politique qui ressemble étrangement à celui qu’on vient d’élire. On a oublié à maintes reprises que les libéraux ne «suscitaient pas de joie», et les citoyens de la province, au fil des ans, leur ont inexplicablement confié plusieurs mandats consécutifs.

Annick Lefebvre, elle, se souvient. Celle qui souffre d’une empathie perpétuelle qui lui remue les tripes, et qui est habituée aux monologues prenants, s’adonne ici à la polyphonie, donnant voix à de multiples personnages au réalisme ahurissant.

En se promenant à travers les époques, prenant comme référence différents moments de la vie du couple formé par Pauline Julien et Gérald Godin, elle revient sur des évènements qui ont laissé des cicatrices sur la couenne dure du Québec. Le Québec, qui est ici représenté par une jeune femme (Maude Demers-Ricard) post-traumatisée par le Printemps érable, qui a «lâché l’école» et qui travaille Chez Baptiste, sur Mont-Royal.

L’autrice a fait ses recherches: outre les étourdissantes statistiques sur le FLQ qu’elle contient, sa pièce nous parle aussi des nombreux abus policiers perpétrés pendant la grève étudiante de 2012, et chaque date évoquée dans le récit est précisément contextualisée par une énumération des divers évènements qui marquaient l’actualité à ce moment.

Poésie du quotidien

C’est dans une langue vigoureuse et poétique que les vagues de phrases s’échouent sur le public, agissant ici comme un électrochoc, et ailleurs comme un baume au cœur. Les mots de Lefebvre sont plus percutants que jamais, et le bilan qu’elle dresse avec ColoniséEs est lucide et étrangement rassurant.

Le parallèle dressé entre le Printemps érable et la crise d’Octobre est saisissant, mais est aussi fort accablant. L’histoire se répète, et on n’en retient pas les leçons.

Et même si le texte de l’autrice est un plaidoyer pour l’éducation et une ode aux belles valeurs, on sent quand même à quelques reprises une certaine amertume, notamment quand il est question des deux référendums perdus par le camp du Oui.

Le sentiment qui domine, toutefois, est le regard bienveillant de Lefebvre sur ses personnages et l’immense optimisme qu’elle éprouve envers notre avenir en tant que société. Parce que, pour elle, les déceptions du passé orientent plutôt bien les décisions du futur. Les voix de Gérald Godin, de Pauline Julien et de Dédé Fortin résonnent dans la salle; on évoque aussi une autre Pauline, qui a échappé de près à la mort le soir de son élection, un symbole du profond fossé entre les anglophones et les francophones, des deux solitudes. Accordez-vous, c’est tellement plus beau l’accordéon.

Les interprètes réunis sur scène personnifient Pauline ou Gérald à différents moments de leur vie, mais pas que. Des vétérans tels que Benoît McGinnis et Macha Limonchik côtoient des jeunes fringants comme Myriam Fournier ou Charles-Aubey Houde dans un ballet bien huilé de manifestations et de déclamations, surfant d’une époque à une autre, avec une cohérence et une vue d’ensemble exemplaires, que la mise en scène classique et posée de René Richard Cyr renforce.

Le spectateur n’aura pas besoin de s’y connaître en histoire, en chanson, ou même en Québec pour assimiler l’universalité du propos, et ressentir l’amour cuisant qui émane de cette œuvre – il lui faudra tout simplement ouvrir son cœur à la séquence bien spéciale des battements d’Annick Lefebvre.

«ColoniséEs» d’Annick Lefebvre en images

Par Valérie Remise

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