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Crédit photo : Albane Devouge
Olivier, nous sommes ravis de faire ta connaissance! Toi qui es à la fois interprète, créateur, improvisateur et professeur d’alto, on est curieux de savoir: d’où t’est venue la piqûre pour la musique?
«Par hasard! Quand j’avais cinq ans, j’ai vu un musicien jouer du saxophone alto qui brillait de mille feux et, après la séance, j’ai dit à mes parents que je voulais “faire de l’alto”. Ils m’ont donc inscrit au conservatoire et je me suis retrouvé avec un instrument en bois qui n’avait rien à voir avec le saxophone, mais ça m’a plu! Je pouvais aussi faire du bruit avec, alors j’ai continué!»
«Ensuite, j’ai vraiment eu le déclic autour de mes 17 ans. Petit à petit, je me suis aperçu que je ne pourrai pas faire ma vie sans musique. De là est venu un appétit pour la découverte de tous les styles musicaux: classique, hard rock, musique indienne et autres musiques du monde, musique contemporaine, etc. Je suis aussi passé par la guitare et le chant, mais j’ai toujours gardé l’alto comme outil d’expression principal.»
Bien que tu sois altiste de formation classique, il paraît que tu es également un «musicien explorateur» aux goûts et aux talents multiples. Qu’est-ce qui te plaît dans le fait de flirter avec des genres aussi variés que la musique contemporaine, les musiques du monde et électro-acoustiques, pour ne mentionner que celles-ci?
«Même si j’aime profondément la musique classique, j’ai toujours été attiré par d’autres styles, comme si j’avais besoin de me perdre dans l’immensité musicale pour essayer de trouver quel musicien je suis et quelle musique je veux créer. Je pars du principe que la musique est un tout et qu’on doit avoir plusieurs angles d’approche pour en saisir la globalité.»
«Par exemple, dans ma pédagogie, j’intègre des techniques de musique traditionnelle indienne pour étoffer le travail sur la technique classique. Et inversement, j’utilise mes compétences en musique classique pour essayer de comprendre des musiques savantes lointaines. De plus, j’ai toujours été fasciné par les grands musiciens qui ont réussi à développer leur propre langage, soit par la composition, soit par l’improvisation.»
«Pour moi, le rôle du musicien “classique” du XXIe siècle doit être de perpétuer une certaine tradition, tout en innovant et en s’ouvrant à d’autres cultures. Le métissage culturel et l’innovation (dans le numérique actuellement) sont deux éléments fondamentaux de notre société. Cela pose bien évidemment beaucoup de questions sur nos méthodes d’apprentissage et sur nos instruments – souvent vieux de 400 ans –, mais un musicien d’aujourd’hui ne peut pas passer à côté de ça, il en va de la survie de notre savoir-faire instrumental et musical.»
Et alors, comment décrirais-tu ta signature artistique en tant que musicien, ainsi que ton rapport à la création?
«Mon développement musical professionnel passe en grande partie par l’interprétation, mais cela fait plusieurs années que l’équilibre entre création et interprétation se modifie peu à peu. J’ai très rarement travaillé par “commande créative”, c’est-à-dire que toutes mes inventions et mes créations sont à la base sans but précis et non motivées par un contrat.»
«Mon travail, maintenant, c’est de les développer. Car à la base, elles sont nées simplement d’une envie de m’exprimer avec un nouvel outil. En guise d’exemples, pour la composition électro-acoustique, je choisis ma pièce Undō, pour la pédagogie, mon jeu de société musical, pour l’improvisation, un projet alto-calligraphie, et pour la direction artistique, mon festival.»
«J’ai du mal à parler de ma signature artistique, tout d’abord parce que c’est très intime, et puis, même si je mets des mots dessus, c’est en réalité le regard extérieur du public qui va la déterminer et lui donner sa vraie forme. Le plus important, pour moi, c’est “l’essence artistique” que l’on atteint très rarement: c’est très fragile, on arrive à la sentir quelques minutes, quelques secondes lors d’un concert, lors d’un échange avec le public, lors d’une création. Puis, l’instant d’après, cela a disparu.»
«Plus que notre style, c’est à mon avis cet instant fugace qui révèle le mieux notre signature.»
Peux-tu nous en dire un peu plus sur Undō, la performance immersive de ton cru pour alto, électronique et vidéo, qui sera présentée le 20 avril prochain par Codes d’accès à la Société des arts technologiques (SAT) de Montréal?
«Undō a été un défi qui s’est étalé sur quatre années à cause de la COVID, de la distance et de l’évolution des technologies. C’est une pièce qui est née d’un besoin d’expression fort et qui a connu plusieurs évolutions au gré de mes apprentissages sur les outils numériques.»
«Ma collaboration avec Jullian Hoff, David Arango Valencia et Vincent Fliniaux a été très enrichissante et m’a permis d’explorer différentes formes d’interactions avec la machine et les jeux compositionnels associés. Même si les sons sont modifiés et que la pièce est “mixte”, je suis parti uniquement des sons de mon instrument pour créer l’intégralité de cette pièce.»
«Undō veut dire mouvement en japonais, et j’utilise plusieurs formes d’interactions que je contrôle avec une surface midi de pied qui gère la pression et les mouvements: le softstep 2.»
«Mon but est de donner aux interactions numériques l’aspect le plus organique possible: tout part de mes mouvements et de mes gestes. J’utilise une bande préenregistrée et des algorithmes sensibles au son de mon alto, que je contrôle avec les pieds et le son acoustique de mon instrument.»
«Dans cette idée de lien entre physique et numérique, tradition et innovation, la vidéo a été créée à partir de gouttes d’encres filmées dans un aquarium et les kanjis (caractères japonais) ont été calligraphiés par Jullian.»
Cette composition est basée sur le premier Journal de voyage usé par les intempéries du poète japonais Matsuo Bashō (1644-1694). Qu’est-ce qui t’a attiré dans cette œuvre nippone pour que tu souhaites t’en inspirer à travers une création personnelle, et comment celle-ci a-t-elle imprégné ton travail en tant que créateur et musicien?
«Bashō a parcouru 1 500 km à travers le Japon pour se recueillir sur les cendres de sa mère. Il a entamé ce voyage initiatique afin d’essayer de trouver le sens de son art, de sa vie et être au plus près de l’instant.»
«C’est un parcours philosophique et poétique qui m’a toujours attiré. De manière générale, la culture nippone m’intrigue: je pratique des arts martiaux japonais depuis plusieurs années, je suis fasciné par le cinéma d’Akira Kurosawa et par celui de Takeshi Kitano, ainsi que par les romans et la poésie japonaise.»
«J’avais créé, en amont de ce projet, un spectacle intégrant plusieurs pièces d’inspiration japonaise, notamment avec le compositeur Tōru Takemitsu que j’apprécie beaucoup. J’ai commencé Undō fin 2017, un an après mon arrivée au Québec, où j’ai passé trois ans. C’est à travers cette expérience que j’ai découvert une autre culture et une ouverture spécifique sur la musique électroacoustique et les musiques du monde.»
«Avec le recul, je me dis que, peut-être implicitement, ce thème de voyage initiatique et d’expérience “solitaire” m’a spécialement parlé à cette époque de ma vie.»
Comment en es-tu venu à travailler avec Vincent Fliniaux à la conception sonore, ainsi que Jullian Hoff et David Arango Valencia à la conception vidéo, pour faire vivre une expérience immersive et empreinte de sensibilité aux spectateurs?
«Nous nous sommes rencontrés à l’UdeM alors que j’étais en maîtrise d’interprétation classique. Je suivais aussi plusieurs séminaires sur la musique numérique, notamment avec le professeur de musique électroacoustique Pierre Michaud. C’est ce qui m’a ouvert la porte de cet univers si vaste et fascinant.»
«Par la suite, Jullian, David et Vincent, eux-mêmes artistes numériques et musiciens, m’ont aidé à développer mon idée, et il s’en est suivi une collaboration qui s’est faite assez naturellement par des échanges et des expériences sur scène lors du festival Inductive Prism et avec l’ensemble ILÉA.»
«Jullian apprend depuis plusieurs années le japonais et la calligraphie, et c’est notre passion commune pour la culture nipponne qui nous a réunis.»
Quelles émotions et/ou réflexions espères-tu d’ailleurs susciter chez ceux qui assisteront à ta performance à la SAT?
«Pour les émotions, c’est compliqué à dire: c’est très personnel et chacun verra ou sentira des éléments musicaux ou visuels qui auront leur propre résonance pour eux. Je ne cherche pas à susciter un type d’émotion, je veux simplement offrir mon idée musicale et artistique au public.»
«Par contre, je voudrais faire réfléchir sur la place de l’artisan de la musique (le musicien/instrumentiste) et aussi sur le travail pictural (le calligraphe/écrivain) associé au monde numérique.»
«Je pense que des ponts sont à faire entre les pratiques du monde numérique et des savoir-faire anciens. J’insiste sur les termes “d’artisanat” et de “savoir-faire”, car, pour moi, un art “nouveau” prend racine dans ses ancrages culturels. Avec le monde numérique/virtuel, le rapport au geste et les interactions humaines sont forcément en évolution.»
À quelques jours de l’événement, comment te sens-tu à l’idée de monter sur scène et de partager ce moment avec le public québécois?
«Je suis très heureux de pouvoir revenir au Québec après ces trois années d’incertitude et de crépuscule de l’expression artistique.»
«C’est aussi un défi puisque, avec Jullian, David et Vincent, cela fait trois ans que nous ne nous sommes pas vus et nous devrons, en quelques jours à peine, retisser notre lien artistique et humain pour pouvoir porter d’une même voix ce projet en quatuor.»