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Crédit photo : Yves Renaud
L’opéra Dialogues des carmélites de Francis Poulenc est basé sur un scénario de film (de Georges Bernanos, qui mourut avant de pouvoir le réaliser), lui-même tiré d’une adaptation d’une nouvelle de Gertrud von Le Fort, La Dernière à l’échafaud. L’écrivaine s’est inspirée de la Révolution française et du récit La Relation du martyre des seize carmélites de Compiègne.
Elle s’est permis d’extrapoler et d’inventer le personnage de Blanche de La Force, dont le nom évoque le sien, une jeune femme angoissée et perturbée par le climat de l’époque, mais également par l’intensité de ses sentiments. Francis Poulenc se reconnaît dans le personnage de von Le Fort: ayant perdu son père et son compagnon, il entame une quête spirituelle et se rapproche du catholicisme, souffrant lui aussi de la peur, terrorisé par la mort.
Serge Denoncourt, soutenu par Suzanne Crocker, délaisse quelque peu le sentiment religieux et explore l’âme de Blanche, considérant que celle-ci vit une anxiété immense, ne sachant comment affronter la vie. Son anxiété tombe dans le registre de la maladie mentale plutôt que celui de la quête existentielle. Denoncourt s’est également permis une autre liberté: il a réinterprété le rapport troublé que Blanche vit avec son frère, le Chevalier de La Force, laissant sous-entendre qu’il s’agit d’une relation incestueuse.
Malgré des thématiques aussi lourdes et complexes, Serge Denoncourt et Suzanne Crocker ont opté pour la simplicité et restent fidèles à l’esprit de cet opéra. Ils y parviennent avec finesse; les costumes de Dominique Guindon sont sobres. Les Sœurs sont vêtues des habits religieux propres à leurs fonctions. Le père (Marquis de La Force) et le frère (Chevalier de La Force) sont habillés de vêtements simples et modestes, et ce, en dépit du fait qu’ils appartiennent à la bourgeoisie. Les décors, signés par Guillaume Lord sont plutôt minimalistes; quelques tables, des chaises, des prie-Dieu et une poubelle sont les seuls accessoires.
La scène est bordée de rideaux blancs, lesquels sont utilisés avec brio pour créer des effets de cadrage et pour donner l’illusion d’un monde extérieur, ou encore pour mettre l’accent sur une conversation donnée, contraignant l’audience à ressentir l’étouffement que vivent les protagonistes. Les éclairages, assurés par Martin Labrecque, sont particulièrement efficaces et utilisés avec justesse et sans exagération. Lorsque surviennent des moments dramatiques, le jeu de lumière crée un effet perturbant et cinglant, soulignant avec poésie les moments touchants et dévastateurs.
Tous ces éléments soulignent la limpidité du texte et de la musique. Cet opéra est donc épuré et magistral à la fois, car l’attention est dirigée vers le jeu des chanteurs, qui interprètent avec sérieux et émotions cette histoire poignante. Le travail de l’Orchestre symphonique de Montréal, dirigé par Jean-François Rivest, prend tout son sens, à une exception près (lorsque le Chevalier quitte Blanche), la musique sert la pièce sans l’alourdir.
Mia Lennox interprète le rôle Madame de Croissy avec beaucoup chaleur et de conviction, elle rend à merveille le récit d’une religieuse souffrante, accablée par la maladie et qui remet en question ses choix. Blanche, telle que jouée par Marianne Fiset, nous ouvre la porte sur son monde intérieur où l’anxiété, la peur de la mort, un amour interdit et les doutes sur sa foi constituent sa vie tourmentée. Elle réussit à tenir tête à son frère, bien que cela fût déchirant, et fuit les carmélites lorsque la Révolution devient meurtrière. Pourtant, par solidarité et par le désir de se libérer de sa peur, elle affronte son destin, à côté des siennes. Mentionnons aussi l’excellent jeu de Marie-Josée Lord (Madame Lidoine), Aidan Ferguson (Mère Marie de l’Incarnation) et Magali Simard-Galdès (Sœur Constance).
Ce fut une très belle soirée. Les spectateurs ont applaudi chaleureusement (il y a même eu une ovation). Ce drame, épuré et joué avec pudeur, va à l’essentiel. Même la scène finale, avec la guillotine, est présentée avec une simplicité désarmante; un bruit rapide et une lumière s’éteint, et ce, pour signifier l’exécution de chacune des carmélites. L’on devine l’horreur de la situation sans pourtant voir la mort qui sévit.
Parfois, le malheur est intérieur, et ce, même si c’est le monde autour de nous qui s’effondre.
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Par Yves Renaud
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