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Crédit photo : Marc-Étienne Mongrain (Le Petit Russe)
On attendait avec impatience le deuxième album des Louanges (Crash), sorti le 21 janvier dernier, plus de trois ans après l’excellent opus La nuit est une panthère (2018), pour lequel la formation avait remporté un Juno et de nombreux Félix, en plus de récompenser Vincent Roberge avec le prix Félix-Leclerc.
Comme je suis de nature curieuse, j’ai donné rendez-vous à Félix Petit au parc Sir-Wilfrid-Laurier pour réaliser cette entrevue. Il a fallu quelques minutes avant que je le repère, marchant à côté de son vélo.
De quoi avait-il l’air? Pour tout dire, je n’en avais aucune idée avant cette rencontre.
Être réalisateur d’album vient avec un certain anonymat, ce qui ne déplaît pas à Petit, qui a une vision très pragmatique de son métier: «Au fond, les réals, on est des techniciens; des livreurs… C’est bien être un travailleur de l’ombre.»
S’il est encore peu connu du grand public, la réalité est toute autre dans le milieu musical. Celui qu’on compare à Philippe Brault, à Emmanuel Éthier et à Alexandre Martel est en voie de devenir l’un des réalisateurs d’albums les plus sollicités au Québec: «Le téléphone n’a pas arrêté de sonner depuis ma collaboration avec les Louanges. […] J’ai été très chanceux, j’ai dû refuser des contrats», avoue Félix Petit.
Si sa carrière a connu récemment une ascension fulgurante, il semble tout de même intrigué par le fait que je souhaite consacrer un article à son travail – ça en dit long sur sa posture.
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Félix Petit naît en 1990 à Besançon, un village situé à l’est de la France. Il grandit dans un milieu familial qui l’encourage à développer sa sensibilité artistique – sa mère, férue de peinture, et son père, vivant sur un bateau et passionné de photographie, lui transmettent des valeurs communautaristes. Son premier contact avec la musique se fait à travers une maison de quartier où l’on invite plusieurs jazzmans, qui joueront un véritable rôle d’émulation pour plusieurs enfants du village.
À l’adolescence, il commence à jouer des percussions dans un orchestre, apprend le saxophone de manière autodidacte, puis fonde un groupe de musique avec quelques amis. À l’âge de dix-huit ans, il décide de venir s’installer au Québec pour faire des études en musique à l’Université de Montréal. Il fait durant ces années plusieurs rencontres déterminantes, dont celle de William Côté (membre du groupe Misc et batteur des Louanges).
Sa collaboration avec Vincent Roberge, qu’il rencontre aux Francouvertes en 2017, propulse sa carrière. Il commence alors à partager sa vie entre la tournée et la réalisation d’albums. Il collabore avec Hubert Lenoir, Van Carton, Laurence-Anne, Étienne Dufresne, Safia Nolin, pour ne nommer que ceux-là – tout ce qu’il touche, dirait-on, se transforme aussitôt en succès.
Quand il parle de la conception d’un album, on entend avant tout l’importance de la dimension communautaire. Il avoue d’ailleurs préférer la co-réalisation plutôt que la réalisation en solo. Dondepiano, le studio qu’il a cofondé avec des amis du projet Felp et Chienvoler, est sans doute le lieu où s’incarne le mieux cette pensée communautaire. Cet espace de création est une sorte de «sanctuaire dénué de tensions», relate-t-il, où se réunissent surtout des musiciens non subventionnés qui viennent pour jammer ensemble, créer en toute liberté.
Félix Petit parle tranquillement, on le sent détendu et disponible – c’est le genre d’interlocuteur avec lequel on peut se déposer pour discuter longuement. C’est aussi ce que relate Jimmy Hunt, avec lequel il collabore pour la création de son prochain album: «Il est vraiment détendu, il prend son temps pour créer, discuter d’une chanson. Aussi, c’est un excellent musicien».
Le réalisateur m’explique également que son studio est conçu de telle sorte que tout se fasse de manière organique, plutôt que d’avoir des espaces désignés d’enregistrement. Une piste est parfois enregistrée en plein milieu d’une discussion, un micro tendu vers l’artiste, toujours assis sur le divan. Il existe dans cet espace une perméabilité entre la vie et la création.
On parle souvent de ses arrangements pop, de sa prédilection pour les cuivres et de sa façon «organique» de travailler. Jimmy Hunt raconte que le réalisateur est avant tout un beatmaker: «Sa façon de travailler ressemble beaucoup à celle d’un réalisateur de hip-hop». De fait, Petit écoute surtout du hip-hop et du rap, en particulier des artistes belges et américains, et se montre indéfectible sur une idée: «C’est avant tout le texte qui compte. C’est important qu’une histoire soit racontée dans une chanson».
Si on reproche parfois aux réalisateurs d’albums d’utiliser un jargon un peu précieux ou hermétique et d’avoir une vision conceptuelle de la musique, on doit reconnaître que Félix Petit est loin d’adhérer à ce cliché. Il avoue presque honteusement avoir entrepris de longues études musicales. Il préfère rester loin de cette posture académique, cherchant plutôt à se tenir au plus près de l’affect original, de l’idée première d’une chanson: «Cette toune-là est-elle nuageuse ou ensoleillée?», résume-t-il.
Sa vision de la musique dédaigne effectivement tout élitiste: «En vrai, les musiciens, ils ont tous des chalets», dit-il en boutade, soulignant l’homogénéité du milieu musical qu’il estime peu représentatif de la diversité (de classe, de genre, de race). Il souligne d’ailleurs aimer particulièrement travailler avec des femmes, autant pour leur méthode de travail que pour les idées différentes qu’elles apportent à la musique.
Quand je le questionne sur sa conception du métier de réalisateur, il révèle qu’il s’identifie moins à un artiste qu’à un «artisan». Son rôle varie beaucoup d’un artiste à l’autre; il s’implique parfois jusqu’à retravailler les paroles avec l’artiste, alors qu’il joue à d’autres moments un rôle plus discret, notamment avec les artistes qui arrivent très préparés dans les sessions; il évoque par exemple le cas de Laurence-Anne, arrivée au studio avec une idée très claire et des pistes déjà enregistrées.
Enfin, il compare son métier à celui de réalisateur de film: «J’ai un rôle de transmission. Je dois traduire la vision d’un artiste. […] Le réalisateur doit savoir gérer son ego, ne pas prendre de décisions trop audacieuses à la place de l’artiste.» Félix Petit a, en somme, une vision foncièrement «déromantisée» du métier: «Le réal c’est aussi celui qui gère le budget, le temps, ce genre de choses…»
Si son humilité frappe comme première impression, le réalisateur n’est toutefois pas dénué d’ambition.
Il aimerait collaborer avec des artistes comme Damso, Action Bronson et Mélissa Laveaux. Si on se fie à ses collaborations les plus récentes, qui vont des jeux vidéo à TOU.TV en passant par Safia Nolin, on peut parier qu’il ne rêve pas trop loin.
D’ici là, on attend avec impatience la sortie de l’album issu de son projet personnel, Felp.