MusiqueDans la peau de
Crédit photo : Felix Renaud
1. Tu es l’homme derrière plusieurs albums qui ont marqué le Québec. On pense notamment à ton travail avec Pierre Lapointe, mais aussi avec Philémon Cimon, Safia Nolin et Koriass, entre autres. Peux-tu nous raconter comment tu t’es retrouvé à devenir réalisateur?
«C’est une bonne question. C’est venu un peu naturellement. Quand j’ai commencé, j’ai vite développé une passion pour le travail en studio, et je suis devenu le gars dans le band qui enregistre les maquettes. J’avais étudié l’arrangement aussi, alors, souvent on me faisait confiance pour ça.»
«Donc, naturellement, je suis passé du rôle de l’arrangeur, qui passe plus de temps que tout le monde au studio, à celui de réalisateur. Surtout, je pense que c’est une affaire de personnalité. Au début, réaliser, c’est un rôle qu’on te confie plus qu’un rôle qu’on prend.»
2. Quand on parle de ton travail, on vante souvent ta grande écoute, ta capacité à «saisir» ce que veulent les artistes. De ton côté, comment est-ce que tu abordes cette relation lors d’une première collaboration?
«Ce qui m’intéresse dans le travail de réalisateur, c’est de rencontrer quelqu’un, d’essayer de voir ses forces, et de se demander comment présenter la meilleure version de cette personne au moment précis où elle fait son album. Évidemment, ça reste très subjectif: ce que j’aime et ce qui m’intéresse chez un artiste est peut-être exactement ce qu’un autre ne pas supporter du même artiste. Mais, quand tu arrives a faire un disque que l’artiste endosse totalement, ou dont il est fier, qui le représente bien, cet album a beaucoup plus de chance de faire du chemin et d’être défendu.»
«Ma philosophie est assez simple au fond, juste toujours me rappeler que je suis en train de faire l’album de l’artiste, pas le mien. Idéalement, mon travail est de faire sortir sa vision le mieux possible. Ça veut pas dire que je m’efface ou que je me bats pas pour certaines idées; je pense que, des fois, même l’artiste le plus brillant n’est pas toujours la meilleure personne pour juger de ce dont sa musique a besoin. Mais c’est cette discussion-là qui est à la base de mon amour pour ce métier-là.»
3. Tu travailles non seulement en musique, mais aussi en théâtre, en danse, en cinéma et pour la télé. Est-ce qu’il y a un projet sur lequel tu as travaillé dans les dernières années qui t’as particulièrement sorti de ta zone de confort? Ou qui t’as amené dans un domaine où tu ne pensais jamais travailler?
«Je pense que le projet qui m’a le plus sorti de ma zone de confort, dans les dernières années, est clairement La Bonne Âme du Se-Tchouan, présentée au TNM. Pour plusieurs raisons, même si, effectivement, je fais beaucoup de musique de théâtre. D’abord, je n’écris pas de chansons habituellement; je travaille à partir de celles des autres. Là, on me demandait d’écrire vingt chansons, avec textes imposés, et pas des textes formatés pour la chanson nécessairement.»
«Ensuite, le théâtre musical, je l’avoue ici, ce n’est pas ma tasse de thé, il fallait donc que je surmonte mes propres préjugés sur le genre. Et le seul théâtre musical que j’aime est celui de Brecht avec Weill, et je savais que j’allais forcément être comparé à ce dernier, ce n’est pas rien. J’étais tellement nerveux chaque fois que j’arrivais en répétition avec les comédiens pour présenter une nouvelle chanson. Je n’avais jamais vécu ça. J’ai appris beaucoup de choses qui m’aident aussi quand j’aborde le travail des auteurs-compositeurs maintenant.»
4. Qu’est-ce qu’il y a de plus intéressant pour toi à toucher à plusieurs domaines comme ça?
«De façon très terre à terre, c’est évident que ça me permet de mieux vivre de ma musique. La quantité de projets qui s’offre à moi est beaucoup plus large, mais ce n’est pas la raison principale. Les bons et les mauvais côtés de chacun de ces domaines sont extrêmement différents, et je pense que de pouvoir se promener dans ces différents milieux, c’est une bonne façon de ne jamais devenir blasé ou amer, de garder le plaisir vivant.»
«Aussi, en théâtre, en danse et en cinéma, je suis le compositeur, ce sont mes idées et ma musique que je défends. Ça m’aide sûrement à me mettre au service de celle des autres quand je réalise: j’ai déjà d’autres plateformes pour exprimer mes idées.»
«Finalement, je pense que le théâtre et la danse sont de bons laboratoires pour essayer des trucs plus expérimentaux et développer des techniques que je peux ensuite intégrer en chanson et vice versa. Je pense que ça s’entend dans mon travail, que je le veuille ou non.»
5. On se doute bien que tu aimes les défis. Sur quel genre de projet (que tu n’as pas encore réalisé!) aimerais-tu vraiment travailler dans le futur?
«Je sais que c’est le genre de question qui appelle une réponse de rêves de grandeurs, toujours plus haut, toujours plus grand. Mais, étrangement, le genre de projet auquel je rêve (et travaille en secret dans ma tête) depuis quelques années est de l’ordre du plus petit, du confidentiel.»
«J’aimerais vraiment partir mon propre petit label. Le genre de label qui n’aurait aucune visée commerciale, voire pas de rentabilité. Plutôt un espace de création qui produit des projets spéciaux sans contrainte de format ou de genre, mais quand même avec une direction artistique.»
«J’y pense depuis un bout, je vais le faire probablement, mais je ne sais pas quand. Je veux bien faire ça à tous les niveaux. Je réfléchis à l’artistique, mais aussi beaucoup au modèle d’affaire pour les artistes et techniciens qui s’y impliqueraient. Je voudrais des règles habituelles. J’ai pas encore mis tous les morceaux du casse-tête ensemble dans ma tête, mais j’y pense souvent.»
«Il y a tellement de gens avec qui j’aimerais faire de la musique, sans jamais que la question «Est-ce que les gens vont aimer ça?» rentre dans l’équation, juste pour la rencontre. Ça serait exactement ça la mission de mon label. Un défi, quoi.»