LittératureDans la peau de
Crédit photo : Julie Artacho
Myriam, on te connaît de longue date comme journaliste, puisqu’à l’époque, on suivait religieusement l’actualité culturelle sur ton blogue Ma mère était hipster au moment où notre magazine célébrait ses premières années d’existence! Aujourd’hui, tu es devenue membre de l’Ordre professionnel des sexologues du Québec et de l’Association des sexologues du Québec, et tu offres des services en relation d’aide. Avant d’aller plus loin, parle-nous brièvement de ton parcours et de ce qui t’a motivé à devenir sexologue.
«J’avoue qu’en lisant cette question, je me dis que, vu de l’extérieur, ça doit paraître comme un changement radical, haha! Mais, en fait, tout est lié.»
«J’ai fait un baccalauréat en histoire de l’art, en m’intéressant particulièrement à la représentation du corps et de l’identité de genre dans les œuvres. Et, par le fait même, aux sexualités. Il y avait donc déjà un fort intérêt pour la compréhension de l’être humain. J’ai ensuite œuvré pendant plus de sept ans dans le milieu des arts visuels où j’ai pu faire, entre autres, de la médiation culturelle et de la création de contenu pédagogique. Ces différents aspects m’ont démontré que j’avais une envie et, surtout, la compétence pour accompagner les gens, les faire discuter et leur offrir une écoute réelle.»
«Après plusieurs années à travailler dans le domaine culturel, ainsi que celui des médias sociaux, j’ai eu envie de revenir à ce que j’avais réellement envie de faire et, avant tout, à ce qu’il me semblait utile de faire: aider les gens.»
«Cela dit, je ne laisse jamais bien loin mon amour des arts et de la culture – j’en consomme encore énormément! – et je l’intègre au quotidien dans ma pratique comme sexologue. Il n’est d’ailleurs pas exclu que je me lance un jour vers l’art-thérapie! 😉»
Ton approche comme professionnelle est d’abord et avant tout humaine et authentique. Ta clientèle bénéficie de rencontres qui se déroulent dans un climat de confiance, et ce, sans jugement. Et dans ce métier, les enjeux sont larges: santé sexuelle, désir sexuel, relations amoureuses, non-monogamie éthique, BDSM, image corporelle, estime de soi, anxiété de performance, consommation de pornographie, éducation à la sexualité, identité de genre et on en passe. On est curieux: comment se déroule une rencontre, et quel est le rôle d’un∙e sexologue vs celui d’un∙e psychologue, par exemple?
«Il est vrai que l’on connaît encore bien mal les différentes facettes du métier de sexologue. Lorsqu’une personne vient voir un∙e sexologue, elle peut d’abord s’attendre à avoir ce qu’on appelle une évaluation du comportement et du développement sexuels de la personne. C’est une sorte de portrait que l’on fait de la personne qui se trouve devant nous, question de comprendre son motif de consultation, mais également pour s’assurer qu’on est la personne la mieux placée pour l’aider.»
«Par exemple, si une personne vient me voir pour une baisse de désir sexuel, cela tombe tout à fait dans mon champ d’expertise. Alors que, pour une personne qui vient pour discuter de son anxiété qui touche surtout la sphère du travail, j’aurais alors tendance à la référer à un∙e psychologue ou en travail social pour un suivi psychosocial. Cependant, si son anxiété crée des enjeux dans ses relations intimes et sexuelles, ça peut revenir vers la sexologie. En somme, on s’occupe de tout ce qui a trait à la sexualité dans son ensemble.»
«Personnellement, je me vois comme une sorte de catalyseur qui va simplement activer les réflexions chez la personne pour qu’elle puisse prendre conscience de ce qu’elle peut faire pour changer sa situation. Je lui amène des outils et des stratégies, mais c’est elle qui fait le chemin pour améliorer son état.»
Tu es également l’autrice de deux ouvrages éducatifs et sexologiques, à savoir Tout nu! Le dictionnaire bienveillant de la sexualité (Éditions Cardinal, 2019), et Sexe, sexo, sexu! Idées nouvelles pour une sexualité libre et joyeuse (Éditions Trécarré, 2024). Le premier, devenu un indispensable à avoir dans sa bibliothèque, s’adresse autant aux ados, qu’aux enseignants et aux parents qui se posent une tonne de questions sur la sexualité, mais aussi sur l’identité, la relation aux autres et l’image de soi. Le second, qualifié de «libéré et libérateur», «démystifie avec bienveillance et curiosité les nombreuses facettes du sexe» en proposant de précieux outils. Quel éclairage nouveau et différent ce plus récent livre apporte-t-il comparativement à l’autre?
«D’abord, il s’adresse cette fois aux adultes. Son ton est donc différent, même si je garde toujours mon approche bienveillante et sans jugement. Et plutôt que la forme du dictionnaire, j’y vais cette fois avec des textes suivis qui permettent de passer à travers de grands thèmes qui, chacun, propose des réflexions de fond sur les sexualités humaines.»
«Je suis partie de la question suivante: mais pourquoi les adultes n’ont pas accès à une éducation à la sexualité? C’est pourtant une sphère tellement changeante dans la vie et sur laquelle – je le vois tous les jours en clinique – des tas de gens ont des questions! Et des insécurités… Il faut en parler. C’est ce que je veux faire avec cet ouvrage; ouvrir les discussions, réfléchir à ce qui construit nos sexualités, déboulonner des mythes, rendre le sujet moins explosif et délicat pour qu’il devienne plutôt empreint de curiosité et de volonté de savoir.»
«On a toutes et tous un corps, une majorité de personnes ont des sexualités (qu’elles soient en solo, en duo, en trio, etc.), pourquoi ne pas se donner le droit d’en jouir à 100%? C’est pourquoi, en tout dernier chapitre, je ramène à la notion de plaisir. Ayons du fun!»
Donc, si on a bien compris, avec Sexe, sexo, sexu! Idées nouvelles pour une sexualité libre et joyeuse, le mot d’ordre c’est qu’il faut absolument revenir au plaisir, c’est bien ça? Nos lecteurs et lectrices sont sûrement tout aussi curieux que nous: parle-nous de cette notion essentielle et des quelques outils que tu proposes pour y accéder!
«Exact; revenons au plaisir! Même au-delà des sexualités, le plaisir est une notion essentielle pour apprendre, découvrir, explorer et être créative ou créatif.»
«Il se décortique en trois notions importantes: 1) le jeu, 2) la connexion et 3) le flow. En somme, pour avoir du fun, on doit être en mode jeu (créer un état de permissivité, de légèreté), se sentir connecté∙e (à soi avant tout, à l’autre ou aux autres aussi), et on doit être dans le moment présent (s’investir réellement dans l’activité). Mais pour aider les gens à trouver le plaisir, il faut aussi qu’on s’investisse, collectivement, dans l’amélioration de nos sexualités.»
«Par exemple, pour réussir à combler le fossé orgasmique qui existe entre les personnes masculines et féminines, on doit arrêter de considérer que celles-ci se trouvent aux opposés. Au contraire, il y a plus de similitudes, tant sexuellement que face aux sentiments! Et c’est aussi un point important: le désir masculin doit pouvoir sortir des injonctions à la masculinité qui peuvent être toxiques pour plusieurs personnes.»
«Ce ne sont que quelques exemples, mais en somme: il y a encore du boulot à faire!»
Disons les choses franchement: évoluer dans la joie et le laisser-aller, dans le monde turbulent dans lequel on vit, ce n’est pas si évident que ça. On reste des êtres humains, après tout, sensibles et émotifs, et avec nos réalités, ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir, dans ses temps libres, une sexualité libre et joyeuse. Parlons rêves et fantasmes, si tu le veux bien, puisqu’en plus c’est le titre d’un des chapitres de ton livre: que peut-on espérer pour un monde meilleur, d’après toi?
«C’est vrai qu’on est dans une bien drôle d’époque… Eh oui, c’est tout un défi d’avoir des sexualités émancipées et l’fun. Mais il y a des choses à mettre en place pour y arriver.»
«Il faut éradiquer les jugements à propos des sexualités dites «non normatives». S’ouvrir à la différence, célébrer la diversité. Comprendre que les fameuses normes qui dictent nos conduites – sociales autant que sexuelles – ne sont absolument pas neutres. Que les sexualités ne soient plus abordées avec gêne ou honte, qu’elles peuvent (et doivent!) être au centre de nos vies, comme quelque chose dont on s’occupe, qu’on prend en charge, qu’on explore. Qu’on communique mieux et qu’on apprenne le plus tôt possible à le faire, que ce soit pour parler de nos envies et de nos désirs, mais aussi de nos sentiments, de nos incertitudes, de nos vulnérabilités. Que les œuvres qui peuplent notre culture populaire (films, séries télé, etc.) soient plus diversifiées afin de montrer la réelle, belle et riche diversité des identités, des orientations sexuelles et romantiques, des genres, des désirs, des pratiques, etc.»
«En somme, et comme le Tout nu! l’a fait auparavant, j’en appelle à la bienveillance et à l’intelligence des gens pour que l’on puisse avancer comme société. Et ça ne se fera pas non plus sans amour! 😊»