«Dans la peau de...» Gabrielle Lisa Collard du blogue Dix Octobre – Bible urbaine

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«Dans la peau de…» Gabrielle Lisa Collard du blogue Dix Octobre

«Dans la peau de…» Gabrielle Lisa Collard du blogue Dix Octobre

Pas de grossophobie, pas de problème

Publié le 27 juillet 2018 par Michelle Paquet

Crédit photo : Gabrielle Lisa Collard

Chaque semaine, tous les vendredis, Bible urbaine pose 5 questions à un artiste ou à un artisan de la culture afin d'en connaître un peu plus sur la personne interviewée et de permettre au lecteur d'être dans sa peau, l'espace d'un instant. Cette semaine, nous avons interviewé Gabrielle Lisa Collard du blogue taille plus Dix Octobre.

1. Gabrielle, on va commencer par la base si tu le veux bien. Comment t’es venue l’idée de fonder le site Dix Octobre?

«J’ai lancé le site en 2016, après m’être plainte longtemps qu’il n’existait pas de contenu francophone intéressant niveau blogues taille plus. Il y en avait quelques-uns qui se concentraient surtout sur la mode, ce qui est très cool, mais je lisais de plus en plus de textes militants – et franchement percutants – écrits par des activistes fat positive anglophones comme Virgie Tovar, Lindy West, Ragen Chastain, Your Fat Friend… et j’avais envie que ce genre de contenu soit accessible aux Québécois.es.»

«Je voulais aussi créer une plateforme où partager du contenu pertinent sur tout ce qui se fait en anglais au niveau du mouvement Health at Every Size, de la nutrition anti-régime, weight-neutral et axée sur l’alimentation intuitive, des initiatives artistiques et médiatiques dédiées à faire la promotion d’une saine image corporelle et de la diversité, etc.»

«Une amie, après m’avoir entendu répéter pour une énième fois que c’était donc plate que ça n’existe pas ici, m’a rappelé qu’écrire était mon travail, après tout, et qu’on n’était jamais si bien servi que par soi-même. On la remercie d’ailleurs chaudement :) Dès le début, j’ai voulu que Dix Octobre devienne davantage un média qu’un blogue personnel; je publie donc régulièrement des textes écrits par diverses collabos, parce que je veux donner une voix à autant de grosses personnes que possible. On parle tout le temps de nous (souvent en mal, presque toujours avec ignorance), mais on nous écoute trop peu.»

Crédit : Julie Artacho

2. De mon côté, j’ai découvert le blogue à travers un mini scandale mettant en scène une marque de vêtement montréalaise qui avait partagé un meme grossophobe et à qui tu avais répondu. Qu’est-ce qui te fâche le plus quand tu vois des compagnies qui prônent la diversité corporelle avoir des comportements du genre?

«Ce qui me dérange le plus, c’est de constater que le mouvement de la diversité corporelle n’a même pas eu le temps de servir nos intérêts trois secondes qu’il a déjà été repris par des compagnies qui se foutent de son importance idéologique et veulent juste surfer sur le succès du hashtag

«Je suis contente que le fait de montrer une plus grande diversité de corps dans les médias soit devenu une notion mainstream. C’est déjà ça. Malheureusement, je vois trop de compagnies se faire du capital de sympathie sur le dos de la diversité corporelle alors qu’elles n’offrent que des vêtements de taille S à L.»

«Le pire, c’est qu’après des décennies à n’avoir rien eu, on se satisfait de trop peu et les compagnies le savent. Une compagnie peut se voir encensée parce qu’elle a utilisé une cliente pas payée comme modèle dans une de ses pubs; on est tous super contents de voir une fille «ordinaire» servir de mannequin, on les applaudit et on partage joyeusement leur campagne. Au final, leur offre est exactement la même que la veille, mais les internautes ont gratuitement partagé leur publicité des milliers de fois. Je l’ai moi-même fait souvent. Je veux tellement encourager les initiatives qui concernent la diversité que je partage plein d’affaires pour finalement réaliser que je me suis un peu fait avoir et que je ne suis toujours pas quelqu’un que telle ou telle compagnie veut voir porter son linge.»

«Les compagnies ont le droit de faire les tailles qu’elles veulent et je serai toujours contente de les voir montrer des corps différents dans leurs pubs, que ces corps soient plus size ou non. Mais, il faut faire preuve d’un minimum d’intégrité. Utiliser une cause sociale – n’importe laquelle – pour vendre des affaires sans réellement contribuer à son avancement, c’est hypocrite.»

3. Dans la même veine, Dix Octobre partage souvent des articles qui démystifient certains préjugés, notamment liés à la santé, sur les personnes plus size. Pourquoi est-ce que c’est important pour toi de partager ces informations?

«Je veux tout d’abord donner de l’info et des outils aux personnes qui vivent dans un gros corps pour qu’elles puissent reconstruire leur estime personnelle et se défendre face aux autres, des inconnus dans la rue à leur famille en passant par leur médecin. Parce que quand on est gros, on doit se défendre et se justifier beaucoup, et on croit souvent à tort que prendre soin de nous ne vaut rien si ça ne nous fait pas maigrir. Il y a énormément d’ignorance dans la société en ce qui concerne le poids et son impact sur la santé, les qualités morales des grosses personnes et le contrôle réel qu’on a sur son poids corporel.»

«Le poids n’est pas un indicateur fiable de l’état de santé général, ne se manipule pas aisément et n’est pas une bonne façon de mesurer l’impact positif des comportements qu’on adopte. Et pourtant, il est la seule variable qu’on observe et qu’on juge; si on voulait réellement prioriser la santé, il ne serait que très rarement pris en compte, et encore, seulement en cas de fluctuations importantes. C’est un sujet très complexe qu’il serait difficile de résumer ici, mais de toute façon, tout le monde mérite le respect, qu’il soit en santé ou non.»

«Croire que notre perception de la santé d’une autre personne, en se basant sur son apparence physique, justifie qu’on la juge ou la traite mal est aussi absurde que cruel. Heureusement, quand on se donne la peine de faire ses recherches, on comprend que le poids et la santé sont deux choses, et on est mieux outillé pour s’aimer et prendre soin de soi dans une société qui prétend vouloir notre bien, mais nous fait énormément de mal.»

«Knowledge is power, comme on dit, et c’est pourquoi j’essaie d’informer mon lectorat le plus possible. Parce qu’on ne peut pas compter sur les médias traditionnels, en ce moment, ni sur la narrative populaire, pour trouver ce dont on a besoin. La tendance est à la grossophobie, et se haïr n’a jamais aidé personne.»

Crédit : Julie Artacho

4. En collaboration avec la photographe Julie Artacho, vous organisez des séances photo avec les lectrices du blogue. Peux-tu nous raconter un moment qui t’a particulièrement marqué en lien avec ces photoshoots?

«J’ai été marquée, tout d’abord, par la quantité de filles cool qui me lisent! N’en déplaise à toute la culture populaire qui se tue à nous dire que les gros sont pas cool, les filles qui sont venues au studio étaient toutes aussi rayonnantes, drôles et sexy les unes que les autres. Je suis tellement fière d’être suivie par autant de personnes extraordinaires, talentueuses, brillantes et courageuses. Mais le plus marquant, et je sais que Julie l’a vécu de la même façon, a été de constater à quel point voir des corps différents tous les jours transforme concrètement notre vision de ce qui est beau.»

«Intellectuellement, je sais depuis longtemps qu’on peut être gros et beau. Mais c’est vraiment depuis l’année dernière que je peux regarder une grosse personne et la trouver magnifique sans faire le moindre effort. Avant, je devais surmonter le petit choc initial, parce qu’on n’a pas l’habitude de voir ce type de corps en photo, présenté de manière positive; je devais prendre quelques secondes pour laisser se dissiper la surprise et faire taire, une à une, les petites voix qui me disaient que telle ou telle partie n’était pas belle.»

«J’ai appris, comme tout le monde, que la beauté avait plus ou moins une forme, et mon œil cherchait immédiatement les prétendues «imperfections». Je savais que tout ça était subjectif, mais il m’a fallu faire l’effort et prendre le temps de déconstruire ces notions-là avant de pouvoir enfin voir la beauté là ou elle est, sans interférence, chez toutes sortes de personnes. Aujourd’hui, ça me vient naturellement. C’est donc d’autant plus génial pour Julie et moi de participer à ces photoshoots, entourées de superbes femmes, en sachant que notre perception d’elles rendra justice à leur réelle beauté.»

5. Qu’est-ce que tu souhaiterais accomplir avec Dix Octobre?

«Je veux communiquer aux gens qui me lisent que leur corps mérite respect et amour, peu importe son apparence et ses capacités, et les aider à guérir et à enrichir leur relation avec lui. Je veux leur donner une voix, mettre des mots sur ce qu’ils ressentent et faire en sorte qu’ils se sentent compris et représentés. Je veux aussi leur présenter autant de modèles positifs que possible, pour qu’ils sachent qu’être gros n’est un obstacle à rien du tout, de l’estime de soi au succès en passant par la beauté, la santé et l’amour.»

«Lancer ce blogue a réellement changé ma vie. J’ai appris plein de choses, découvert une communauté extraordinaire, et fait la paix avec moi-même de plusieurs manières. Quand on cesse de percevoir le gras comme quelque chose de négatif, de laid, de problématique, la vie devient tellement plus cool. Et plus riche.»

«J’étais loin de me douter à quel point je me sentirais libre, honnêtement. C’est comme si j’avais passé ma vie à regarder l’expérience humaine à travers un petit trou dans un mur et qu’il était maintenant tombé. Je souhaite sincèrement ce sentiment-là à tout le monde. Gros ou pas.»

Pour consulter nos précédentes chroniques «Dans la peau de…», visitez le labibleurbaine.com/Dans+la+peau+de…

Le blogue Dix Octobre en photos

Par Flamme, Julie Artacho et Maude Collin

  • «Dans la peau de…» Gabrielle Lisa Collard du blogue Dix Octobre
    Emmanuelle Larousse - Crédit : Flamme
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    Emmanuelle Larousse - Crédit : Flamme
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    Crédit : Julie Artacho
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    Crédit : Maude Collin
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    Crédit : Gabrielle Lisa Collard
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    Crédit : Julie Artacho
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    Crédit : Julie Artacho
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    Gabrielle Lisa Collard

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