CinémaCritiques de films
Crédit photo : Courtoisie de Simon Mein @ Thin Man Films Ltd
Jean-Baptiste joue Pansy Deacon, qui nous est présenté en se réveillant le matin par un sursaut, brisant ainsi la quiétude que les plans soignés du générique de début montraient: une banlieue paisible commençant sa journée.
Le réveil de Pansy, tout comme la vie qu’elle mène au moment où nous la rencontrons, est d’une peur étonnante: peur de sortir chez soi; peur de parler aux gens; peur de se faire juger par les autres; peur de vivre toute seule et d’être rejetée par son mari Curtley (David Webber) et son fils Moses (Tuwaine Barrett).

Courtoisie de Simon Mein @ Thin Man Films Ltd
D’ailleurs, Pansy n’a pas la langue dans sa poche. Elle se vexe très rapidement et facilement, non seulement dans ses interactions avec son mari et son fils, qui préfèrent ne rien dire (et faire) plutôt que de la confronter, mais également en public.
Dans la première partie du film, Leigh nous dresse toute l’étendue des interactions de Pansy – un être misérable et bête, qui réprimande tout le monde pour ses problèmes, sauf elle. Parfois, il nous arrive d’en rire, surtout lors d’une visite chez le médecin, mais il s’avère fatigant de l’observer dans un tel état, puisqu’elle ne veut jamais admettre qu’elle a tort et elle fait tout pour se faire détester par ses proches et les gens qu’elle rencontre en public.
Il est d’autant plus choquant d’observer le contraste entre Pansy et sa sœur, Chantelle (Michele Austin), qui est très sociable et aime interagir avec les clientes du salon de coiffure dans lequel elle travaille. Elle entretient également une relation tissée serrée avec ses deux filles, Kayla (Ani Nelson) et Aleisha (Sophia Brown), qui ont une vie plus épanouissante que leur cousin Moses, occupant son temps à jouer à des jeux vidéo et à faire de longues marches seules, dans le silence.
À travers toutes ces scènes où Pansy se déchaîne en public, Mike Leigh ne juge jamais sa protagoniste. Il nous la présente telle qu’elle est, c’est-à-dire prise dans un trou de peur et souffrant ouvertement, physiquement et mentalement.
Il n’y a que Chantelle qui veut véritablement aider sa sœur, alors que ses filles expriment leur inconfort face à elle. D’ailleurs, elle suggère à Pansy de visiter la tombe de leur mère décédée il y a quelques années pour la fête des Mères et aussi de venir chez elle pour un dîner avec ses nièces, dans le but de sortir de sa routine misérable et de reconnaître un peu plus la place que sa famille a dans sa vie.
C’est possible que cet effort de recevoir Pansy chez elle ne lui apporte que des malheurs, mais Chantelle aime véritablement sa sœur, et ce, peu importe la teneur de ses défauts.
Une histoire sombre où le silence est plus important que les dialogues
C’est d’ailleurs lors de cette scène où les sœurs visitent leur mère que le film prend un tournant sombre, alors que la douleur que cachait Pansy à travers ses diatribes commence soudainement à faire surface.
Cela aurait pu être révélé comme une surprise, mais Leigh ne prend jamais la route de l’exploitation et laisse le silence de sa protagoniste, qui devient de plus en plus prenant, parler de lui-même. Le contraste entre le début du film et la visite du cimetière est réellement frappant.

Courtoisie de Simon Mein @ Thin Man Films Ltd
Dans la première partie, Pansy a toujours son mot à dire sur n’importe qui et sur n’importe quoi. Elle se permet de tout dire, même les remarques les plus inappropriées. Tout ce qui passe dans sa tête y est exprimé verbalement. Après sa visite au cimetière, elle ne parle plus. Le poids qu’elle soutient depuis plusieurs années est maintenant trop lourd à porter, et les vérités difficiles (d’où le titre) qu’elle essayait d’éviter en masquant sa souffrance se retrouvent droit devant elle.
C’est d’ailleurs ici que le directeur photo Dick Pope (marquant sa dernière collaboration avec Mike Leigh avant son décès en octobre dernier) cadre Pansy, Curtley et Moses dans le même plan, lesquels ne se regardent jamais, mais se demandent tous comment cette vie a pu tourner ainsi. Celle de Pansy est emplie de regrets qu’elle n’a jamais voulu affronter, tandis que le regard vide et coupable de Curtley traduit une colère qu’il ne désire pas exprimer. D’ailleurs, ils ignorent tous deux la solitude dans laquelle vit Moses.
C’est d’ailleurs ici que le cinéaste met de l’avant la meilleure illustration de la dépression vue dans un film de 2024, avec The Greatest Hits de Ned Benson. Les trois souffrent individuellement en silence, ne voulant pas chercher de l’aide, ou même parler de leurs différends entre eux. Nous comprenons cela seulement en les regardant et en ressentant la douleur de la famille, qui est sans issue et qui devient de plus en plus violente au fur et à mesure que le film progresse.
Pansy essaie d’échapper à cette violence psychologique en voulant dormir durant la journée, mais son sommeil tourne toujours au cauchemar. C’est pourquoi elle se réveille en sursaut. Elle essaie tant bien que mal d’échapper à ses mauvais rêves, mais son existence est un cauchemar, et ce, peu importe si elle change la manière dont elle traite sa sœur et les autres membres de sa famille…
L’actrice Marianne Jean-Baptiste est spectaculaire
Ce portrait si déchirant ne se fait pas sans une actrice qui est capable de moduler ce cri du cœur avec une telle impuissance que, malgré ses actions et son attitude constamment négatives, le spectateur finira au bout du compte par compatir au sort de Pansy.
Heureusement, Marianne Jean-Baptiste est capable de relever ce défi de taille avec brio, donnant toutes les notes les plus justes chez sa protagoniste. Il devient alors très difficile de ne pas verser des larmes en la regardant s’enliser dans une routine qui continue de la suffoquer, émotionnellement et physiquement.
Il est, selon moi, criminel que l’Académie n’ait pas nommé Jean-Baptiste, qui livre ici la meilleure performance féminine de 2024 pour un Oscar. D’une grande vulnérabilité, la complexité du personnage se passe dans son silence, qui parle davantage que toutes ses attaques verbales.
En ce sens, Leigh aurait pu choisir la route de l’exploitation en traitant de la dépression et de la solitude, mais il n’est pas un réalisateur qui fait des films en exploitant une culture, ou une condition. C’est un humaniste qui sait faire montre d’une empathie et d’un respect si profond pour ses personnages qu’il désire tout simplement représenter notre propre condition humaine à travers des gens qui nous sont familiers. Car oui, nous avons tous une Pansy dans nos vies: une personne que nous aimons, malgré ses défauts et son irritabilité à s’attacher aux autres, et pour qui nous avons l’espoir que cet amour sera suffisant pour lui redonner le goût de vivre.

Courtoisie de Simon Mein @ Thin Man Films Ltd
Lorsque nous passons du temps avec Pansy au début, nous avons l’impression qu’elle n’est pas une bonne personne, surtout dans la manière dont elle traite son mari et son fils. C’est d’ailleurs un pari risqué de demander au public de subir ses crises pendant une bonne partie du film, car cela pourrait aliéner en quelque sorte son développement émotionnel lorsque Leigh se rend à la scène du cimetière et vient révéler sa douleur droit devant nous.
Cependant, nous comprendrons très rapidement que son regard froid sur tout et rien n’est pas qu’une simple condescendance, mais bien une façon de ne pas confronter sa désolation intérieure. Pansy finira ultimement par le faire lorsque Chantelle lui dira tout simplement: «Je ne te comprends pas, mais je t’aime». C’est la première fois, dans Hard Truths, que quelqu’un lui fait une marque d’affection. Cela la déstabilise profondément.
Lorsqu’elle en reçoit une autre, cette fois de la part de Moses, son état est si empreint d’émotion qu’elle dit un mot qu’elle n’a jamais osé dire depuis fort longtemps: «Merci». Pour la plupart d’entre nous, «merci» est un mot simple qui est associé à une marque de politesse et de respect mutuel envers l’autre. Mais pour la protagoniste, c’est un mot qu’elle n’a pas dit et qu’elle n’a pas voulu dire depuis plusieurs années. En le disant à son fils, nous avons l’impression que ce mot guidera la façon dont elle essaiera de se relever de tout ce qui lui a apporté de la misère depuis le décès de sa mère.
Avec ce simple «merci», Mike Leigh offre à Pansy une deuxième chance. Cependant, elle devra assumer les vérités qu’elle ignore volontairement, en sachant que ce chemin sera difficile. Il est possible que cet effort soit futile, mais il vaut mieux espérer que cet avenir deviendra meilleur au lieu de rester dans un état qui ne l’empêchera jamais d’avancer…
Le film «Hard Truths» de Mike Leigh en images
Par Courtoisie de Simon Mein @ Thin Man Films Ltd
-
-
-
-
-
Courtoisie de Simon Mein @ Thin Man Films Ltd
-
-
L'avis
de la rédaction