Le collectif «Cartographies II – Couronne Nord» dirigé par Pierre-Luc Landry

Cartographies, un collectif dirigé par Pierre-Luc Landry et hébergé chez La Mèche, offre de tenir ce rôle, avec une sensibilité «géo-poétique» et un choix d’auteurs triés sur le volet. Le deuxième volume de la collection s’intéresse à la Rive-Nord, avec six écrivains natifs du secteur qui se partagent cinq villes. Les souvenirs de jeunesse y abondent, et on a souvent droit à la perspective classique voulant que l’auteur ne se reconnaissait pas en ces lieux, ayant inévitablement fui vers le 514 dès qu’il en a eu l’occasion, même si son caractère y a été partiellement forgé.

On a donc droit à six nouvelles majoritairement très maîtrisées. Marilou Craft constate à quel point le quartier Sainte-Rose, à Laval, s’est transformé avec les années, lors d’une visite chez sa dentiste à qui elle est restée fidèle malgré son déménagement. Simon-Pier Labelle-Hogue y va d’une digression pleine d’envolées lyriques – qui rendent cependant parfois le propos un peu opaque – présentée comme une «Dérive sociographique»; son texte est très généreux en idées et semble partir dans toutes les directions, directions qui se rejoindront finalement pour conclure avec élégance ce voyage dans son esprit fiévreux.

Mélanie Jannard évoque la vie étudiante dans une polyvalente de Laval où règne une diversité culturelle flamboyante, ainsi qu’un racisme écrasant; on aurait pris davantage de ce voyage dans le temps, avec ses repères familiers et le langage qui prend vie et se transforme en poèmes qui parsèment le récit. Patrick Isabelle nous offre un condensé d’émancipation à la fois tendre et hilarant avec une aventure marquante de Miss Mascouche, une tigresse de banlieue qui n’a jamais mis les pieds hors de sa ville, et qui est prisonnière d’une routine étouffante.

Mathieu Poulin nous projette dans un futur spéculatif à Saint-Eustache, alors que le cannabis vient d’être recriminalisé par le gouvernement, et que la ville est plongée dans une lutte entre dealers pour le territoire. Le destin de trois personnages se croisera de la façon la plus inattendue qui soit, et la structure de cette nouvelle n’est rien de moins que magistrale. C’est aussi le texte le plus sincèrement drôle du recueil.

La nouvelle de Catherine Leroux qui clôt le livre est probablement la plus singulière et la plus ambitieuse, et le lecteur mettra un certain temps à comprendre de quoi il retourne. Dans Rosemère, divers personnages ont droit à une petite vignette, avec une narratrice omnisciente qui les observe. On se dirige lentement vers le passé, couvrant 262 ans de petites histoires, d’instants fugitifs, de drames et de peines, avec la certitude que le récit qui défile sous nos yeux est indubitablement un tour de force. Qui ferait un excellent roman.

La mode des collectifs semble passée et on y décèle règle générale toujours quelques maillons faibles; toutefois, ce deuxième volet de «Cartographies» est exempt de bois mort, et chaque texte y figurant est essentiel. Il serait difficile de proposer autant d’originalité et de voix fortes avec un concept différent, et dans cette optique on souhaite ardemment que la collection ne s’arrête pas là, à nos rives.

Un survol des diverses autres régions du Québec serait potentiellement aussi survolté et pertinent, une fenêtre littéraire privilégiée sur la diversité des voix et des regards que portent les habitants sur leur (belle) province.

«Cartographies II – Couronne Nord», collectif dirigé par Pierre-Luc Landry avec des textes de Mathieu Poulin, Mélanie Jannard, Marilou Craft, Patrick Isabelle, Simon-Pier Labelle-Hogue et Catherine Leroux, La Mèche, 232 pages, 25 $.