ThéâtreL'entrevue éclair avec
Anne, c’est un plaisir de faire ta connaissance aujourd’hui. Tu vas bientôt célébrer tes 20 ans dédiés à l’art de la marionnette, c’est un bel anniversaire! Voudrais-tu nous dire d’où t’est venue la piqûre pour cette discipline artistique?
«C’est un plaisir pour moi aussi! Ouf… bientôt 20 ans, oui. À l’époque, mes études tournaient plutôt autour des arts graphiques et du cinéma (art et technologie des médias, dessin animé traditionnel, scénarisation cinématographique). Durant ma dernière année d’études à l’UQAM, je me tenais souvent au café Ludik situé en face pour griffonner, écrire, dessiner, m’inspirer. Cet hiver-là, Sergio Barros, marionnettiste chilien, avait pris domicile dans ce même café pour donner un cours d’un mois en fabrication de marionnette à fils. Je m’y suis inscrite et j’ai tout de suite eu la piqûre!»
«Pour la première fois, je trouvais une discipline artistique qui amalgamait l’ensemble des médiums qui me passionnent (écriture, jeu, mise en scène, conception, fabrication et encore bien d’autres). Je me suis alors inscrite à l’Association québécoise des marionnettistes et à tous les stages professionnels de marionnettes qu’ils offraient.»
«C’est à travers l’un de ces stages que j’ai fait la connaissance de Peter Balkwill, cofondateur et codirecteur du Old Trout Puppet Workshop à Calgary, qui m’a offert mon premier gros contrat professionnel comme marionnettiste sur la production The Erotic Anguish of Don Juan. Je n’ai jamais lâché la marionnette depuis.»
Avec ton ami de longue date Alexandre Harvey, compositeur et multi-instrumentiste, tu as créé le collectif d’artistes La ruée vers l’or. Peux-tu m’en dire plus sur la mission, les réalisations, le profil des créateurs qui font partie de ce collectif: bref, qu’est-ce qui le caractérise?
«Notre collectif a vu le jour en 2015, alors qu’Alexandre et moi étions colocataires. Alex naviguait du côté de la musique et de l’environnement sonore, et moi, du côté de la marionnette et des arts de la scène. On a commencé à faire ce que l’on appelait des jams, au cours desquels Alexandre improvisait des ambiances sonores et musicales, pendant que je mettais en scène de courtes situations à l’aide d’une marionnette de table sculptée dans de la mousse.»
«Le résultat de ces recherches a donné naissance au spectacle Pommes de route, qui a fait le tour des festivals de marionnettes au Québec, ailleurs au Canada, puis en France. Au fil des années, le style, le caractère et l’esthétique de nos productions se sont affinés.»
«Inspiré par l’univers de la bande dessinée et du cinéma de genre, le collectif La ruée vers l’or utilise les jeux de cadres et d’échelles, différents plans narratifs et plusieurs codes cinématographiques pour raconter ses histoires.»
«En brisant le quatrième mur, nous nous adressons directement au public pour le prendre à témoin et pour créer une intimité avec lui afin de le transporter, avec nous, dans notre univers à la fois drôle et poétique, visuel et sonore.»
Du 7 au 11 février, votre spectacle Racontars arctiques (coproduit avec le Théâtre de la Pire Espèce) sera présenté au Théâtre Aux Écuries! Il paraît que c’est une adaptation en marionnettes de table, musique et bruitage en direct des bandes dessinées du même nom. Peux-tu nous en dire plus sur les marionnettes de table: de quoi sont-elles faites au juste, et comment les manipule-t-on sur scène?
«Les marionnettes de table, parfois aussi appelées marionnettes «bunraku», sont des marionnettes qu’on manipule avec des tiges derrière la tête et les poignets sur une table de jeu de manière frontale, à un, deux ou trois marionnettistes qui sont vus du public.»
«Dans le cas qui nous concerne, on a ajouté des poignées au haut du dos et sur les fesses des personnages pour pouvoir nous donner plus d’emprise et donner un maximum de précision aux mouvements.»
«Nous avons sculpté les personnages dans une mousse polyuréthane, une matière légère et flexible qui donne énormément d’expressivité aux marionnettes. Ça nous permet de les rendre vivantes et criantes de réalisme en peu de mouvements.»
«Notre conceptrice de marionnettes, Sophie Deslauriers, s’est basée sur les illustrations d’Hervé Tanquerelle afin de créer ses personnages. Grâce à ses mains de fée, le résultat final est extrêmement fidèle aux bandes dessinées, bien que bonifié par l’ajout de couleurs, de textures et de dimensions.»
Les bandes dessinées dont vous vous êtes inspirées sont elles-mêmes tirées des «aventures improbables d’une poignée de chasseurs-trappeurs solitaires et paumés […] installés sur le flanc nord-est du Groenland, à l’aube des années 1950», inventées par l’auteur danois Jørn Riel. Peux-tu nous en dire plus sur ces personnages déjantés et leurs conditions de vie dans un endroit – on peut le dire – assez inusité?
«Les héros polaires de nos Racontars arctiques sont de joyeux drilles bien originaux, parfois rustres, parfois bourrus, mais toujours libres et authentiques. Constamment confrontés aux forces de la nature, ils sont ici poussés dans leurs derniers retranchements.»
«Pas toujours facile de garder la tête froide! Mais à travers toutes ces aventures époustouflantes, nous sommes surtout témoins de leur profonde fragilité, de leur angoisse et de leur solitude.»
«Dans une telle situation de confinement, complètement retirés du reste du monde au beau milieu de ce désert blanc, ils se voient forcés de créer un nouveau modèle social, plus ouvert, sans attentes et sans jugements. Qu’importe son lourd passé, ses écueils ou ses maladresses, chacun trouve sa place sur les quatre coins de cette côte arctique.»
«C’est cette franche camaraderie teintée d’humour et d’humanité, si présente dans l’œuvre originale de Riel, que nous mettons de l’avant ici dans notre pièce.»
J’ai cru comprendre qu’après son passage au Théâtre Aux Écuries, l’aventure de Racontars arctiques ne s’arrêtera pas là… Qu’est-ce qui vous attend pour le reste de cette année, alors? On est curieux de savoir où ces marionnettes baroudeuses vont se promener…
«Effectivement, encore plusieurs belles aventures attendent cette bande de sympathiques gaillards! Ils s’envoleront d’abord jusqu’à Iqaluit au Nunavut, en mars prochain, pour y rencontrer leurs complices du Grand Nord!»
«En avril, ils iront jusqu’au sud pour présenter leurs histoires en espagnol au Festín de los Muñecos, festival international spécialisé dans les arts de la marionnette à Guadalajara au Mexique, histoire de se décongeler un peu…»
«Puis, en septembre, ils s’envoleront vers la France pour participer au célèbre Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes à Charleville-Mézières. C’est le plus grand événement dédié aux arts de la marionnette sur la scène mondiale!»
«Enfin, en novembre prochain, ils reviendront au Québec pour faire la tournée des maisons de la culture de Montréal dans le cadre du programme CAM en tournée. Enfin, ils iront hiberner pour quelques semaines avant d’entamer une nouvelle année tout aussi enivrante!»
Pour lire nos précédents articles «L’entrevue éclair avec» et faire le plein de découvertes, consultez le labibleurbaine.com/nos-series/lentrevue-eclair-avec.
*Cet article a été produit en collaboration avec le Théâtre Aux Écuries.
«Racontars arctiques» au Théâtre Aux Écuries en images
Par Louis-Martin LeBlanc